Rediffusion rencontre a quinze

Miss you, dear

2024.05.01 20:05 MessaPassada Miss you, dear

« I miss you. (En anglais, parce que la charge est inversée.) »
Ce sms, tu me l’as envoyé en avril 2023. Je t’ai répondu que tu me manquais aussi, même si c’était pas vrai. Je venais d’avoir un bébé, j’étais débordée, je dormais pas, j’avais pas le temps de penser à quiconque.
J’ai quand même pris une heure pour t’appeler la semaine suivante, une fois mon môme couché. Il était tard et tu étais bourré. Je t’ai raconté ma vie de jeune maman. J’ai rien compris à ce que tu m’as raconté.
À la fin, comme souvent, tu m’as dit « je t’aime ». Je t’ai répondu que je t’aimais aussi. C’était un peu forcé, c’est vrai : j’étais crevée, cette conversation sans queue ni tête m’avait gonflée et mon bébé s’était remis à pleurer. Mais je suis contente de te l’avoir dit. Et j’espère que tu n’as pas perçu ma réticence. Parce que c’était la dernière fois qu’on se parlait de vive voix.
En mai, on a échangé quelques sms. À une photo que je t’envoyais, tu as répondu après quelques jours : « Niveau 10 sur l’échelle de la mignonitude. D’où qu’il m’a fallu un peu de temps pour retrouver les mots… Je compte sur toi (sur vous) pour savourer chaque miette de bonheur. » Ce sera le mot de la fin. Quinze jours après, tu mourais dans ton lit, une crise cardiaque, les artères complètement bouchées.
Tu buvais beaucoup. Tu enchaînais cigarette sur cigarette aussi. Tu cherchais à oublier la disparition brutale de ta compagne, cinq ans plus tôt.
Ma psy m’a dit que ce décès t’avait brisé le cœur. Tu es mort de chagrin. Littéralement.
Ma psy m’a dit également que ce n’était pas « contre » toi, mais « pour » mon enfant à naître que j’avais pris mes distances devant tes addictions.
Elle me dit plein de trucs gentils, la psy, des trucs qui m’apaisent sur le moment, elle passe la pommade, mais ça dure jamais et ça se remet à gratter, ça fait comme un gros trou noir dans ma poitrine, une porte béante vers le néant.
Tu étais mon meilleur ami depuis presque vingt ans. On ne vivait plus dans la même région, on ne se voyait plus que deux ou trois fois l’an, mais on avait fait les quatre cents coups, et on s’aimait.
J’aurais aimé que tu connaisses mon fils. J’aurais aimé te voir interagir avec lui. Bizarrement, je sais pas comment tu te comportais avec les enfants (bien, sans doute, comme avec tous les autres). Nos soirées d’antan, c’était plutôt clopes et picole, pas trop kid friendly.
J’aurais aimé que tu lises les derniers chapitres de mon roman (que je n’ai toujours pas écrits, désolée, je procrastine). J’aurais aimé te revoir sur scène et entendre encore tes poèmes. J’aurais aimé rencontrer tes nouveaux potes. J’aurais aimé que tu sois toujours là.
J’ai appris ta mort avec quatre mois de retard. Tes autres amis, je les connaissais de nom seulement. On ne vit pas dans la même ville. Ils n’avaient pas mon numéro. Ils se sont tous dit que quelqu’un d’autre me préviendrait. Ils étaient désolés quand ils ont su que je savais pas (ouais, ils peuvent l’être).
Je comprenais pas pourquoi j’arrivais plus à te joindre. Mais au départ je ne me suis pas inquiétée. Je me disais que tu avais cassé ton téléphone. Que tu étais au vert, chez L., sans réseau. Que tu étais occupé. On n’avait pas l’habitude de se répondre dans la seconde. On ne s’en voulait jamais. On finissait toujours par rappeler. Je pensais pas que tu pouvais être mort.
P. m’a dit que tes funérailles étaient très émouvantes. Il y avait beaucoup de monde et beaucoup de fleurs. Elle m’a dit que ton visage, à la morgue, était toujours aussi beau.
I miss you. Aujourd’hui, la charge est doublement inversée.
J’ai beaucoup de mal à pleurer, ça sort pas. À quel moment est-ce que ça devient moins douloureux ? Dans un mois, ça fera tout pile un an que tu es mort. Et chaque jour qui passe, ça fait un peu plus mal que le jour d’avant. I miss you, je te jure.
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2024.04.18 14:44 steph2356 Que dois-je faire pour aider mon ami ?

Hello tout le monde,
Je vais essayer de la faire courte, même si je n'y arrive presque jamais. J'ai un de mes plus proches amis qui traverse un moment terrible de son existence. On a 33 ans lui et moi, on se connaît depuis bientôt quinze ans. On est très proches, même si on n'a pas toujours vécu dans les mêmes villes ces dernières années, je le connais par cœur et inversement, on a toujours été là pour traverser la vie et s'épauler dans sa grandeur et sa misère.
C'est une personne profondément bonne, intelligente, humaniste. Je l'aime pour ses qualités et la profondeur de son âme, pour son humour, sa bienveillance, l'assiduité de son amitié et l'intensité qu'il met dans le rapport de compagnon d'existence. Il place l'amitié au-dessus de tout ou presque.
Cependant, ces dernières années, à la suite de revers sentimentaux et familiaux, je l'ai vu peu à peu sombrer dans une espèce de marasme à l'encontre du genre humain et de sa propre vie. C'est, je pense, le pendant de chaque pensée humaniste : l'homme est une créature qui peut faire souffrir à trop vouloir l'aimer, c'est un rosier l'homme, une tentation impossible pour certains. Mon ami en a souffert, et peu à peu s'est terré dans une misanthropie inquiétante, doublée d'un abandon de l'idéal romantique. Il a cessé d'essayer de rencontrer quelqu'un pour se construire une histoire amoureuse, ou ne serait-ce que par entretenir une sexualité épanouissante. Il a adopté deux chiens et s'est reclus petit à petit dans son petit monde, avec ses chiens, à laisser pourrir ses rêves et ses espoirs dans un coin de son appartement. La dernière copine qu'il a eue remonte à six ans en arrière.
Je l'ai rencontré fou, plein de désirs, artiste, vivant, intensément vivant, voyageur, intéressé. Et aujourd'hui je le vois, dans son canapé, son appartement est en désordre, il ne travaille plus et vit sur un maigre héritage, à consacrer toute son existence à ses chiens. C'est une dépression carabinée, qu'il essaye de soigner en allant chez le psy. Son état s'est amélioré ces derniers temps, mais un drame vient de le frapper.
Il a y quelques mois, sa famille et lui ont appris que son petit frère de 29 ans, auquel il est plus attaché que quiconque sur cette planète, était atteint d'un cancer de la peau. Une fois le choc passé, la famille s'est mise en position d'attaque, au branle-bas de combat contre la maladie, prête à apporter un soutien inconditionnel à ce frère qui en avait bien besoin.
Le cancer a été fulgurant. Hier, mon ami m'a écrit pour me dire que son frère, que je connais aussi très bien, n'avait plus que quelques jours à vivre. En dix jours, son état s'est dégradé d'une façon tel qu'on l'a envoyé en soins palliatifs. Mon ami est dévasté, je le suis aussi, dans une bien moindre mesure évidemment. Je lui ai proposé de l'appeler, mais il m'a dit qu'il n'était pas capable de parler. Je lui ai proposé mon aide et signifié l'amour que je lui portais, le soutien que je pouvais lui apporter, mais je me sens désarmé, triste et inquiet.
Désarmé d'être loin de lui, de ne pouvoir l'accompagner de ma présence, triste de sa perte, triste de savoir que son frère, qui est une personne formidable, va partir, triste de cette injuste loterie qu'est l'existence, triste des rêves qu'il n'accomplira pas (visiter le monde, voir un match de NBA avec Lebron James, ce qui était prévu pour les prochains JO, faire des enfants, vivre, tout simplement), et inquiet, très inquiet pour lui.
Je ne lui sais plus, pour ces dernières années, de grandes raisons de vivre et de se battre, et j'ai peur que ce drame lui mette un tel coup qu'il ne s'en relève pas. Je veux l'aider, être là pour lui, l'aider à revenir de cet océan sordide qu'est le deuil. Je ne veux pas qu'il s'abandonne à ses pensées, qu'il commette l'irréparable. Mais je ne sais pas comment faire. Il va certainement se fermer, comme je le connais, et, en l'état, je le laisse vivre les derniers jours de son frère sans trop le solliciter, en lui laissant de l'espace et du temps avec sa famille.
Auriez-vous des conseils ? Je suis désolé j'avais besoin d'en parler quelque part. Merci d'avance du temps que vous prendrez pour lire ce post.
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2024.04.18 14:42 steph2356 Que dois-je faire pour aider mon ami ?

Hello tout le monde, je vais essayer de la faire courte, même si je n'y arrive presque jamais. J'ai un de mes plus proches amis qui traverse un moment terrible de son existence. On a 33 ans lui et moi, on se connaît depuis bientôt quinze ans. On est très proches, même si on n'a pas toujours vécu dans les mêmes villes ces dernières années, je le connais par cœur et inversement, on a toujours été là pour traverser la vie et s'épauler dans sa grandeur et sa misère.
C'est une personne profondément bonne, intelligente, humaniste. Je l'aime pour ses qualités et la profondeur de son âme, pour son humour, sa bienveillance, l'assiduité de son amitié et l'intensité qu'il met dans le rapport de compagnon d'existence. Il place l'amitié au-dessus de tout ou presque.
Cependant, ces dernières années, à la suite de revers sentimentaux et familiaux, je l'ai vu peu à peu sombrer dans une espèce de marasme à l'encontre du genre humain et de sa propre vie. C'est, je pense, le pendant de chaque pensée humaniste : l'homme est une créature qui peut faire souffrir à trop vouloir l'aimer, c'est un rosier l'homme, une tentation impossible pour certains. Mon ami en a souffert, et peu à peu s'est terré dans une misanthropie inquiétante, doublée d'un abandon de l'idéal romantique. Il a cessé d'essayer de rencontrer quelqu'un pour se construire une histoire amoureuse, ou ne serait-ce que par entretenir une sexualité épanouissante. Il a adopté deux chiens et s'est reclus petit à petit dans son petit monde, avec ses chiens, à laisser pourrir ses rêves et ses espoirs dans un coin de son appartement. La dernière copine qu'il a eue remonte à six ans en arrière.
Je l'ai rencontré fou, plein de désirs, artiste, vivant, intensément vivant, voyageur, intéressé. Et aujourd'hui je le vois, dans son canapé, son appartement est en désordre, il ne travaille plus et vit sur un maigre héritage, à consacrer toute son existence à ses chiens. C'est une dépression carabinée, qu'il essaye de soigner en allant chez le psy. Son état s'est amélioré ces derniers temps, mais un drame vient de le frapper.
Il a y quelques mois, sa famille et lui ont appris que son petit frère de 29 ans, auquel il est plus attaché que quiconque sur cette planète, était atteint d'un cancer de la peau. Une fois le choc passé, la famille s'est mise en position d'attaque, au branle-bas de combat contre la maladie, prête à apporter un soutien inconditionnel à ce frère qui en avait bien besoin.
Le cancer a été fulgurant. Hier, mon ami m'a écrit pour me dire que son frère, que je connais aussi très bien, n'avait plus que quelques jours à vivre. En dix jours, son état s'est dégradé d'une façon tel qu'on l'a envoyé en soins palliatifs. Mon ami est dévasté, je le suis aussi, dans une bien moindre mesure évidemment. Je lui ai proposé de l'appeler, mais il m'a dit qu'il n'était pas capable de parler. Je lui ai proposé mon aide et signifié l'amour que je lui portais, le soutien que je pouvais lui apporter, mais je me sens désarmé, triste et inquiet.
Désarmé d'être loin de lui, de ne pouvoir l'accompagner de ma présence, triste de sa perte, triste de savoir que son frère, qui est une personne formidable, va partir, triste de cette injuste loterie qu'est l'existence, triste des rêves qu'il n'accomplira pas (visiter le monde, voir un match de NBA avec Lebron James, ce qui était prévu pour les prochains JO, faire des enfants, vivre, tout simplement), et inquiet, très inquiet pour lui.
Je ne lui sais plus, pour ces dernières années, de grandes raisons de vivre et de se battre, et j'ai peur que ce drame lui mette un tel coup qu'il ne s'en relève pas. Je veux l'aider, être là pour lui, l'aider à revenir de cet océan sordide qu'est le deuil. Je ne veux pas qu'il s'abandonne à ses pensées, qu'il commette l'irréparable. Mais je ne sais pas comment faire. Il va certainement se fermer, comme je le connais, et, en l'état, je le laisse vivre les derniers jours de son frère sans trop le solliciter, en lui laissant de l'espace et du temps avec sa famille.
Auriez-vous des conseils ? Je suis désolé j'avais besoin d'en parler quelque part. Merci d'avance du temps que vous prendrez pour lire ce post.
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2024.03.24 17:00 miarrial 21-26 mars 1918 De l'offensive sur Saint-Quentin à la conférence de Doullens

21-26 mars 1918 De l'offensive sur Saint-Quentin à la conférence de Doullens
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Le 26 mars 1918, près de quatre ans après le début de la Grande Guerre, les chefs de l'Entente franco-britannique se réunissent en catastrophe à Doullens (Somme), à quelques kilomètres au nord de Compiègne.
Cinq jours plus tôt, le 21 mars, les Allemands ont joué leur va-tout en donnant un vigoureux coup de boutoir sur le front occidental. Avec cette offensive du Printemps, aussi baptisée bataille de l'Empereur (Kaiserschlacht), ils veulent à tout prix remporter la victoire avant l'entrée en action des Américains.
La conférence interalliée de Doullens se donne pour but de coordonner enfin les forces alliées et d'éloigner le spectre de la défaite. En deux heures, les chefs militaires et politiques vont se mettre d'accord pour désigner le général français Ferdinand Foch (66 ans) comme généralissime des armées alliées. Le 18 juillet 1918, grâce à cette initiative, ils stopperont enfin l'offensive du Printemps...
Troupes de choc allemandes sur le front ouest (21 mars 1918)

21 mars 1918 : Michaël ou l'offensive allemande de la dernière chance

Le commandant en chef des forces allemandes, le général Erich Ludendorff (53 ans), veut mettre à profit la paix inespérée avec la Russie bolchévique et la défection roumaine. Dès la signature de l'armistice du 15 décembre 1917 avec les Russes, il a commencé à transporter des divisions allemandes du front russe vers le front occidental, laissant à l'Est près d'un million d'hommes.
Cette opération de la dernière chance, baptisée Michaël, est prévue pour débuter le 21 mars 1918, au début du printemps, afin que les chevaux, encore très nombreux dans les services de transport, puissent être nourris sans problème.
Soldats britanniques gazés sur la Lys, le 10 avril 1918
Elle est en premier lieu destinée à percer le front allié en Picardie, dans la région de Saint-Quentin, entre les zones d'action anglaise et française.
Elle va engager 65 divisions d'infanterie sur les 192 que comptent les Allemands sur le front occidental (une division allemande compte près de quinze mille hommes).
Selon la tactique inaugurée à l'automne précédent, l'offensive débute au petit matin par un bombardement court mais très violent de trois heures, assorti d'obus à gaz. Du jamais vu encore en intensité, même à Verdun !
Ensuite vient un feu roulant avec bombes fumigènes derrière lequel progresse l'infanterie, équipée de masques à gaz !...
Ludendorff engage ses meilleures troupes dans la bataille, des troupes d'assaut ou Sturmtruppen spécialement entraînées, ainsi que l’Abteilung 1 composé de 5 tanks allemands A7V... et de 5 tanks Mark IV enlevés aux Britanniques.
Bombardement de la rue de Rivoli par des avions le 12 avril 1918
Les Allemands arrivent qui plus est à bombarder Paris avec des avions et trois canons géants cachés dans la forêt de Saint-Gobain, à 140 km au nord de la capitale.
Pour la première fois en plus de trois ans de guerre, le front est percé. Dès le premier jour, la rupture est obtenue sur la ligne du canal Crozat, qui relie l'Oise à la Somme, face à la Ve Armée anglaise du général Gough, laquelle n'y peut rien faute d'avoir été renforcée par le commandant en chef Douglas Haig.
Celui-ci a bien été informé de l'imminence de l'offensive mais il en veut aux Français d'avoir dû étirer son front vers le sud, au niveau de la Ve Armée et ne veut pas faire plus.
Du fait de leur mauvaise coordination, les alliés vont très vite entrevoir le spectre de la défaite. Péronne tombe aux mains des Allemands. Noyon est menacée.
Le maréchal Douglas Haig doit en rabattre et supplier son homologue Philippe Pétain de lui envoyer des troupes en renfort pour pallier à l'insuffisance de la Ve Armée et maintenir la continuité de la ligne de front.
Lui-même, sous la poussée allemande, rabat ses troupes vers le nord, pour protéger avant tout ses liaisons avec les ports de la Manche, au risque d'ouvrir la brèche entre troupes britanniques et françaises.
Pétain ne peut faire autrement que d'accéder à ses demandes. Il comble les brèches laissées par les Anglais avec des troupes de réserve et des divisions venues de Champagne, au risque de fragiliser le front de la Marne. Mais il souhaite aussi protéger Paris, au sud.
Le 23 mars 1918, les deux alliés Pétain et Haig se rencontrent à Dury, près d'Amiens, pour tenter de concilier leurs exigences respectives. Mission impossible. Le même jour, la Kölnische Volkszeitung parle déjà de victoire : « La paix de l'Allemagne sera la paix de l'Europe ».
À Paris, en recevant le rapport de Pétain, le vieux président du Conseil Georges Clemenceau, que l'on a connu solide comme un roc, en vient lui-même à douter : « Je ne ferai jamais la paix, mais je serai peut-être renversé... Alors un autre fera la paix ». Le président du Conseil se rend à l'Élysée et rencontre le président Poincaré. Tous les deux envisagent rien moins qu'une nouvelle évacuation de Paris, comme en 1870 et en 1914 ! Dans certains ministères, on commence de faire les paquets.
Un chef reste inébranlable. C'est le général Foch. Confiné dans une fonction de chef d'état-major général sans réelle autorité, il bouillonne et répète à qui veut l'entendre la nécessité de relancer les offensives. Son heure approche mais nul ne s'en doute encore.
Le 24 mars 1918, Pétain, las de combler les trous dans le dispositif anglais, envisage dans son ordre du jour de renoncer à garantir la continuité du front. Douglas Haig en est déjà à envisager la retraite ! À Londres, le Premier ministre David Lloyd George et son Secrétaire d'État à la Guerre lord Alfred Milner ne décolèrent pas contre le maréchal qui n'a pas su utiliser ses réserves. À Berlin, pendant ce temps, l'empereur Guillaume II plastronne : « Quand un parlementaire anglais viendra plaider en faveur de la paix, il devra d'abord s'incliner devant l'étendard impérial, parce que ce qui est en jeu, c'est une victoire de la monarchie sur la démocratie » (note).
Enfin, le lendemain matin, Georges Clemenceau se ressaisit. Il n'est plus question d'évacuation. Sensible aux propos de Foch rapportés par le ministre de l'Armement Louis Loucheur, il projette sans attendre une conférence interalliée pour mettre fin aux dissidences et aux tergiversations.
La Salle du commandement unique, dans la mairie de Doullens (Somme), aujourd'hui

26 mars 1918 : le sauve-qui-peut allié

Clemenceau tient une réunion préparatoire à Compiègne le 25 mars et convoque tout son monde à Doullens, le lendemain à midi. Dans le même temps, Pétain, général en chef des armées françaises, lance un appel quasi-désespéré à celles-ci : « L'ennemi s'est rué sur nous dans un suprême effort. Il veut nous séparer des Anglais pour s'ouvrir la route de Paris. Coûte que coûte, il faut l'arrêter. Cramponnez-vous au terrain ! Tenez ferme ! Les camarades arrivent. Tous réunis, vous vous précipiterez sur l'envahisseur. C'est la bataille ! Soldats de la Marne, de l'Yser et de Verdun, je fais appel à vous : il s'agit du sort de la France ! »
Ferdinand Foch (2 octobre 1851, Tarbes ; 20 mars 1929, Paris)(Marcel-André Baschet, musée de l'Armée, Paris)
À Doullens, Poincaré, Clemenceau, Foch et Pétain d'un côté, les généraux Wilson et Haig ainsi que l'émissaire de Lloyd George, Lord Milner, de l'autre, s'accordent sur la création d'un commandement unique qui réunirait Français, Britanniques et Belges.
C'est une première depuis le début de la guerre... et même depuis le remariage funeste d'Aliénor d'Aquitaine (1152) ! D'aucuns pensent à confier le poste au vainqueur de Verdun, le général Philippe Pétain. Mais Clemenceau n'en veut pas parce qu'il le considère à juste titre trop timoré et défaitiste, inapproprié à la situation.
C'est finalement Foch qui est, par un délicat euphémisme, chargé de « coordonner l'action des armées alliées devant Amiens ».
Le 14 avril 1918, il obtiendra enfin des Anglais d'être reconnu comme le général en chef des armées alliées avec, sous son autorité : Pétain (France), Haig (Angleterre), Diaz (Italie), Pershing (États-Unis). Il lui reviendra de faire face à l'ultime offensive allemande.

9 avril 1918 : Georgette riposte

À vrai dire, tandis que les Alliés se mettent enfin d'accord à Doullens, les Allemands sont quant à eux pratiquement à bout de ressources.
Ludendorff a essuyé des pertes très importantes dès le premier jour de l'offensive, environ 40 000 tués et blessés, et les nouvelles troupes qu'il envoie au feu ne sont pas aussi aguerries que les Sturmtruppen.
D'autre part, le moral des soldats est mis à l'épreuve quand ils découvrent dans les tranchées alliées abondance de nourriture et de provisions alors qu'eux-mêmes, du fait du blocus maritime, souffrent de la faim et de carences diverses...
Erich Ludendorff (9 avril 1865, Kruszewnia, Prusse ; 20 décembre 1937, Tutzing, Bavière)
Le 8 avril 1918, Ludendorff lance néanmoins une nouvelle offensive plus au nord, à Armentières, face aux Anglais, avec 36 divisions d'infanterie. C'est l'opération Georgette (!). Son objectif est de couper les Anglais de leurs ports de ravitaillement.
Le 9 avril, au petit matin, les cent mille hommes de l'armée von Quast attaquent les lignes alliées mais celles-ci ont été précédemment dégarnies pour faire face à l'offensive en Picardie.
Les Allemands ne rencontrent en face d'eux que deux divisions portugaises, à peine vingt mille hommes, qui plus est privés d'une partie de leurs officiers.
Entré tard dans la guerre pour faire bonne figure auprès de ses amis anglais, le Portugal a envoyé ces deux divisions sur le front mais, suite à un coup d'État à Lisbonne, il ne s'en est plus soucié !
Ces poilus portugais vont néanmoins se battre courageusement. Plus du tiers d'entre eux vont être mis hors combat avant que les autres se replient. Grâce à quoi, les Allemands font une percée vers Ypres et Armentières.
Ludendorff se laisse griser par ce succès dans ce qui ne devait être qu'une opération de diversion avant l'attaque décisive sur la Somme et Amiens. Il délaisse celle-ci et se concentre sur les Flandres. Voilà Dunkerque menacée !
Mais les troupes allemandes, de moindre valeur que les précédentes, commencent à ressentir la fatigue. Le 25 avril, elles s'emparent d'une position, le mont Kemmel (156 mètres), qui domine la plaine des Flandres... Elles n'iront pas plus loin.

27 mai 1918 : Ludendorff rejoue la bataille de la Marne

Le 27 mai 1918, le commandement allemand tente une troisième offensive sur le Chemin des Dames, au nord de Craonne (Aisne), déjà tristement endeuillé par l'échec des offensives françaises, un an plus tôt.
Avec 30 divisions et plus de mille batteries d'artillerie, il bouscule les neuf divisions françaises et anglaises. Les assaillants atteignent la Marne à Dormans et Château-Thierry dès le 31 mai. À nouveau, les alliés tressaillent et sentent le vent de la défaite. Mais une semaine plus tard, faute de réserves et face à la résistance ennemie, Ludendorff doit suspendre son offensive.
Au bilan, l'état-major allemand a montré sa capacité à créer la « rupture » mais n'a pas réussi à obtenir la « décision ». Certains officiers supérieurs songent à saisir cet atout pour négocier une paix de compromis et sauver ce qui peut l'être, en particulier quelques gains à l'Est, aux dépens de la Russie.
C'est aussi l'opinion du Secrétaire d'État aux Affaires étrangères, Richard von Kühlmann. Le 24 juin 1918, il déclare devant le Reichstag : « On ne peut guère compter qu'une solution absolue soit obtenue par des décisions militaires seules, sans négociations diplomatiques » (note).
Hindenburg et Ludendorff, qui exercent une véritable dictature militaire, protestent aussitôt et exigent du chancelier von Bethmann Hollweg et de l'empereur le renvoi de Kühlmann. Le 8 juillet, Guillaume II cède à leur pression et exige la démission du Secrétaire d'État.
Pour quelques jours encore, l'Allemagne s'accroche à l'illusion d'une victoire totale, sous la pression de Ludendorff. La réponse viendra de Foch dix jours plus tard.
Le 18 juillet 1918, le généralissime passe à la contre-offensive avec les premières troupes américaines dans la région de Villers-Cotterêts. Pour la première fois sont utilisés à grande échelle les chars d'assaut. Les Allemands sont partout repoussés. Ils subissent leur plus grave défaite à Montdidier, le 8 août, et dès lors engagent une retraite générale. Déconfit, Ludendorff doit admettre devant l'empereur que la défaite est devenue inéluctable...
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2024.02.16 11:08 miarrial Comment le Niger, le Burkina Faso et le Mali comptent s’y prendre pour sortir du franc CFA

Comment le Niger, le Burkina Faso et le Mali comptent s’y prendre pour sortir du franc CFA
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DÉCRYPTAGE. Déjà sur le départ de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, les trois pays sahéliens envisagent d’abandonner le franc CFA.
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VIDÉO
Nouveau coup dur pour l'Afrique de l'Ouest. Le Niger, le Mali et le Burkina Faso – trois anciennes colonies françaises aujourd'hui dirigées par des régimes militaires – avaient déjà créé la surprise en annonçant fin janvier leur sortie « avec effet immédiat » de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) qu'ils accusent d'être instrumentalisée par la France. Cette fois, les trois pays regroupés au sein de l'Alliance des États du Sahel (AES), qu'ils ont fondée en septembre 2023, se dirigent vers une sortie du franc CFA, la monnaie commune à huit pays membres de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) qui bénéficie d'une parité fixe avec l'euro. Aujourd'hui, Bamako, Niamey et Ouagadougou souhaitent créer leur propre monnaie unique, le sahel, d'après les informations qui ont filtré dans la presse régionale. Plus qu'une nouvelle rupture avec le bloc régional ouest-africain, cette décision s'annonce lourde de conséquences et périlleuse pour ces trois États parmi les plus pauvres au monde.

Une velléité de plus en plus forte

Alors que le sujet revenait de plus en plus dans la presse et les réseaux sociaux, dimanche, le général Abdourahamane Tiani, à la tête de la junte issue d'un coup d'État au Niger, a affirmé dans un entretien à la télévision nationale : « La France nous a spoliés pendant plus de 107 ans et elle doit payer cash les dettes de 65 ans de pillages systématiques de nos ressources et les 42 ans, nous trouverons un échéancier pour que l'on soit quitte avec la France », ex-puissance coloniale. D'après le dirigeant nigérien, « la monnaie est une étape de sortie de cette colonisation ». Il a ajouté que les trois États sahéliens « disposaient d'experts [monétaires] et, au moment opportun, [ils] décideron[t] », a-t-il poursuivi. « La monnaie est un signe de souveraineté », a martelé le général Tiani, et les États de l'AES sont « engagés dans un processus de recouvrement de [leur] souveraineté totale ». D'après lui, « il n'est plus question que nos États soient la vache à lait de la France ».
Quelques jours auparavant, c'était Ibrahim Traoré, le chef de la junte au pouvoir au Burkina Faso, qui affirmait avec force : « Ce n'est pas seulement la monnaie. Tout ce qui nous maintient en esclavage, nous briserons ces liens », dans une interview publiée sur YouTube.
À lire aussi Au Burkina, la porte pour la France, le tapis rouge pour la Russie

Situation de crise

Pour les experts, cette volonté de sortir de l'UEMOA n'est pas une surprise, plutôt une suite logique après leur décision de quitter la CEDEAO, fondée en 1975 et censée régir les relations diplomatiques entre les quinze États membres. Il faut dire que les relations entre l'organisation ouest-africaine et les dirigeants putschistes sont au plus mal. La CEDEAO s'est opposée aux coups d'État militaires dans les trois pays sahéliens et avait notamment imposé de lourdes sanctions économiques au Mali, avant d'en appliquer au Niger. En août, l'institution est allée jusqu'à menacer d'intervenir militairement à Niamey pour y rétablir l'ordre constitutionnel et libérer le président renversé Mohamed Bazoum, toujours séquestré. Selon les statuts de la CEDEAO, une période d'une année est prévue pour négocier le départ d'un pays membre. L'organisation sous-régionale s'est dite ouverte à la discussion.
EXCLUSIF - URGENT- « Plus jamais la CEDEAO. Non c'est fini »
VIDÉO

Au-delà des questions idéologiques… une opportunité ?

Concrètement, à ce jour, aucun des dirigeants de l'AES n'a donné de précisions sur la façon dont ils comptaient s'y prendre pour sortir du bloc économique, ni à quelle échéance. De quoi créer un climat de suspicion et d'inquiétudes dans ces pays.
Cette semaine, le chef du gouvernement de transition du Burkina Faso, Apollinaire Joachimson Kyelem de Tambèla, a tenté de rassurer en allant à la rencontre des opérateurs économiques. Objectif : les convaincre que cette sortie de l'UEMOA peut – au-delà des questions idéologiques – représenter une opportunité. « Notre gouvernement ne mènera pas d'action sans associer le secteur privé », a-t-il dit, notamment face au patronat burkinabé. Il a assuré que le gouvernement négocierait des accords bilatéraux avec les pays membres à la suite du retrait de la Cedeao. « Le retrait de la Cedeao va donc nous permettre de nous réorganiser en fonction de nos intérêts et de signer des accords bilatéraux avec ceux qui le voudront dans divers domaines, en fonction des intérêts réciproques, et ce, sans l'immixtion de quelque puissance que ce soit », a souligné le Premier ministre, alors que le secteur privé a fait part de ses préoccupations. Et elles sont nombreuses et concrètes.
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Sortir du franc CFA, une décision lourde de conséquences économiques

Aujourd'hui, la Cedeao est largement dominée par le géant nigérian qui représente à lui seul 66 % du PIB, tandis que les trois pays réunis au sein de l'AES ne pèsent que 8 %. Le Mali, le Niger et le Burkina – avec des économies majoritairement agricoles – sont également dépourvus de littoral. Ils restent dépendants de la Cedeao sur de nombreux autres aspects économiques, comme leur fourniture en électricité. L'institution apporte également une garantie pour l'accès de ces pays au marché financier international. En sortant de l'UEMOA, les trois États se priveraient de futurs financements par exemple. Ils pourraient voir leur notation rapidement dégradées et la future nouvelle monnaie dévaluée. Pour le Niger, le Mali et le Burkina Faso, les enjeux ne consistent pas simplement à imprimer de nouveaux billets, il faudra également mettre en place une banque centrale, formuler et décider d'une politique monétaire commune, gérer la transition vers l'abandon du franc CFA et bien d'autres questions d'importance. Cité par Reuters, Charlie Robertson, responsable de la stratégie macro chez FIM Partners, basé à Londres, a déclaré qu'« abandonner la monnaie unique entraînerait une Grande Dépression », ajoutant que ce serait la pire erreur politique que ces pays pourraient commettre. De quoi faire réfléchir, alors que le Mali est le seul des trois pays à avoir tenté entre 1962 et 1967 l'expérience d'une monnaie nationale, sans succès.
La question du franc CFA, créé en 1945, est un véritable serpent de mer pour les pays d'Afrique de l'Ouest et centrale. Tandis que ses partisans saluent son ancrage à l'euro comme une garantie de stabilité macroéconomique, à l'inverse, ses détracteurs le dénoncent comme un frein à la croissance et un vestige dépassé de la domination coloniale française. Jusqu'à une réforme de 2019, les pays étaient tenus de détenir une partie de leurs réserves de change auprès du Trésor français.
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2024.01.27 14:21 miarrial Inde Splendeur des Grands Moghols

Inde Splendeur des Grands Moghols
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Ils ne sont que six à pouvoir revendiquer le titre de Grand Moghol**, six souverains qui ont marqué l'**Histoire de l'Inde et l'imaginaire occidental.
Héritiers des Mongols auxquels ils doivent leur nom, après déformation, ils ont créé un empire qui a brillé sur les champs de bataille comme dans les arts, offrant au monde le joyau du Taj Mahal.
Ouvrons les chroniques pour découvrir ces dynasties assoiffées de pouvoir et de beauté !
L'empereur Shah Jahan tenant un iris, vers 1655, Paris, Bnf
L'Histoire des empereurs moghols racontée en cartes animées par Vincent Boqueho
L'Inde des empereurs moghols (cartographie AFDEC)
VIDÉO
La carte ci-contre montre la péninsule indienne (les Indes comme on disait autrefois) au temps des premiers empereurs moghols (du milieu du XVIe siècle à la fin du siècle suivant). Ce fut l'une des très rares périodes où la péninsule se trouva presque complètement unie.
Le Taj Mahal (ou Merveille du Jour), au bord du fleuve Yamuna

Le Tigre attaque !

Déplaçons-nous au nord de l'Inde, en 1524, dans le sultanat de Delhi. Ce royaume musulman vieux de trois siècles est passé un siècle plus tôt sous la tutelle des Lodi, une dynastie d'origine afghane. Son dernier représentant, Ibrahim, a fort mauvais caractère. Pour preuve, il vient de faire assassiner son frère et de nombreux nobles.
Armure moghole, XVIIIe s., Paris, musée du Louvre
Mécontent et inquiet sur son propre compte, son oncle fait appel à un guerrier chiite (\*) du Turkestan, Zahir ud-din Muhammad. Celui-ci peut revendiquer une belle ascendance puisqu'il compte Tamerlan et Gengis Khan dans son arbre généalogique. Il s'est vite lancé sur leurs traces en multipliant les conquêtes jusqu'à prendre Kaboul en 1520 avec l'inquiétant surnom de Bâbur, le «Tigre ».
Tout naturellement, il répond à l'appel et, fort de son artillerie dernier cri, écrase les armées du sultan (bataille de Panipat, 1526). Le voici donc installé à Delhi et Agra, d'où il mène les derniers raids contre les armées coalisées rajpoutes, hindoues, présentes dans la région depuis le Ve siècle.
À sa mort en 1530, le conquérant poète qui a vécu dans le regret de ne pouvoir recréer l'empire de Samarcande a posé les bases d'un autre empire qui couvrira jusqu'à 3,2 millions de kilomètres carrés et rassemblera à la fin du XVIe siècle 80 millions d'habitants, soit les deux tiers de tous les Indiens (et un sixième de l'humanité) !

Bâbur découvre l'Inde... et la déteste !
Bâbur a laissé ses mémoires, témoignage exceptionnel sur l'Inde du XVIe siècle et la conquête moghole. Pour donner ses premières impressions, il fait beaucoup appel aux négations :
Bishn Das, Portrait de Babur lisant, 1613-1619, Londres, British Library
« L'Inde est un pays qui offre peu de charme. Il n'y a point de beauté chez ses habitants. Il n' y a point avec eux de commerce, ni de rapports, ni de visites réciproques. Ils n'ont ni caractère, ni capacité, ni urbanité, ni générosité, ni capacités viriles. Dans leur artisanat et dans leurs œuvres, il n'y a ni ordre, ni symétrie, ni rectitude, ni perpendicularité. Ils n'ont ni bons chevaux, ni bons chiens, ni bons raisins, ni bons melons, ni bons fruits, ni glace ni eau fraîche. Dans les bazars, on ne trouve ni bons plats, ni bon pain. Ils n'ont ni hammam, ni madrasa [école], ni chandelle, ni torche, ni chandelier . […]Les habitations n'ont ni charme, ni air, ni belles proportions, ni symétrie. Les paysans et les gens du peuple vont tout nus. Ils s'attachent quelque chose qui s'appelle languta qui est une pièce de toile enroulée à deux empans [mesure égale à la paume d'une main] au-dessous du nombril. Sur cette pièce de toile s'en trouve une seconde, attachée à la ceinture de la première, qui passe entre les cuisses et est fixée par derrière à la ceinture. Les femmes s'enroulent dans une longue pièce d'étoffe dont une moitié est attachée autour des reins et l'autre pend sur la tête.L'Inde a pour avantage d'être un pays où l'or et l'argent abondent. Pendant la mousson, le temps y est très agréable » (Le Livre de Bâbur, 1494-1529).

La Perse en renfort

Les premiers temps furent pourtant difficiles pour la nouvelle dynastie : Humayun « Le Fortuné », fils de Bâbur Shah, doit faire face aux attaques des Afghans musulmans et des Rajpoutes hindous. Ils profitent de la faiblesse du souverain, obligé selon la tradition pastorale de ses ancêtres de partager le pouvoir avec ses demi-frères.
Humayun est poussé à exil, abandonnant tout derrière lui, à l'exception, dit-on, d'un diamant offert par son père.
Portail de la mosquée Jâmi Masjid, construite par Shah Jahan à Delhi, vers 1650 (Thomas Danniell, 1795)
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Le voici réfugié chez le roi de Perse (Iran) qui a su apprécier la pierre précieuse... C'est donc grâce à l'aide de son nouvel allié qu'il parvient à reprendre en 1555 le pouvoir en Inde du Nord où, pendant son absence, l'Afghan Sher Shah avait multiplié les réformes et les travaux d'infrastructure qui allaient permettre de consolider l'empire.
Quelque peu rancunier, Humayun commence par faire crever les yeux de son frère renégat puis s'entoure d'une cour brillante, composée de nombreux Persans qui influenceront durablement le pays, notamment au niveau des arts.
Mais son goût pour le savoir lui fut finalement fort préjudiciable : six mois après son retour à Delhi, il se tue en tombant dans l'escalier un peu trop escarpé de sa bibliothèque...
Tout est à refaire !

Le plus grand des Moghols

Akbar, le nouveau Pādichah (Grand Roi en persan, équivalent du maharadjah hindou), est bien jeune quand il monte sur le trône le 27 janvier 1556. Treize ans à peine ! Mais c'est déjà un guerrier accompli qui peut compter sur l'aide de son tuteur Bairam Khan. C'est du moins vrai tant que les sautes d'humeur et l'ambition de ce dernier ne dépassent pas certaines limites ! En 1561, celles-ci ayant été franchies, il est envoyé en pèlerinage à la Mecque et malencontreusement assassiné sur la route.
Akbar se retrouve seul au pouvoir. Il commence par développer une « diplomatie matrimoniale » en choisissant quelques épouses parmi les princesses rajpoutes, autorisées à pratiquer leur religion hindoue derrière les murs du harem.
Sage méditant, 1630, Londres, British Museum
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Il s'appuie sur une aristocratie fondée sur le mérite et non plus sur l'origine sociale et s'entoure d'une cour brillante, au rythme de rituels précis destinés à mettre la personne du souverain au centre de tout (comme au siècle suivant notre Roi-Soleil Louis XIV).
Esprit curieux assoiffé de spiritualité, Akbar se fait construire une nouvelle capitale à côté d'Agra, Fatehpur Sikri (la « Cité de la victoire »), où il crée une maison du culte (la « Maison de l'adoration ») pour permettre aux représentants des principales religions de débattre.
En 1580, ce sont les Jésuites qui viennent compléter cette diversité des croyances. Ils ne parviennent toutefois pas à convertir Akbar au catholicisme. À la fin de sa vie, l'empereur fonde une nouvelle croyance (Den-i-illahi, « Religion divine »), forme de soufisme fondée sur le culte de la personnalité du roi, mais elle ne lui survivra pas.
Fatehpur Sikri, capitale de l'empire moghol sous le règne d'Akbar, de 1571 à 1584
Les arts florissants
L'art moghol est né de la rencontre et de la fusion harmonieuse de deux civilisations, hindoue et musulmane, et de la volonté des souverains de rayonner grâce à l'art. L'architecture se doit d'être monumentale, les monuments en marbre ou grès rouge, finement travaillés à la façon des décors en bois et entourés de jardins symbolisant le paradis.
Profitant des plaisirs de la musique et de la danse, les souverains y trouvent un repos du guerrier bien mérité... Certains en profitent pour développer leur propre talent comme Akbar qui était, dit-on, un fin connaisseur en passementerie ! Il dessinait d'ailleurs lui-même une grande partie du millier de costumes qui venaient nourrir chaque année sa garde-robe grâce à la diversité et la beauté des tissus.
Danseuse, Ecole de Murshidabad, vers 1760, Paris, BnF
Mais les souverains moghols n'étaient pas uniquement des bêtes de mode, ils savaient aussi apprécier la calligraphie et surtout la peinture.
Largement inspirée par l'Asie centrale d'où ils sont originaires, et par la Perse où Humayun s'était tant plu, elle atteint des sommets dans la description des scènes de cours, rassemblées dans de véritables albums.
Normalement interdits par l'islam sunnite mais très appréciés par les chiites, les portraits flattent les souverains qui aiment reconnaître leurs traits dans ces œuvres qui leur servent de propagande. Avec l'empereur Jahangir, les décors s'enrichissent sous l'influence des naturalistes et des Européens qui ont apporté leur maîtrise de la perspective.
Mais ne cherchez pas les visages des princesses : les artistes ne pouvaient approcher des harems ! La recherche de la beauté a des limites...
École moghole, Deux filles debout, 1650, Paris, Fondation Custodia, Collection Frits Lugt

Les rois du monde

À la mort d'Akbar, en 1607, c'est au tour de son fils Jahangir (« Celui qui saisit le monde ») de prendre les rênes du royaume. Heureusement que son père n'est plus là ! Le nouvel empereur préfère en effet la soie des coussins au confort relatif des champs de bataille. Sans compter un léger penchant pour l'alcool... et pour la violence.
Abu'l Hasan, Shah Abbas et Jahangir, 1618, Freer gallery of Art, Smuthsonian Institution
Son fils aurait d'ailleurs dû se méfier : pour avoir eu la velléité de prétendre au pouvoir, il eut lui aussi les yeux crevés. Étrange tradition familiale !
Malgré les apparences, le souverain a un cœur d'artichaut : à la fin de son règne, éperdument amoureux de Nur Jahan, la « Lumière du palais », il laisse sa belle princesse conduire l'empire avec son fils, le futur Shah Jahan.
Homme à poigne, celui-ci n'hésite pas à détruire des lieux de culte et à instaurer une politique discriminatoire pour s'assurer le soutien des musulmans rigoristes : les hindous auront donc désormais leur tunique boutonnée à gauche, et les musulmans, à droite !
Le « Roi du monde » est surtout connu pour avoir agrandi l'empire jusqu'à Pondichéry (1687) et mené de grands travaux d'architecture. Il a érigé dans sa capitale Jahanabad (Delhi) le palais impérial, plus connu sous le nom de Fort Rouge, ainsi que la mosquée Jami Masjdid, la plus grande de l'Inde. Mais nous lui devons surtout le célébrissime Taj Mahal, près d'Agra.
Le Taj Mahal, près d'Agra
Il était une fois un empereur amoureux d'une belle princesse...
Le Taj Mahal (« Diadème du palais ») n'aurait pas existé sans l'amour fou de Shah Jahan pour son épouse Mumtâz-i Mahal, la « Merveille du palais », morte en couches en 1631 en lui donnant son quatorzième enfant. On sait peu de choses sur cette femme qui n'hésitait pas à suivre son mari dans ses campagnes militaires, mais leur passion est devenue légendaire.
Le Taj Mahal vu du Fort Rouge d'Agra, Uttar Pradesh
Il fallut plus de dix ans, 466 kilos d'or et 20.000 ouvriers pour construire son tombeau de marbre blanc sur les rives de la Yumanâ, à Agra. Le chantier, dirigé par l'architecte Ustad Ahmad Lahaur, a donné naissance à une merveille d'architecture : l'ensemble se compose d'un dôme de 27 m de haut protégeant les sépultures des souverains, de quatre minarets légèrement inclinés vers l'extérieur (pour épargner le tombeau en cas de tremblement de terre), encadrés d'une mosquée en grès rouge et d'un bâtiment jumeau destiné à abriter les pèlerins.
La simplicité de l'édifice est relevée par les innombrables pierres dures colorées qui viennent tracer sur les murs des motifs floraux.
Modèle de pureté posé au milieu d'un jardin harmonieux, le site, aujourd'hui considéré comme un cadeau à l'humanité, fut une source de torture pour son créateur...
Emprisonné au fort d'Agra, Shah Jahan passa en effet les dernières années de sa vie à deux kilomètres du Taj Mahal, l'admirant chaque jour sans jamais pouvoir se recueillir sur la tombe de son épouse.

À bout de souffle

Décidément, les souverains moghols auraient dû se méfier de leur propre famille.
L'empereur Shah Jahan à la chasse, album Peintures orientales, vers 1760, Paris
Shah Jahan voit ses fils s'entre-déchirer pour prendre le pouvoir.
C'est Aurangzeb qui remporte la mise : en 1658, après avoir enfermé son père, il se débarrasse vite de sa fratrie, en fuite dans la jungle ou décapitée.
Mais il a peu de temps pour savourer son pouvoir puisqu'il doit vite faire face à la grogne des Rajpoutes et des Marathes. À la même époque il revient vers l'islam sunnite et exclut toute trace d'hindouisme dans la vie de cour.
La mort d'Aurangzeb, le 3 mars 1707, signe la fin des Grands Moghols. Leurs pâles successeurs n'ont plus rien de leur aura. Avec un trésor désormais vide, les fastes sont supprimés les uns après les autres tandis que l'autorité impériale décline face à des princes rajpoutes assoiffés de revanche et des Sikhs qui multiplient les razzias.
Tout ce beau monde est observé par les puissances européennes (Portugais, Français, Anglais) qui s'empressent d'attiser les querelles. Le glas de l'empire sonne en 1857 lors de la révolte des cipayes : le dernier souverain moghol est accusé de trahison et condamné à l'exil, sa descendance est exécutée. En ce milieu du XIXe siècle, l'aventure moghole prend fin, laissant la voie libre à la constitution du British Raj.
Muhammad Faqirullah Khan, Cheval, vers 1740, Paris, BnF
Un joaillier au pays des pierres précieuses
« Depuis qu'Aurangzeb [souverain mogol de 1568 à 1707] qui règne présentement s'est établi dans le trône des Moghols […], il ne mange d'aucune chose qui ait eu vie. Comme il ne se nourrit que de légumes et de confitures, il est devenu maigre et décharné, à quoi contribuent encore les grands jeûnes qu'il observe. Pendant tout le temps que dura la comète de l'année qui parut fort grande aux Indes où j'étais alors, Aurangzeb ne but qu'un peu d'eau et ne mangea qu'un peu de pain de millet, ce qui altéra tellement sa santé qu'il faillit à en mourir, car outre cela, il ne couchait que sur la terre avec une peau de tigre sur lui et, depuis ce temps-là, il n'a jamais eu de santé parfaite. Je me souviens d'avoir vu par trois diverses fois boire le roi étant sur son trône. On lui apporte sur une soucoupe d'or enrichie de diamants, de rubis et d'émeraudes, une grande tasse de cristal de roche toute ronde et toute unie, et dont le couvercle est aussi d'or avec le même enrichissement de la soucoupe » (Les Six voyages des Jean-Baptiste Tavernier en Perse et aux Indes, 1677).

Pendant ce temps, en Europe

À la fois proche et lointaine, l'Inde a toujours été un sujet d'observation et d'émerveillement pour les Occidentaux. Pensons à Alexandre le Grand qui voulut aller au bout de ses rêves et parvint aux portes de l'Inde (bataille de l'Hydaspe, Pakistan, 326 av. J.-C). Marco Polo continue au XIIIe siècle à alimenter la légende mais c'est surtout grâce aux Portugais, à partir du XVe siècle, que l'Inde commence à devenir réalité et partenaire commercial.
Vers 1570, les Moghols entrent dans le jeu en s'emparant des grands entrepôts littoraux du Gujarât (côte nord-est). Malgré la bienveillance d'Akbar, notamment vis-à-vis des Jésuites, les Européens restent essentiellement considérés comme des originaux, avec lesquels il est seulement bon de commercer...
Dans le nord de l'Inde, les échanges se développent d'abord autour des textiles dans le tissage desquels les Indiens ont acquis une maîtrise sans rivale (cachemire, madras, indiennes...). Puis, par l'intermédiaire des compagnies à chartes, le commerce se déplace vers la côte ouest. Au XVIIIe siècle, les discordes se multiplient entre les principautés indiennes et les Européens en profitent habilement pour prendre pied dans le sous-continent : si Dupleix, rappelé en France, abandonne la partie en 1753, les Anglais ne cessent de gagner du terrain par le jeu des alliances jusqu'à balayer l'empire moghol.
Le Taj Mahal, détail du décor
Pierre Loti raconte le Taj Mahal
« Les Grands Mogols ! On dirait aujourd’hui un nom de vieux conte oriental, un nom de légende. Ils vécurent ici, ces souverains magnifiques, maîtres du plus vaste empire qui ait existé au monde. [...]
Le Taj Mahal, détail du décor
Tout le monde a vu le Taje, tout le monde a décrit le Taje, qui est l’une des merveilles classiques de la terre. Et des miniatures, des émaux nous ont conservé les traits, sous le turban doré et l’aigrette étincelante, de cette Montaz-i-Mahal qui inspira tant d’amour, et du sultan son époux, qui voulut créer autour de la morte une splendeur tellement inouïe.
Le Taje, c’est, dans un grand parc funéraire muré comme une citadelle, le plus gigantesque et le plus impeccable amas de marbre blanc qui soit au monde. Les murailles du parc sont en grès rouge, ainsi que les hautes coupoles, incrustées d’albâtre, qui s’élèvent au-dessus des portes extérieures aux quatre angles du vaste enclos. Les allées, — palmiers et cyprès, — les pièces d’eau, les charmilles ombreuses, tout est tracé en lignes droites et sévères. Et là-bas, au fond, trône superbement l’idéal mausolée, d’une blancheur plus neigeuse encore au-dessus de ces verdures sombres : sur un socle blanc, une coupole immense, et quatre minarets plus hauts que des tours de cathédrales ; tout cela, d’une tranquille pureté de lignes, d’une harmonie calme et supérieurement simple ; tout cela, de proportions colossales, et construit avec des blocs sans tache, à peine veinés d’un peu de gris pâle. […] Sous la coupole du milieu, la coupole de soixante-quinze pieds de haut, qui abrite le sommeil de la sultane, c’est l’excès de la simplicité superbe, le summum de la splendeur blanche » (« L'Inde sans les Anglais », La Revue des Deux Mondes, 1903).
La mosquée adjacente au Taj Mahal

Sources bibliographiques

• Gordon Johnson, Atlas de l'Inde, éd. du Fanal, 1995.• « Les Mystères de l'Inde. Du Bouddha à Gandhi », L'Histoire n°278, juillet-août 2003.• Valérie Berinstain, L'Inde impériale des Grands Moghols, éd. Gallimard (« Découvertes » n°320), 1997.
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2024.01.25 12:24 miarrial La tragédie arménienne Vie et mort du Haut-Karabagh

La tragédie arménienne Vie et mort du Haut-Karabagh
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24 septembre 2023. Les Arméniens du Haut-Karabagh (aussi appelé Nagorny Karabakh) ont déposé les armes le 20 septembre 2023 devant l’avancée des troupes azéries. C'est un succès éclatant pour le sombre tyran d'Azerbaïdjan, complice de la Turquie dans l'entreprise séculaire qui vise à détruire le peuple arménien. C'est aussi un crime contre l’humanité dénoncé comme tel par les organisations humanitaires. Fait aggravant, il a été commis par un État qui est encore membre du Conseil de l'Europe et participe à l'élaboration du droit européen !...Cela dit, en mettant fin à une sécession contraire au droit international, l'Azerbaidjan n'a pas agi différemment de l'Ukraine quand son armée est intervenue en 2014 contre les sécessionnistes du Donbass. Difficile de condamner l'un et soutenir l'autre...
L'Arménie et les pays limitrophes, carte journal La Croix
Le drame actuel puise ses racines dans les conflits de ces derniers siècles entre les trois impérialismes de la région : le sultan ottoman, le chah d’Iran et le tsar russe.
Les Arméniens, comme leurs voisins kurdes et iraniens, sont issus des migrations indo-européennes d’il y a quatre ou cinq millénaires. Ils ont formé un royaume important dès avant notre ère en haute Mésopotamie et dans le Caucase, autour du mont Ararat, au sommet duquel se serait échouée l’arche de Noé, dixit la Genèse (dico). Mais déjà à cette époque, ils pâtirent de leur situation entre l’empire romain et l’empire rival des Parthes… Tôt christianisée, l’Arménie devint le premier État chrétien de l’Histoire mais se trouva bientôt isolée au milieu du monde musulman.
La bataille de Tchaldiran, en 1514, près du lac de Van, redessina la carte de la région. Ses conséquences perdurent aujourd’hui. Elle voit le sultan Sélim Ier affronter le chah séfévide Ismaïl Ier. Vainqueur, le sultan s’empare de l’Anatolie orientale, à savoir l’essentiel du Kurdistan et de l’ancien royaume d’Arménie. Le chah conserve une partie de l’Arménie et surtout une région de peuplement turcophone, l'Azerbaïdjan.

Le lieu de toutes les contradictions

Ainsi, d’un côté, les Kurdes, proches des Iraniens par la langue, passent sous l’autorité des Turcs et s’en tiennent à leur religion, l’islam sunnite ; de l’autre, les Azéris, que l'on nomme aussi Tatars, proches des Turcs par la langue, passent sous l’autorité des Persans et adoptent leur foi, l’islam chiite (dico).
En 1894-1896, comme les Arméniens de l’empire turc revendiquent une modernisation des institutions, le « Sultan rouge » Abdul-Hamid II entame leur massacre à grande échelle (300 000 morts). Vingt ans plus tard, ses successeurs parachèveront le crime.
De leur côté, les Russes, au nord, achèvent non sans difficulté la soumission des peuples du Caucase. Cette chaîne de hautes montagnes entre Caspienne et mer Noire devient la frontière « naturelle » de l’empire. C’est ainsi que le nord de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan deviennent russes.

Les ferments de la discorde

Arrive la révolution bolchévique en 1917. Plusieurs peuples inféodés aux tsars saisissent au vol l’offre qui leur est faite par Lénine de proclamer leur indépendance dès 1918. C’est le cas de la Finlande, de l’Ukraine et, dans le Caucase, de la Géorgie ainsi que de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan russes.
Mais c’est le moment où l’ancien empire des tsars se voit plongé dans une terrible guerre civile (1918-1921) qui va faire environ sept millions de morts. Les Alliés réunis à Paris pour solder la Grande Guerre envisage la reconstitution de l’Arménie historique avec des territoires enlevés à la Russie et à la Turquie. Le traité de Sèvres du 10 août 1920 laisse au président des États-Unis le soin de définir ses nouvelles frontières. Le 22 novembre 1920, le président Wilson rend son verdict : outre les districts russes d’Érévan et Stépanakert (Haut-Karabagh), la nouvelle Arménie doit inclure les districts d’Erzurum, Van et Bitlis ainsi qu’un accès à la mer Noire ; au total 57 000 km².
Mais le général turc Moustafa Kémal ne l’entend pas de cette oreille. Il envoie en septembre 1920 l’ancien Premier ministre turc Enver Pacha au Congrès des peuples de l’Orient qui se tient à Bakou, à l’initiative du gouvernement russe.
Enver Pacha, l'un des principaux responsables du génocide arménien de 1915, propose aux lieutenants de Lénine Zinoviev et Radek un partage du Caucase sur la base des frontières de 1914.
C’est ainsi que le 22 septembre 1920, à peine le traité de Sèvres signé, une Armée islamique du Caucase, constituée de Turcs et d’irréguliers azéris, passe à l’attaque. Elle s’empare le 30 octobre de Kars puis le 7 novembre d’Alexandropol (aujourd’hui Gyumri, deuxième ville d’Arménie). Comme à leur habitude, les Occidentaux n’interviennent pas.
Le 2 décembre 1920, Simon Vratsian, président de la république d’Arménie, se résigne à signer la paix d’Alexandropol avec la Turquie. Il désavoue le traité de Sèvres et renonce aux districts arméniens de Turquie. Quant au Nakhitchevan, un territoire de 5000 km² et 500 000 habitants dont près d’une moitié d’Arméniens en lisière de la Perse, il passe sous protectorat turc. Le jour même, le président, déconfit, choisit de démissionner et laisse le pouvoir aux communistes.
Là-dessus, l’Arménie se voit plongée dans la guerre civile russe. Elle est soviétisée et laïcisée par l’Armée rouge avec une brutalité qui heurte jusqu’à Lénine, ce qui n’est pas peu dire ! La Russie conclut avec la Turquie à Kars, le 16 mars 1921, un traité « d’amitié et de fraternité » par lequel les Turcs conservent Kars et Ardahan mais renoncent à Batoum, qui est intégré à la Géorgie, et au Nakhitchevan.
Finalement, mise à part la Finlande, tous les peuples qui avaient choisi l’indépendance rentrent dans le rang en 1921 sous la férule du Géorgien Joseph Staline, « commissaire aux nationalités » dans le Conseil des commissaires du Peuple. Ils deviennent des républiques socialistes autonomes au sein de l’URSS, ainsi baptisée le 30 décembre 1922.
Staline fait le pari de semer la discorde au sein de ces républiques théoriquement libres de demander leur indépendance. C’est ainsi qu’il attribue la république autonome du Nakhitchevan à l’Azerbaïdjan bien qu’il n’ait aucune frontière avec lui. De la même façon, il maintient le Karabagh arménien enclavé au sein de l’Azerbaïdjan.
Plus tard, en 1954, Nikita Khrouchtchev n’agira pas autrement en attribuant la Crimée russe à l’Ukraine. Il voulait de la sorte accroître le poids des russophones au sein de cette république soviétique et faire barrage à son irrédentisme…

Nettoyage ethnique et crimes contre l’humanité

Dès les années 1920, les Azéris usent de tous les moyens pour chasser les Arméniens du Nakhitchevan. C’est chose faite en quelques années. Dans les années 1990, l’Azerbaïdjan étant devenu indépendant, le dictateur Gaydar Aliev, père de l’actuel dirigeant, fait détruire tous les vestiges patrimoniaux de la présence arménienne au Nakhitchevan (cimetières et églises).
Il va sans dire que le même sort attend le Haut-Karabagh (4000 km²) et les 120 000 Arméniens qui y vivent encore, maintenant que ce territoire est occupé par l’armée du dictateur Ilham Aliev.
Par le référendum du 10 décembre 1991, les habitants du territoire autonome du Haut-Karabagh votent leur indépendance sous le nom de république d'Artsakh (nom arménien du territoire) comme la Constitution soviétique leur en donnait le droit.
Les quinze Républiques socialistes soviétiques, dont la Géorgie (70 000 km², 4 millions d’habitants en 2019), l’Arménie (30 000 km², 3 millions d’habitants) et l’Azerbaïdjan (90 000 km², 10 millions d’habitants), et plusieurs autres entités autonomes de l’URSS… dont la Crimée, votent aussi, cette année-là, leur indépendance de façon démocratique.
Aucun État ne reconnaît la république d'Artsakh, pas même l’Arménie. Mais le blocus organisé par l’Azerbaïdjan l'oblige à intervenir militairement. Par leur détermination, les Arméniens, qui luttent une nouvelle fois pour leur survie, réussissent à repousser les troupes azéries, mal armées et peu motivées. Ils réussissent même à occuper deux districts azéris et établissent une continuité territoriale entre le Haut-Karabagh et l’Arménie. Face à la menace d’une catastrophe humanitaire due au blocus, l’ONU vote quatre résolutions et une instance d’arbitrage, le groupe de Minsk (États-Unis, France, Russie) obtient un cessez-le-feu en 1994.
La situation se stabilise pendant deux décennies. L'Arménie s'en remet à Moscou. En octobre 2002, elle participe à la fondation de l'Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC) sous l'égide de la Russie avec quatre autres républiques ex-soviétiques : la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan.
Dans le même temps, l’Azerbaïdjan modernise en accéléré ses forces armées et son industrie d’armement grâce à une fabuleuse rente pétrolière et gazière. Le dictateur Ilham Aliev lance sans succès une première guerre de Quatre jours (2-5 avril 2016) contre le Haut-Karabagh et l’Arménie. Il renouvelle sa tentative par une guerre de Quarante-Quatre jours (27 septembre-9 novembre 2020). Cette fois, il bénéficie du soutien actif des militaires turcs de la Turquie de Recep Tayyip Erdogan ainsi que de supplétifs syriens et d'armements israéliens !
L’Arménie, quant à elle, ne peut compter que sur le soutien de l’Iran auquel la relie un pont sur l’Ataraxe. Les deux États ont en commun d’être ostracisés par la « communauté internationale » et la République islamique manifeste à l’égard de sa minorité arménienne chrétienne une bienveillance qui ne se dément pas, sans comparaison avec l’intolérance meurtrière dont font preuve la Turquie et l’Azerbaïdjan, membres éminents du Conseil de l’Europe !
Étrangement, la Russie se tient à l'écart et s'abstient de protéger l'Arménie. Faut-il penser que Vladimir Poutine a été irrité par l’arrivée au pouvoir à Érévan, en 2018, d’un dirigeant pro-occidental, Nikol Pachinian ? Ou bien a-t-il voulu ménager la Turquie en prévision du conflit à venir en Ukraine ? L'avenir nous le dira peut-être. Quoi qu'il en soit, le président n'intervient qu'à la fin, en se posant en arbitre. Il supervise la signature du cessez-le-feu, le 9 novembre 2020, et s'engage à maintenir deux mille soldats russes dans le Haut-Karabagh comme garants de la sécurité du territoire et de la protection des églises. L'Arménie s'en voit rassurée, bien à tort.
Le dernier acte s’est joué à l'automne 2022. Profitant de ce que la Russie est enlisée en Ukraine et que les Européens ont plus que jamais besoin du pétrole et du gaz de l'Azerbaïdjan, Ilham Aliev lance des attaques contre le territoire arménien lui-même ! Les 13 et 14 septembre, plus de trente localités sont bombardées et plus de deux cents militaires arméniens tués. L'armée azérie occupe plus de 50 km² de territoire arménien. À Érévan, c'est la consternation. Faute de soutien russe, le gouvernement arménien obtient en octobre de l'Union européenne qu'elle envoie une mission d'observation à sa frontière.
Le sommet de l'OTSC, qui se tient dans la capitale arménienne le 23 novembre 2022, témoigne de l'impuissance de Moscou à garantir la sécurité de son « étranger proche ». Le président arménien tourne ostensiblement le dos à son homologue russe et dans les rues de la capitale, on voit apparaître des manifestants hostiles à Poutine et arborant des drapeaux ukrainiens et européens ! Nikol Pachinian se désole et juge « accablant que l’appartenance de l’Arménie à l’OTSC n’ait pas pu contenir l’agression azérie ». Toutefois, il est conscient de ne pouvoir rien attendre non plus des Occidentaux...
Désormais sûr de son impunité, Bakou barre le 12 décembre 2022 le corridor de Latchine qui relie le Haut-Karabagh au reste du monde, et entame le blocus du territoire, menaçant sa population de mourir de faim. Le 19 septembre 2023 enfin, après un bombardement de Stepanakert, capitale de l’enclave, l’Azerbaïdjan obtient la reddition des derniers résistants. Le territoire est occupé par l'armée azérie et intégré à l’Azerbaïdjan. Sa population arménienne a aussitôt pris la route de l’exil pour échapper à des massacres, comme au Nakhitchevan précédemment. Elle a laissé derrière elle un patrimoine religieux et culturel voué à la destruction.
Maître d'œuvre de ce premier nettoyage ethnique du IIIe millénaire, Aliev cache mal son prochain objectif qui est d'établir une continuité territoriale entre l'Azerbaïdjan et le Nakhitchevan à travers la région arménienne du Syunik (ou Zanguezour), le long de la frontière irano-arménienne.

Impunité assurée

« La guerre que mène l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh n’est territoriale qu’en apparence. Il faut lire ce conflit dans l’histoire longue du génocide arménien perpétré par la Turquie en 1915, » écrit l’historien Vincent Duclert, spécialiste des génocides. « La Turquie et l’Azerbaïdjan ont entrepris de détruire un peuple de rescapés » (Le Monde, 22 septembre 2023).
Face à ce drame aux marges de l’Europe, l’Union européenne se montre impuissante, plus encore que la Russie.
Ilham Aliev
Rappelons que le dictateur de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliev, se range parmi les pires tyrans de la planète. Il doit son pouvoir non à des élections régulières mais à sa qualité d’héritier comme le Nord-Coréen Kim Jong-un, le Syrien Bachar El-Assad, le prince séoudien Mohamed Ben Salman ou encore le Gabonais Ali Bongo. Son régime est classé par Reporters sans frontières parmi les pires de la planète en matière de liberté d’expression (162e sur 179).
Par ses agressions renouvelées contre les Arméniens, il s’est rendu coupable des pires violations du droit international, sans comparaison avec l’annexion pacifique de la Crimée par la Russie en 2014, laquelle pouvait tout à fait se justifier politiquement et juridiquement.
Par ses bombardements des villes et surtout par sa volonté d’affamer littéralement la population du Haut-Karabagh, il s’est rendu coupable de crimes contre l’humanité en tous points assimilables à ceux qu’ont commis ses cousins turcs en 1894-1915 contre les Arméniens.
Il n'empêche que ce personnage figure encore au Conseil de l’Europe et ses magistrats siègent à la Cour européenne des droits de l’homme, un « machin » qui prétend dicter leur conduite aux citoyens de l’Union européenne, ce pour quoi le général de Gaulle avait judicieusement refusé d’y adhérer. Pour la galerie, rappelons que Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan, avait accueilli en 2012 le concours de l’Eurovision. Nonobstant le caractère kitch de cette manifestation, le symbole est désolant.
Ursula von der Leyen et Ilham Aliev à Bakou (18 juillet 2023)
On a exclu fort justement la Russie et la Biélorussie du Conseil de l’Europe suite à l’invasion de l’Ukraine, mais nul ne songe à faire de même pour l’Azerbaïdjan et pour cause ! En reprenant par la force un territoire sécessionniste qui lui est reconnu par le droit international, l'Azerbaidjan n'a pas agi différemment de l'Ukraine en 2014 quand son armée est intervenue au Donbass. Impossible de condamner le premier après avoir soutenu le second...
Le 18 juillet 2022, Ilham Aliev recevait avec de grands sourires la présidente de la Commission européenne Ursula von der Layen. Celle-ci venait avec l’objectif avoué de protéger les approvisionnements en gaz de l’Union et en premier lieu de sa patrie l’Allemagne, très affectée par le boycott de la Russie. C'était moins de deux mois avant les attaques de l'armée azérie contre l'Arménie ! Cinq mois à peine avant le blocus du Haut-Karabagh.
On peut raisonnablement penser que cette rencontre au sommet a pu conforter le dictateur dans sa résolution d’en finir avec les Arméniens du Haut-Karabagh. Il avait compris que les Européens plaçaient leur approvisionnement en carburant et en gaz bien au-dessus du droit humanitaire et, de fait, les Européens se sont gardés de toute menace de sanctions quand Ilham Aliev a lâché ses troupes. Ils ont aussi fermé les yeux sur le fait qu'une bonne partie du gaz et du pétrole vendus par Bakou vient de Russie !
Cela nous rappelle le mot de Churchill après les accords de Munich (1938) : « Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre ». Nous pouvons ici remplacer le mot « guerre » par « pénuries » même s’il n’est pas exclu que bientôt, l’Arménie elle-même soit assaillie par les deux brigands qui la tiennent en tenaille, Erdogan et Aliev, une nouvelle fois, craignons-le, sous le regard impavide de Poutine et des Européens.
Le 28 juin 2023, pendant le blocus du corridor de Latchine, l'écrivain Sylvain Tesson eut ces mots lors d’une manifestation de soutien à la République d’Artsakh à la salle Gaveau (Paris) : « Si le poste avancé d’une citadelle tombe, on ne donne pas cher du donjon. (...) Et si l’Artsakh était le poste avancé d’un donjon qui s’appelle l’Arménie. Et si l’Arménie était le poste avancé d’un donjon qui s’appellerait l’Europe ? »
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2024.01.21 23:20 TVHOSTERS2022 Meilleur Fournisseur IPTV CAN 24: ne Ratez aucun Match Du Maroc

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Le Maroc se lance dans la CAN 2024 avec des rencontres capitales pour son parcours dans la compétition :
  • Mercredi 17 janvier 2024
  • Maroc vs. Tanzanie
  • Groupe F - 1re j.
  • 18h00
  • Dimanche 21 janvier 2024
  • Maroc vs. RD Congo
  • Groupe F - 2e j.
  • 15h00
  • Mercredi 24 janvier 2024
  • Zambie vs. Maroc
  • 21h00

Joueurs Clés de l'Équipe Marocaine

  1. Achraf Hakimi
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  1. Hakim Ziyech
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2024.01.16 16:58 miarrial 14 octobre 1066 Guillaume le Bâtard conquiert l'Angleterre

14 octobre 1066 Guillaume le Bâtard conquiert l'Angleterre
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Le 14 octobre 1066, une petite armée féodale, à peine débarquée en Angleterre, bat les troupes du roi en titre. La victoire à Hastings du duc de Normandie Guillaume le Bâtard sur le roi Harold marque la naissance de l'Angleterre moderne.
À noter qu'après le débarquement de Guillaume, toutes les tentatives de conquête de l'Angleterre échoueront, dont celle de Louis, fils de Philippe Auguste, en 1215, celle de Philippe II et l'Invincible Armada en 1588, celle de Napoléon en 1805 et celle de Hitler en 1940.
Bataille d'Hastings (1066) : l'infanterie saxonne fait front à la cavalerie normande sous une volée de flèches (tapisserie de Bayeux, droits réservés : Musée de Bayeux)
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André Larané📷

Fils de Viking

Le nouveau maître de l'Angleterre, Guillaume, est un robuste guerrier qui ne s'en laisse pas conter. Il descend d'un chef viking, Rollon.
Cent cinquante ans plus tôt, par le traité de Saint-Clair-sur-Epte (911), Rollon a obtenu du roi carolingien de Francie occidentale, le faible Charles le Simple, le droit de s'établir à l'embouchure de la Seine, en échange du baptême et de l'hommage de vassalité.
Le duc Rollon et ses Vikings étendent très vite leur domination à l'ensemble de la région, à laquelle ils donnent leur nom, Normandie (« pays des hommes du Nord »). Ils adoptent dans le même temps les mœurs féodales et la langue de leur pays d'adoption, la France.

Guillaume, un bâtard formé à la dure

L'un des successeurs de Rollon, le duc Robert 1er le Magnifique (ou Robert le Diable), est un homme à poigne. Deuxième fils du duc Richard II, on le soupçonne d'avoir fait empoisonner son frère Richard III. Contre ses vassaux rebelles et leur protecteur le duc Alain de Bretagne, il s'allie au roi capétien Henri 1er, ce qui lui vaut de recevoir le Vexin français.
Il a de nombreuses concubines mais sa préférée est la fille d'un tanneur de Falaise, Arlette, qui donne naissance au futur Guillaume le Conquérant vers 1027.
Le 13 janvier 1035, le duc Robert, qui a décidé de faire un pèlerinage en Terre sainte, réunit tous ses vassaux à Caen et leur fait solennellement jurer fidélité à son fils Guillaume, alors âgé de sept ans ! Les barons prêtent serment, et comme Robert meurt sur le retour, à Nicée, le 22 juillet 1035, voilà son jeune fils bâtard duc de Normandie...
Pendant plusieurs années, le duché sombre dans l'anarchie. Dans la presqu'île du Cotentin en particulier, des seigneurs normands, attachés à leurs anciennes traditions et au paganisme, prennent les armes contre le nouveau duc. Guillaume et ses partisans font appel au roi de France Henri 1er, leur suzerain.
Avec une force de caractère remarquable, le jeune Guillaume rétablit son autorité. En 1047, il bat les insurgés au val-des-Dunes, près de Caen, et impose enfin par les armes sa domination sur l'ensemble de la Normandie. Il s'empare même de la province voisine du Maine. Enfin, avec le concours du clergé clunisien, il proclame la « paix de Dieu » sur ses terres. Sous sa férule, la Normandie ne tarde pas à devenir la principauté la mieux administrée d'Europe, l'une des plus paisibles et des plus riches.

La cousine Mathilde, sa première conquête

Mais Guillaume a plus de mal à conquérir les faveurs d'une bien-aimée cousine, Mathilde de Flandre, fille du comte Baudouin IV, qui hésite à convoler avec un bâtard. Qu'à cela ne tienne, il chevauche jusqu'à Lille et s'empare de la jeune fille. Il semble que celle-ci ne lui ait pas longtemps tenu rigueur de cette violence.
Le duc, qui a gardé un mauvais souvenir de sa bâtardise et veut s'affirmer comme un grand seigneur chrétien, aura huit enfants avec sa chère Mathilde. On ne lui connaît qui plus est aucun bâtard ni aucune maîtresse ou amante de rencontre ! Il fait aussi suffisamment confiance à sa femme pour lui confier la régence du duché pendant ses campagnes militaires.
Insensible à cet amour conjugal, le pape Léon IX rechigne à agréer le mariage de Guillaume et Mathilde pour cause de cousinage et aussi par méfiance à l'égard des Normands de Sicile qui menacent sa sécurité. Après maintes tractations, le couple obtient enfin de son successeur Nicolas V qu'il valide leur union. Il promet en contrepartie de construire deux abbayes à Caen. Dédiées la première à la sainte Trinité, la deuxième à saint Étienne, elles sont plus connues sous le nom d'abbaye aux Dames et d'abbaye aux Hommes. Mathilde et Guillaume prévoient de se faire inhumer dans le chœur de l'église de leur abbaye respective.
Caen est une ville nouvelle créée par Guillaume lui-même près du littoral de la Manche et non loin de sa ville natale de Falaise pour remplacer Rouen comme capitale de son duché. Une cité fortifiée d'environ neuf hectares, l'une des plus grandes d'Europe, est bâtie sur un piton rocheux, avec les deux fameuses abbayes de part et d'autre. Caen va grandir très vite et devenir la véritable capitale de l'ensemble des possessions anglo-normandes.

Un trône convoité

Le sceau d'Édouard le Confesseur (1002-1066) avec l'inscription Sigillum Edwardi Anglorum Basilei
Le destin de Guillaume et Mathilde bascule avec la mort du roi d'Angleterre Édouard le Confesseur, le 5 janvier 1066.
Ce pieux roi avait fait vœu de chasteté et était mort sans descendance.
Les seigneurs anglo-saxons, qui dominent l'île depuis les invasions barbares, lui cherchent un successeur. Ils élisent l'un des leurs, Harold Godwinsson (la succession héréditaire est encore une exception à cette époque).
Mais le feu roi d'Angleterre avait de son vivant promis la couronne à beaucoup de prétendants, dont Guillaume, qui était son neveu.
Or, Harold, suite à un naufrage sur la côte normande, s'était un jour retrouvé prisonnier du duc Guillaume. Pour retrouver sa liberté, il avait juré qu'il défendrait le jour venu les droits de celui-ci à la couronne anglaise. Sans le savoir, il avait juré au-dessus d'un coffre rempli de saintes reliques, ce qui rendait son serment irrécusable du point de vue des témoins normands.
Guillaume le Bâtard conteste donc avec force l'élection de Harold comme roi d'Angleterre. Il plaide ses droits auprès des cours d'Europe. Le pape Alexandre II lui donne raison et, pour preuve de son appui, lui fait envoyer un étendard consacré et des reliques.
Sans attendre, le duc lance la construction d'une flotte de débarquement à l'embouchure de la Dive, près de Cabourg. De là, la flotte (un millier de navires tout de même) se dirige vers Saint-Valéry-sur-Somme et attend les vents favorables.
Le duc de Normandie Guillaume le Bâtard vainquit les Français à la bataille de Mortemer et envoya un messager au roi Henri de France vaincu, Chroniques de Saint-Denis, XIVe siècle

La bataille de Hastings

Apprenant qu'Harold a dû se rendre vers le Nord de son royaume à la rencontre d'envahisseurs norvégiens, Guillaume quitte la Normandie pour l'Angleterre avec quatre à six milliers d'hommes, y compris des mercenaires bretons, français et flamands, et de nombreux chevaux. Le duc débarque le 29 septembre 1066 sur la plage de Pevensey, là même où Jules César débarqua avec ses légions onze siècles plus tôt.
Harold arrive à sa rencontre avec ses troupes, au total sept ou huit mille hommes. Il dispose d'une infanterie réputée, les Housecarls. Il s'agit de Danois armés d'une longue hache. Mais ceux-ci sortent fourbus de leur victoire sur les Norvégiens, à Stanfordbridge, le 25 septembre 1066. Le roi d'Angleterre attend l'assaut de Guillaume sur la colline de Senhac, dans les environs de Hastings.
Le 14 octobre 1066, après un début de combat indécis, le duc de Normandie lance sa chevalerie (trois mille hommes) à l'assaut des lignes anglaises. Celles-ci résistent tant bien que mal aux chevaliers normands, pratiquement invincibles sur les champs de bataille.
À la fin de la journée, Guillaume ordonne à ses archers d'abandonner le tir en cloche pour adopter le tir tendu. C'est ainsi qu'Harold est blessé à l'oeil par une flèche. Aussitôt, un groupe de chevaliers se ruent sur lui et l'achèvent. La mort du roi entraîne la dispersion de ses troupes et la victoire définitive de Guillaume.
Sitôt après la victoire d'Hastings, le jour de Noël 1066, Guillaume est couronné roi d'Angleterre à l'abbaye de Westminster, à Londres, en présence d'un évêque anglais et d'un évêque normand. Les guerriers présents dans l'abbatiale lancent chacun des acclamations dans leur langue. À l'extérieur, les gardes normands, croyant à une bagarre, brûlent des maisons pour faire diversion. Toute l'assistance de l'église s'enfuit à l'exception du duc, troublé, et des deux évêques qui achèvent la cérémonie !
Mathilde, qui n'a pu arriver à temps, est à son tour couronnée deux ans plus tard.
Le serment d'Harold en faveur de Guillaume (tapisserie de la reine Mathilde, musée de Bayeux)

La première bande dessinée de l'Histoire
À Bayeux, en Normandie, on peut voir une célèbre broderie dite « tapisserie de la reine Mathilde », du nom de l'épouse de Guillaume. Elle raconte l'histoire de la Conquête sur 70 mètres de long et environ 50 centimètres de haut.
Cette broderie a été commandée à des artisans saxons par l'évêque de Bayeux, Odon de Conteville, demi-frère du duc Guillaume, pour orner le chœur de sa cathédrale. C'est la première bande dessinée connue. Elle constitue un inestimable témoignage sur les mœurs et la mode vestimentaire de l'époque...

Un réformateur hardi

Le nouveau souverain a beaucoup de mal à imposer sa domination sur l'Angleterre, alors peuplée d'environ deux millions d'hommes de toutes origines : Celtes, Anglo-saxons, Danois, Normands... (l'Angleterre en compte aujourd'hui près de 60 millions).
Femme et clerc (tapisserie de Bayeux, détail)
Il commence par construire une puissante forteresse sur les bords de la Tamise pour maintenir ses nouveaux sujets dans l'obéissance : l'actuelle Tour de Londres ! Il impose aussi une loi commune (« Common Law ») à l'ensemble de ses sujets. Il lance la construction de cinq cents forteresses pour tenir le pays, divise celui-ci en comtés ou « shires » et en confie l'administration à des officiers royaux ou « sheriffs ».
Guillaume ordonne par ailleurs un recensement des terres pour faciliter la collecte des impôts. Ce recensement, le premier du genre, est conservé dans un document célèbre, le « Doomsday Book » (en vieil anglais : le Livre du jugement dernier). Ce registre a été ainsi baptisé parce que l'on considérait qu'il était impossible de dissimuler quoi que ce soit aux enquêteurs... comme ce sera le cas le jour du Jugement dernier !
Les conquérants normands, au nombre d'une dizaine de milliers seulement, se partagent les seigneuries anglaises. Ils éliminent la noblesse issue des précédents envahisseurs, les Angles et les Saxons, et ils introduisent leur langue d'adoption, le français. Unies et protégées par leur insularité, les différentes populations du royaume ne vont pas tarder à fusionner en un seul peuple.

Amère vieillesse

Le roi Guillaume (en anglais William) a une fin de vie difficile... Veuf et privé du soutien de Mathilde, la seule femme qu'il ait jamais aimée, il doit faire face à de multiples séditions, y compris celle de son fils aîné Robert Courteheuse. Celui-ci s'irrite que la couronne d'Angleterre ait été promise à son frère puîné, Guillaume le Roux (ou Guillaume Rufus), le préféré de Guillaume.
Pressé de recueillir la Normandie et le Maine, ses héritages, Robert combat son propre père avec l'opportun concours du capétien Philippe 1er.
C'est ainsi que Guillaume le Conquérant meurt en 1087, suite à une glissade de son cheval, en combattant le roi de France. Il est enterré dans la discrétion à Saint-Étienne de Caen, l'abbaye de son conseiller Lanfranc, un éminent théologien originaire d'Italie devenu après la conquête archevêque de Cantorbéry.
Avec la fin de Guillaume débute une longue hostilité entre la France et l'Angleterre : pendant plus de 700 ans, les deux royaumes ne vont pratiquement jamais cesser de lutter l'un contre l'autre.

Une succession agitée

Guillaume sera, après sa mort, surnommé le Conquérant mais lui-même refusait ce surnom car il se considérait comme l'héritier légitime de la couronne anglaise et non comme un usurpateur ou un conquérant.
Sa descendance directe règne brièvement sur l'Angleterre.
Le roi Guillaume II le Roux, encore célibataire, a du mal à s'imposer face aux barons. Après la mort de Lanfranc, il laisse vacant l'archevêché de Cantorbéry de même que maints autres sièges ecclésiastiques. Cela lui permet de s'en approprier les revenus. Face à la pression du clergé et du pape, il finit par nommer à la tête de l'archevêché un disciple de Lanfranc, l'abbé de Bec-Hallouin, Anselme, un saint homme plus tard canonisé.
Les relations entre l'archevêque et le roi se tendent très vite. Guillaume le Roux est tué le 2 août 1100 d'une flèche au cours d'une chasse, peut-être à l'instigation du troisième fils du Conquérant, Henri Beauclerc. Celui-ci devient roi d'Angleterre au nez et à la barbe de l'aîné, Robert Courteheuse, parti à la croisade.
En 1106, le roi Henri Beauclerc trouve moyen d'enlever aussi à son frère le duché de Normandie. Mais il a le malheur de perdre ses propres fils dans le naufrage de la Blanche Nef, à la Noël 1120. À sa mort, le 1er décembre 1135, il lègue la couronne d'Angleterre à sa fille Mathilde mais la succession est contestée par un cousin de celle-ci, Étienne de Blois. Il s'ensuit quinze ans d'anarchie avant qu'Étienne ne se résigne à désigner comme héritier le fils de Mathilde, Henri II Plantagenêt. Celui-ci ceint la couronne le 19 décembre 1154.

Les îles britanniques : 2000 ans d'Histoire
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Cette série de 9 cartes illustre 2000 ans d'Histoire...
Elle nous mène de la conquête romaine à nos jours en passant par les invasions successives (Angles et Saxons, Danois, Normands) et les péripéties du dernier millénaire : guerres dynastiques, assaut espagnol et révolutions, unification de la Grande-Bretagne, crises irlandaises...

Bibliographie

Pour une approche de cette histoire, je ne saurais trop recommander le livre célèbre d'André Maurois, romancier français très anglophile : Histoire de l'Angleterre. C'est un excellent ouvrage de vulgarisation.
Les quarante successeurs de Guillaume sur le trône d'Angleterre :
1. Guillaume (William) Ier (1066-1087)
  1. Guillaume II (1087-1100)
  2. Henri (Henry) Ier (1100-1135)
  3. Étienne (Stephen) (1135-1154)
  4. Henri II Plantagenêt (1154-1189)
  5. Richard Ier (1189-1199)
  6. Jean sans Terre (1199-1216)
  7. Henri III (1216-1272)
  8. Édouard (Edward) Ier (1272-1307)
  9. Édouard II (1307-1327)
  10. Édouard III (1327-1377)
  11. Richard II (1377-1399)
  12. Henri IV de Lancastre (1399-1413)
  13. Henri V (1413-1422)
  14. Henri VI (1422-1461, 1470-1471)
  15. Édouard (Edward) IV d'York (1461-1470, 1471-1483)
  16. Édouard (Edward) V (1483)
  17. Richard III (1483-1485)
  18. Henri (Henry) VII Tudor (1485-1509)
  19. Henri (Henry) VIII (1509-1547)
  20. Édouard VI (1547-1553)22.
    Jane Grey (non sacrée) puis Marie (Mary) I (1553-1558)23.
    Élisabeth (Elizabeth) I (1558-1603)24.
    Jacques (James) Ier Stuart (1603-1625)25.
    Charles Ier (1625-1649) - Commonwealth (1649-1660)
  21. Charles II (1660-1685)27.
    1. Jacques II (1685-1688)28.
  22. Guillaume III d'Orange et Marie II (1689-1702)29.
  23. Anne (Ann) (1702-1714)30.
  24. Georges (George) de Hanovre Ier (1714-1727)31.
  25. Georges II (1727-1760)32.
  26. Georges III (1760-1820)33.
33 .Georges IV (1820-1830)34.
  1. Guillaume IV (1830-1837)35.
  2. Victoria (1837-1901)
  3. Édouard VII (1901-1910)37.
  4. Georges (George) V Windsor (1910-1936)38.
  5. Édouard VIII (1936)39.
  6. Georges VI (1936-1952)40.
  7. Élisabeth II (1952-2022)41.
  8. Charles III (2023- )
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2024.01.11 02:33 miarrial La tragédie arménienne Vie et mort du Haut-Karabagh

La tragédie arménienne Vie et mort du Haut-Karabagh
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24 septembre 2023. Les Arméniens du Haut-Karabagh (aussi appelé Nagorny Karabakh) ont déposé les armes le 20 septembre 2023 devant l’avancée des troupes azéries. C'est un succès éclatant pour le sombre tyran d'Azerbaïdjan, complice de la Turquie dans l'entreprise séculaire qui vise à détruire le peuple arménien. C'est aussi un crime contre l’humanité dénoncé comme tel par les organisations humanitaires. Fait aggravant, il a été commis par un État qui est encore membre du Conseil de l'Europe et participe à l'élaboration du droit européen !... Cela dit, en mettant fin à une sécession contraire au droit international, l'Azerbaidjan n'a pas agi différemment de l'Ukraine quand son armée est intervenue en 2014 contre les sécessionnistes du Donbass. Difficile de condamner l'un et soutenir l'autre...
L'Arménie et les pays limitrophes, carte journal La Croix, DR
Le drame actuel puise ses racines dans les conflits de ces derniers siècles entre les trois impérialismes de la région : le sultan ottoman, le chah d’Iran et le tsar russe.
Les Arméniens, comme leurs voisins kurdes et iraniens, sont issus des migrations indo-européennes d’il y a quatre ou cinq millénaires. Ils ont formé un royaume important dès avant notre ère en haute Mésopotamie et dans le Caucase, autour du mont Ararat, au sommet duquel se serait échouée l’arche de Noé, dixit la Genèse (dico). Mais déjà à cette époque, ils pâtirent de leur situation entre l’empire romain et l’empire rival des Parthes… Tôt christianisée, l’Arménie devint le premier État chrétien de l’Histoire mais se trouva bientôt isolée au milieu du monde musulman.
La bataille de Tchaldiran, en 1514, près du lac de Van, redessina la carte de la région. Ses conséquences perdurent aujourd’hui. Elle voit le sultan Sélim Ier affronter le chah séfévide Ismaïl Ier. Vainqueur, le sultan s’empare de l’Anatolie orientale, à savoir l’essentiel du Kurdistan et de l’ancien royaume d’Arménie. Le chah conserve une partie de l’Arménie et surtout une région de peuplement turcophone, l'Azerbaïdjan.

Le lieu de toutes les contradictions

Ainsi, d’un côté, les Kurdes, proches des Iraniens par la langue, passent sous l’autorité des Turcs et s’en tiennent à leur religion, l’islam sunnite ; de l’autre, les Azéris, que l'on nomme aussi Tatars, proches des Turcs par la langue, passent sous l’autorité des Persans et adoptent leur foi, l’islam chiite (dico).
En 1894-1896, comme les Arméniens de l’empire turc revendiquent une modernisation des institutions, le « Sultan rouge » Abdul-Hamid II entame leur massacre à grande échelle (300 000 morts). Vingt ans plus tard, ses successeurs parachèveront le crime.
De leur côté, les Russes, au nord, achèvent non sans difficulté la soumission des peuples du Caucase. Cette chaîne de hautes montagnes entre Caspienne et mer Noire devient la frontière « naturelle » de l’empire. C’est ainsi que le nord de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan deviennent russes.

Les ferments de la discorde

Arrive la révolution bolchévique en 1917. Plusieurs peuples inféodés aux tsars saisissent au vol l’offre qui leur est faite par Lénine de proclamer leur indépendance dès 1918. C’est le cas de la Finlande, de l’Ukraine et, dans le Caucase, de la Géorgie ainsi que de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan russes.
Mais c’est le moment où l’ancien empire des tsars se voit plongé dans une terrible guerre civile (1918-1921) qui va faire environ sept millions de morts. Les Alliés réunis à Paris pour solder la Grande Guerre envisagent la reconstitution de l’Arménie historique avec des territoires enlevés à la Russie et à la Turquie. Le traité de Sèvres du 10 août 1920 laisse au président des États-Unis le soin de définir ses nouvelles frontières. Le 22 novembre 1920, le président Wilson rend son verdict : outre les districts russes d’Érévan et Stépanakert (Haut-Karabagh), la nouvelle Arménie doit inclure les districts d’Erzurum, Van et Bitlis ainsi qu’un accès à la mer Noire ; au total 57 000 km2.
Mais le général turc Moustafa Kémal ne l’entend pas de cette oreille. Il envoie en septembre 1920 l’ancien Premier ministre turc Enver Pacha au Congrès des peuples de l’Orient qui se tient à Bakou, à l’initiative du gouvernement russe.
Enver Pacha, l'un des principaux responsables du génocide arménien de 1915, propose aux lieutenants de Lénine Zinoviev et Radek un partage du Caucase sur la base des frontières de 1914.
C’est ainsi que le 22 septembre 1920, à peine le traité de Sèvres signé, une Armée islamique du Caucase, constituée de Turcs et d’irréguliers azéris, passe à l’attaque. Elle s’empare le 30 octobre de Kars puis le 7 novembre d’Alexandropol (aujourd’hui Gyumri, deuxième ville d’Arménie). Comme à leur habitude, les Occidentaux n’interviennent pas.
Le 2 décembre 1920, Simon Vratsian, président de la république d’Arménie, se résigne à signer la paix d’Alexandropol avec la Turquie. Il désavoue le traité de Sèvres et renonce aux districts arméniens de Turquie. Quant au Nakhitchevan, un territoire de 5000 km2 et 500 000 habitants dont près d’une moitié d’Arméniens en lisière de la Perse, il passe sous protectorat turc. Le jour même, le président, déconfit, choisit de démissionner et laisse le pouvoir aux communistes.
Là-dessus, l’Arménie se voit plongée dans la guerre civile russe. Elle est soviétisée et laïcisée par l’Armée rouge avec une brutalité qui heurte jusqu’à Lénine, ce qui n’est pas peu dire ! La Russie conclut avec la Turquie à Kars, le 16 mars 1921, un traité « d’amitié et de fraternité » par lequel les Turcs conservent Kars et Ardahan mais renoncent à Batoum, qui est intégré à la Géorgie, et au Nakhitchevan.
Finalement, mise à part la Finlande, tous les peuples qui avaient choisi l’indépendance rentrent dans le rang en 1921 sous la férule du Géorgien Joseph Staline, « commissaire aux nationalités » dans le Conseil des commissaires du Peuple. Ils deviennent des républiques socialistes autonomes au sein de l’URSS, ainsi baptisée le 30 décembre 1922.
Staline fait le pari de semer la discorde au sein de ces républiques théoriquement libres de demander leur indépendance. C’est ainsi qu’il attribue la république autonome du Nakhitchevan à l’Azerbaïdjan bien qu’il n’ait aucune frontière avec lui. De la même façon, il maintient le Karabagh arménien enclavé au sein de l’Azerbaïdjan.
Plus tard, en 1954, Nikita Khrouchtchev n’agira pas autrement en attribuant la Crimée russe à l’Ukraine. Il voulait de la sorte accroître le poids des russophones au sein de cette république soviétique et faire barrage à son irrédentisme…

Nettoyage ethnique et crimes contre l’humanité

Dès les années 1920, les Azéris usent de tous les moyens pour chasser les Arméniens du Nakhitchevan. C’est chose faite en quelques années. Dans les années 1990, l’Azerbaïdjan étant devenu indépendant, le dictateur Gaydar Aliev, père de l’actuel dirigeant, fait détruire tous les vestiges patrimoniaux de la présence arménienne au Nakhitchevan (cimetières et églises).
Il va sans dire que le même sort attend le Haut-Karabagh (4000 km²) et les 120 000 Arméniens qui y vivent encore, maintenant que ce territoire est occupé par l’armée du dictateur Ilham Aliev.
Par le référendum du 10 décembre 1991, les habitants du territoire autonome du Haut-Karabagh votent leur indépendance sous le nom de république d'Artsakh (nom arménien du territoire) comme la Constitution soviétique leur en donnait le droit.
Les quinze Républiques socialistes soviétiques, dont la Géorgie (70 000 km², 4 millions d’habitants en 2019), l’Arménie (30 000 km², 3 millions d’habitants) et l’Azerbaïdjan (90 000 km², 10 millions d’habitants), et plusieurs autres entités autonomes de l’URSS… dont la Crimée, votent aussi, cette année-là, leur indépendance de façon démocratique.
Aucun État ne reconnaît la république d'Artsakh, pas même l’Arménie. Mais le blocus organisé par l’Azerbaïdjan l'oblige à intervenir militairement. Par leur détermination, les Arméniens, qui luttent une nouvelle fois pour leur survie, réussissent à repousser les troupes azéries, mal armées et peu motivées. Ils réussissent même à occuper deux districts azéris et établissent une continuité territoriale entre le Haut-Karabagh et l’Arménie. Face à la menace d’une catastrophe humanitaire due au blocus, l’ONU vote quatre résolutions et une instance d’arbitrage, le groupe de Minsk (États-Unis, France, Russie) obtient un cessez-le-feu en 1994.
La situation se stabilise pendant deux décennies. L'Arménie s'en remet à Moscou. En octobre 2002, elle participe à la fondation de l'Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC) sous l'égide de la Russie avec quatre autres républiques ex-soviétiques : la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan.
Dans le même temps, l’Azerbaïdjan modernise en accéléré ses forces armées et son industrie d’armement grâce à une fabuleuse rente pétrolière et gazière. Le dictateur Ilham Aliev lance sans succès une première guerre de Quatre jours (2-5 avril 2016) contre le Haut-Karabagh et l’Arménie. Il renouvelle sa tentative par une guerre de Quarante-Quatre jours (27 septembre-9 novembre 2020). Cette fois, il bénéficie du soutien actif des militaires turcs de la Turquie de Recep Tayyip Erdogan ainsi que de supplétifs syriens et d'armements israéliens !
L’Arménie, quant à elle, ne peut compter que sur le soutien de l’Iran auquel la relie un pont sur l’Ataraxe. Les deux États ont en commun d’être ostracisés par la « communauté internationale » et la République islamique manifeste à l’égard de sa minorité arménienne chrétienne une bienveillance qui ne se dément pas, sans comparaison avec l’intolérance meurtrière dont font preuve la Turquie et l’Azerbaïdjan, membres éminents du Conseil de l’Europe !
Étrangement, la Russie se tient à l'écart et s'abstient de protéger l'Arménie. Faut-il penser que Vladimir Poutine a été irrité par l’arrivée au pouvoir à Érévan, en 2018, d’un dirigeant pro-occidental, Nikol Pachinian ? Ou bien a-t-il voulu ménager la Turquie en précision du conflit à venir en Ukraine ? L'avenir nous le dira peut-être. Quoi qu'il en soit, le président n'intervient qu'à la fin, en se posant en arbitre. Il supervise la signature du cessez-le-feu, le 9 novembre 2020, et s'engage à maintenir deux mille soldats russes dans le Haut-Karabagh comme garants de la sécurité du territoire et de la protection des églises. L'Arménie s'en voit rassurée, bien à tort.
Le dernier acte s’est joué à l'automne 2022. Profitant de ce que la Russie est enlisée en Ukraine et que les Européens ont plus que jamais besoin du pétrole et du gaz de l'Azerbaïdjan, Ilham Aliev lance des attaques contre le territoire arménien lui-même ! Les 13 et 14 septembre, plus de trente localités sont bombardées et plus de deux cents militaires arméniens tués. L'armée azérie occupe plus de 50 km² de territoire arménien. À Érévan, c'est la consternation. Faute de soutien russe, le gouvernement arménien obtient en octobre de l'Union européenne qu'elle envoie une mission d'observation à sa frontière.
Le sommet de l'OTSC, qui se tient dans la capitale arménienne le 23 novembre 2022, témoigne de l'impuissance de Moscou à garantir la sécurité de son « étranger proche ». Le président arménien tourne ostensiblement le dos à son homologue russe et dans les rues de la capitale, on voit apparaître des manifestants hostiles à Poutine et arborant des drapeaux ukrainiens et européens ! Nikol Pachinian se désole et juge « accablant que l’appartenance de l’Arménie à l’OTSC n’ait pas pu contenir l’agression azérie ». Toutefois, il est conscient de ne pouvoir rien attendre non plus des Occidentaux...
Désormais sûr de son impunité, Bakou barre le 12 décembre 2022 le corridor de Latchine qui relie le Haut-Karabagh au reste du monde, et entame le blocus du territoire, menaçant sa population de mourir de faim. Le 19 septembre 2023 enfin, après un bombardement de Stepanakert, capitale de l’enclave, l’Azerbaïdjan obtient la reddition des derniers résistants. Le territoire est occupé par l'armée azérie et intégré à l’Azerbaïdjan. Sa population arménienne a aussitôt pris la route de l’exil pour échapper à des massacres, comme au Nakhitchevan précédemment. Elle a laissé derrière elle un patrimoine religieux et culturel voué à la destruction.
Maître d'œuvre de ce premier nettoyage ethnique du IIIe millénaire, Aliev cache mal son prochain objectif qui est d'établir une continuité territoriale entre l'Azerbaïdjan et le Nakhitchevan à travers la région arménienne du Syunik (ou Zanguezour), le long de la frontière irano-arménienne.

Impunité assurée

« La guerre que mène l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh n’est territoriale qu’en apparence. Il faut lire ce conflit dans l’histoire longue du génocide arménien perpétré par la Turquie en 1915, » écrit l’historien Vincent Duclert, spécialiste des génocides. « La Turquie et l’Azerbaïdjan ont entrepris de détruire un peuple de rescapés » (Le Monde, 22 septembre 2023).
Face à ce drame aux marges de l’Europe, l’Union européenne se montre impuissante, plus encore que la Russie.
Ilham Aliev
Rappelons que le dictateur de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliev, se range parmi les pires tyrans de la planète. Il doit son pouvoir non à des élections régulières mais à sa qualité d’héritier comme le Nord-Coréen Kim Jong-un, le Syrien Bachar El-Assad, le prince séoudien Mohamed Ben Salman ou encore le Gabonais Ali Bongo. Son régime est classé par Reporters sans frontières parmi les pires de la planète en matière de liberté d’expression (162e sur 179).
Par ses agressions renouvelées contre les Arméniens, il s’est rendu coupable des pires violations du droit international, sans comparaison avec l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, laquelle pouvait tout à fait se justifier politiquement et juridiquement.
Par ses bombardements des villes et surtout par sa volonté d’affamer littéralement la population du Haut-Karabagh, il s’est rendu coupable de crimes contre l’humanité en tous points assimilables à ceux qu’ont commis ses cousins turcs en 1894-1915 contre les Arméniens.
Il n'empêche que ce personnage figure encore au Conseil de l’Europe et ses magistrats siègent à la Cour européenne des droits de l’homme, un « machin » qui prétend dicter leur conduite aux citoyens de l’Union européenne, ce pour quoi le général de Gaulle avait judicieusement refusé d’y adhérer. Pour la galerie, rappelons que Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan, avait accueilli en 2012 le concours de l’Eurovision. Nonobstant le caractère kitch de cette manifestation, le symbole est désolant.
Ursula von der Leyen et Ilham Aliev à Bakou (18 juillet 2023)
On a exclu fort justement la Russie et la Biélorussie du Conseil de l’Europe suite à l’invasion de l’Ukraine, mais nul ne songe à faire de même pour l’Azerbaïdjan et pour cause ! En reprenant par la force un territoire sécessionniste qui lui est reconnu par le droit international, l'Azerbaidjan n'a pas agi différemment de l'Ukraine en 2014 quand son armée est intervenue au Donbass. Impossible de condamner le premier après avoir soutenu le second...
Le 18 juillet 2022, Ilham Aliev recevait avec de grands sourires la présidente de la Commission européenne Ursula von der Layen. Celle-ci venait avec l’objectif avoué de protéger les approvisionnements en gaz de l’Union et en premier lieu de sa patrie l’Allemagne, très affectée par le boycott de la Russie. C'était moins de deux mois avant les attaques de l'armée azérie contre l'Arménie ! Cinq mois à peine avant le blocus du Haut-Karabagh.
On peut raisonnablement penser que cette rencontre au sommet a pu conforter le dictateur dans sa résolution d’en finir avec les Arméniens du Haut-Karabagh. Il avait compris que les Européens plaçaient leur approvisionnement en carburant et en gaz bien au-dessus du droit humanitaire et, de fait, les Européens se sont gardés de toute menace de sanctions quand Ilham Aliev a lâché ses troupes. Ils ont aussi fermé les yeux sur le fait qu'une bonne partie du gaz et du pétrole vendus par Bakou vient de Russie !
Cela nous rappelle le mot de Churchill après les accords de Munich (1938) : « Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre ». Nous pouvons ici remplacer le mot « guerre » par « pénuries » même s’il n’est pas exclu que bientôt, l’Arménie elle-même soit assaillie par les deux brigands qui la tiennent en tenaille, Erdogan et Aliev, une nouvelle fois, craignons-le, sous le regard impavide de Poutine et des Européens.
Le 28 juin 2023, pendant le blocus du corridor de Latchine, l'écrivain Sylvain Tesson eut ces mots lors d’une manifestation de soutien à la République d’Artsakh à la salle Gaveau (Paris) : « Si le poste avancé d’une citadelle tombe, on ne donne pas cher du donjon. (...) Et si l’Artsakh était le poste avancé d’un donjon qui s’appelle l’Arménie. Et si l’Arménie était le poste avancé d’un donjon qui s’appellerait l’Europe ? »
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2024.01.06 18:02 miarrial En Algérie, les bars et leur culture disparaissent petit à petit

En Algérie, les bars et leur culture disparaissent petit à petit
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De nombreux gérants mettent la clé sous la porte, soumis à la double pression des autorités et de certaines franges de la population guidées par les salafistes.

Dans la ville de Béjaïa, au moins 20 bars sur 45 ont baissé le rideau en quinze ans
S'il n'y a pas de recensement exhaustif des bars fermés à travers les cinquante-huit départements du pays, on sait que de 2005 à 2008, 2 116 bars ont été fermés sur ordre des autorités, pour infraction à la loi ou à la suite de plaintes de citoyens (souvent guidés ou stimulés par des salafistes).
Parfois, ces décisions sont justifiées. C'est le cas pour plusieurs bars et débits de boissons attaqués et pillés en 2002 par des manifestants en colère après la mort d'une personne dans la ville d'El Kala (à 700 kilomètres à l'est d'Alger). Ce genre d'incidents, souvent suivis d'émeutes, a amené les autorités à durcir davantage leurs mesures de restrictions.
Dans la ville de Béjaïa (200 kilomètres à l'est d'Alger), au moins 20 bars (sur un total de 45) ont baissé le rideau en quinze ans, à cause d'un environnement social hostile et d'une législation très restrictive, soumettant les établissements servant de l'alcool à des licences réservées aux anciens combattants de la guerre 1954-1962. Café de France, par exemple, l'un des plus anciens bars de la ville, a été fermé en 2019 parce que la durée de validité de sa licence arrivait à expiration, après le décès de l'unique héritière. La loi dispose que la licence de bar reste valide onze mois après la mort de la veuve du titulaire dudit document.
Plus qu'un lieu de commerce, ce bar était pendant des années le lieu de rencontre privilégié des gens de culture, des artistes et des journalistes. «Depuis la fermeture de Café de France, j'ai presque arrêté de fréquenter les bars», nous confie Rachid, enseignant à l'université. Et de poursuivre, l'air dépité: « Les bars ont tendance à devenir des lieux de saoulerie et ne contribuent plus, comme avant, à tisser des liens d'amitié et d'échange. La culture du bar tend à disparaître chez nous, ce qui fait bien l'affaire des islamistes et du pouvoir qui, sur cette question, se rejoignent », résume notre interlocuteur.

« Une ville sans bar n'en est pas une ! »

Outré par cette situation, Adel Sayad, animateur radio et poète, a envoyé en 2017 une lettre insolite –qui a suscité beaucoup de sympathie– au Premier ministre de l'époque, un certain Abdelmadjid Tebboune. Il y exprimait toute sa colère de découvrir les débits de boissons de sa ville frontalière, Tébessa, fermés, et de se retrouver obligé d'acheter sa bière chez les petits trafiquants du coin.
Contacté par Slate, le poète dit avoir le même sentiment aujourd'hui. «Une ville sans bar n'en est pas une, lâche-t-il d'entrée. À chaque fois qu'un bar ou un débit de boissons ferme, c'est une buvette clandestine qui s'ouvre, où l'on nous revend la même boisson trois fois son prix. Donc, logiquement, les premiers bénéficiaires de ces fermetures sont les spéculateurs et les bandes de trafiquants qui tiennent le marché informel.»
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À ce rythme, on ne trouvera plus du tout de bars en Algérie dans quelques années. Déjà aujourd'hui, en dehors de deux ou trois grandes villes (et de la Kabylie), il ne faut même pas chercher à savoir s'il en existe encore. Les rares estaminets qui restent ouverts, souvent dans la clandestinité, ferment les uns après les autres. De nombreux gérants ont fini par céder à la double pression administrative et populaire qui s'est accentuée ces vingt dernières années.

Un cocktail de répression et de salafisme

La fermeture de ces établissements a commencé pendant la montée de l'islamisme au début des années 1990. Des bars furent incendiés dans une campagne de moralisation de la vie publique enclenchée par le Front islamique du salut (FIS), parti qui promettait d'instaurer la charia s'il accédait au pouvoir. Il y eut, ensuite, une deuxième vague, en 2005, lorsqu'un ministre islamiste du Commerce, El Hachemi Djaâboub, a décidé de corser l'octroi et le renouvellement des autorisations.
Ainsi, pour une simple infraction (telle que le non-respect des horaires) ou sur une plainte de voisins protestant contre des tapages nocturnes, des décisions de fermeture, temporaire ou définitive, sont promptement délivrées, sans laisser la moindre possibilité de recours. Cela s'applique aussi aux échoppes de vins et liqueurs, et aux restaurants et hôtels servant de l'alcool.
«Les Algériens pris en flagrant délit de consommation d'alcool [...] seront poursuivis devant les tribunaux.»
Décret n°62-147 du 28 décembre 1962
Officiellement, la vente et la consommation d'alcool en Algérie sont soumises à des autorisations délivrées par des commissions départementales présidées par le wali (préfet), et sont régies par des instructions strictes. En dehors des licences de bars accordées aux moudjahidines, des autorisations peuvent être délivrées à des gérants d'hôtels, de restaurants ou de débits de boissons, sous certaines conditions (nécessités touristiques, par exemple).
À l'origine, la consommation d'alcool est interdite aux Algériens «de confession musulmane», en vertu du décret n°62-147 du 28 décembre 1962. «Les Algériens pris en flagrant délit de consommation d'alcool [...] seront poursuivis devant les tribunaux.» N'empêche que tout un commerce illégal s'est développé au vu et au su des autorités. Il n'y a qu'à voir le nombre de buvettes clandestines qui pullulent aux abords des villes et villages, et dont certaines continuent d'ouvrir même pendant le ramadan (période durant laquelle tous les bars baissent rideau), pour mesurer à quel point la politique répressive a eu un effet contraire à son objectif. Cette attitude des autorités contraste avec le chiffre d'affaires du vin produit par l'État, qui avoisine les 150 millions de dollars.
Le gouvernement algérien a essayé de se rattraper en osant inviter, dès 2013, les gérants des bars et autres débits de boissons fermés à Alger –pour diverses raisons– à rouvrir, dans le cadre d'un plan de rénovation de la capitale. Mais le pouvoir s'est vite déjugé, lorsque le Premier ministre de l'époque, Abdelmalek Sellal (aujourd'hui en prison après avoir été condamné dans des affaires d'abus de pouvoir) a désavoué son ministre du Commerce, le laïc Amara Benyounès, qui avait diffusé une circulaire libéralisant le commerce en gros des boissons alcoolisées. Ce dernier sera ensuite jeté à la vindicte populaire et lynché par des imams salafistes.
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En définitive, la fermeture des bars n'a pas enrayé les «fléaux sociaux» que sont la délinquance et la prostitution, principal credo des anti alcool. Au contraire, elle en a créé un beaucoup plus dangereux: la hausse du trafic des drogues, y compris les dures. En 2020, l'Office national de lutte contre la drogue et la toxicomanie a recensé 21.638 toxicomanes, dont 4,30% âgés de moins de 15 ans, 46,20% de 16 à 25 ans, et 34,86% de 25 à 35 ans. Plus récent, le trafic des psychotropes fait des ravages et pose un réel défi aux autorités, malgré les importantes saisies annoncées dans la presse. La réouverture des bars aiderait-elle à atténuer ce fléau ?
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2024.01.06 11:49 miarrial Molière (1622 - 1673) Quatorze ans de comédies pour accéder à l'immortalité

Molière (1622 - 1673) Quatorze ans de comédies pour accéder à l'immortalité
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Molière ! Parmi tous les auteurs qui ont illustré la langue française, de Rabelais et Montaigne à Hugo et Proust, il est le seul à faire consensus.
Jean-Baptiste Poquelin dit Molière (Paris, 15 janvier 1622 ; 17 février 1673), 1671, Pierre Mignard, musée Condé, Chantilly
Familier du jeune roi Louis XIV, il a mis en scène dans ses comédies toutes les classes sociales, tous les caractères et toutes les formes de langage, du plus précieux au plus populaire.
C'est au point que ses personnages servent encore à désigner la plupart de nos traits : Harpagon (l'avare), Agnès (l'ingénue), Don Juan (le libertin), Trissotin et Diafoirus (faux savants et mauvais médecins), Tartuffe (faux dévot et hypocrite), etc.
C'est au point aussi que le français est usuellement désigné comme « la langue de Molière » et jamais autrement, même si l'on ne parle plus vraiment de la même façon qu'à la cour de Louis XIV !
Cette apothéose sans égale a été acquise dans un délai très bref. À 37 ans, quand il a remporté son premier succès auprès du roi, Molière était connu comme un excellent comédien et un directeur de troupe charismatique. Mais il n'avait encore rien écrit. Au prix d'un travail acharné qui allait lui valoir une mort prématurée, il allait enchaîner tous ses chefs d'œuvre, une trentaine de pièces, en quatorze années seulement.
Les farceurs français et italiens (Molière est à gauche), peinture attribuée à Verio, 1670, Comédie-Française

Treize ans d'errance voués à la scène

Le futur comédien est né à Paris, 96 rue Saint-Honoré, dans une famille de riches marchands tapissiers. Son père Jean Poquelin a acheté en 1631 la charge convoitée de « tapissier ordinaire de la maison du roi » et compte bien la léguer à son fils aîné. Louis XIII, Celui-ci est baptisé à l'église Saint-Eustache le 15 janvier 1622.
Enfant, Jean-Baptiste Poquelin partage la passion de son grand-père maternel pour le théâtre et découvre la troupe des comédiens du roi de l'Hôtel de Bourgogne comme celle du théâtre de l'Hôtel du Marais et surtout la salle du Petit-Bourbon, près du Louvre, où se produisent les comédiens italiens. Le théâtre est à l'époque, le principal divertissement profane accessible aux classes aisées. Un divertissement pas vraiment populaire quand on sait qu'une entrée équivaut au salaire quotidien d'un manouvrier. Les comédiens, s'ils sont officiellement excommuniés par l'Église à l'égal des prostituées, n'en mènent pas moins un train de vie très confortable et sont volontiers entretenus par les grands seigneurs, soucieux d'épater leurs relations avec des spectacles de qualité.
Pierre Gassin
Jean-Baptiste a dix ans quand il perd sa mère, Marie Cressé, épuisée par six grossesses.
Il fait là-dessus d'excellentes études dans le très réputé collège jésuite de Clermont (aujourd'hui lycée Louis-le-Grand), où il côtoie quelques enfants de la haute aristocratie et bénéficie d'excellents enseignants comme Pierre Gassendi (1592-1655), disciple d'Épicure, un prêtre et mathématicien aux mœurs irréprochables, par ailleurs considéré comme le premier « libertin érudit ».
Il s'oriente vers le droit, mais sans guère l'envie d'y donner suite, au grand regret de son père.
Tiberio Fiorilli (9 novembre 1608, Naples ; 7 décembre 1694, Paris) en Scaramouche (portrait par Pietro Paolini, XVIIe siècle)
Avocat à 18 ans, Jean-Baptiste se lie avec des comédiens et en particulier Tiberio Fiorelli, dit Scaramouche, vedette de la commedia dell'arte.
Il rencontre aussi Madeleine Béjart (24 ans), issue d'une famille bourgeoise tout comme lui. Elle participe à la troupe de l'hôtel du Marais ainsi que ses frères Joseph et Louis et elle est déjà célèbre par ses rôles et ses écrits. Elle devient la maîtresse de Jean-Baptiste Poquelin après avoir été celle d'Esprit Rémond, seigneur de Modène. Elle va contribuer à sa formation théâtrale et mettre à jour son génie.
Fort de ces nouvelles amitiés, Jean-Baptiste renonce à la charge de tapissier du roi au profit de son frère cadet pour suivre sa vocation de comédien. Le 30 juin 1643, il signe un contrat d'association avec neuf autres comédiens dont la fratrie Béjart et investit tout l'héritage de sa mère dans l'affaire. C'est ainsi que naît l'Illustre-Théâtre. Six semaines plus tôt est mort le roi Louis XIII, laissant le trône à son fils Louis XIV (5 ans)...
La nouvelle compagnie aménage aussitôt la salle du jeu de paume des Métayers, près du Pont Neuf, et met à l'affiche quelques bonnes tragédies. Elle reçoit le soutien de Gaston d'Orléans, dit « Monsieur », frère de l'ancien roi et lieutenant général du royaume. Le 28 juin 1644, par acte notarié, Jean-Baptiste Poquelin adopte le nom de scène sous lequel il se rendra immortel : « de Molière ». Le nom a l'avantage de sentir bon le terroir et les meules. Il rappelle aussi à quelques initiés un poète libertin mort vingt ans plus tôt.
Jean-Baptiste Poquelin, Madeleine et sept autres comédiens établissent leur petite troupe dans une salle du jeu de paume dite des Métayers puis dans celle de la Croix-Noire. Mais la concurrence est rude, le succès se fait attendre, l'argent file entre les doigts et la faillite survient deux ans plus tard, en mai 1645. C'en est fini de l'Illustre-Théâtre. La troupe se disperse. Quant à Molière, il connaît la prison pour dettes pendant quelques jours au Châtelet, en août 1645, avant que son père ne verse sa caution. Il devra toutefois rembourser ses dettes jusqu'en 1666.
Molière et Madeleine Béjart décident alors de ne pas rester à Paris et de chercher fortune en province. Roulant carrosse, ils entament des tournées à travers la France, de ville en ville, de château en château, en Normandie, Bretagne, Limousin, Bordelais, Languedoc... Là, ils s'associent avec la compagnie du comédien Charles Dufresne, qui bénéficie du soutien du duc d'Épernon, gouverneur de Guyenne.
Molière, dessin aux trois crayons, sanguine, fusain et rehauts blancs (portrait par Roland Lefèvre, ami du comédien, vers 1658)
Le château de la Grange-des-Prés, près de Pézenas
Sans trop se soucier de la Fronde, une guerre civile qui affecte le pays de 1648 à 1653, la nouvelle troupe Dufresne-Molière parcourt le pays, du Languedoc jusqu'à la Bourgogne, en passant par Lyon et le Dauphiné.
Leur point d'attache est Pézenas, dans le Haut-Languedoc, où ils bénéficient de la protection d'un grand seigneur libertin, le comte d'Aubijoux, lieutenant général du roi pour le Haut-Languedoc, avant que ne prenne le relais Armand de Bourbon-Conti, gouverneur du Languedoc, prince de sang et frère du Grand Condé, ami de Molière.
Le fauteuil de Molière chez le barbier Gély (aujourd'hui au musée de Pézenas)
Quand elle n'anime pas une célébration ou une fête dans une ville ou une autre, la troupe assure les divertissements du prince dans la villégiature du prince, à la Grange-des-Prés, près de Pézenas.
Dans cette vie d'errance, Molière s'imprègne des façons d'être et des patois locaux. À Pézenas, Molière révèle très vite d'exceptionnels dons de comédien, tant dans la tragédie que dans la comédie. Excellent aussi dans le montage des représentations et la direction des comédiens, il devient très naturellement le chef de la compagnie et sa réputation s'étend dans le royaume. À Pézenas, chez le barbier Guillaume Gély où il a son fauteuil attitré, il prend le temps d'écouter et d'enregistrer les conversations des uns et des autres.
Pour l'heure, Molière se contente toutefois de composer de petites farces destinées à être jouées en début de représentation, avant le plat de résistance, généralement une tragédie. À Lyon, où la compagnie se produit très fréquemment, Molière, qui se rêvait en tragédien, crée en 1655 sa première comédie, L'Étourdi ou le contretemps.
L'année suivante, à Béziers, Molière joue une nouvelle comédie de sa composition, Le Dépit amoureux. Le succès populaire de cette comédie le convainc Molière qu'il est temps de remonter à Paris...
Molière dans le rôile de César, dans La Mort de Pompée, une tragédie de Pierre Corneille,1658, Nicolas Mignard, musée Carnavalet, Paris
Au passage, à Avignon, à l'automne 1657, le comédien s'arrête dans l'atelier des frères Nicolas et Pierre Mignard, qui rentrent de leur voyage d'initiation en Italie. Pour le premier, il va poser dans son costume de tragédien, dans son costume de César et c'est aujourd'hui sous ce portrait qu'il est le plus connu. Pierre Mignard va quant à lui représenter le comédien dans une pose plus naturelle, en robe de chambre, avec un regard direct qui saisit le spectateur.
En 1658, Molière et sa troupe se rendent à Rouen, pour se rapprocher de Paris et Versailles. Ils y sont accueillis par le « grand Corneille », de quinze ans son aîné, et son frère Thomas (note).
À cette occasion, Thomas et Pierre Corneille se livrent à une joute poétique en hommage à la belle Marie-Thérèse de Gorla, dite Marquise du Parc, l'une des actrices de la troupe. Il en résulte les Stances à Marquise, mises en musique beaucoup plus tard... par Georges Brassens : Marquise, si mon visage A quelques traits un peu vieux, Souvenez-vous qu’à mon âge Vous ne vaudrez guère mieux.
Jean-Léon Gérôme, Une collaboration (Molière et Corneille), 1873

Triomphe, amitiés et jalousies

De retour à Paris, à l'âge avancé de 36 ans, Molière n'a encore rien écrit de notable mais il bénéficie d'une excellente réputation de comédien. Sur une recommandation de Pierre Mignard, il rencontre Philippe d'Orléans, dit « Monsieur », frère unique du roi, dans sa résidence du Palais-Royal. Pour lui, Molière crée la « troupe de Monsieur, frère du roi » et il entre en concurrence avec les deux troupes illustres de la scène parisienne, les Comédiens italiens et la troupe de l'Hôtel de Bourgogne.
Philippe d'Orléans obtient que sa troupe joue au Louvre, dans la salle des gardes, ou salle des caryatides, devant son frère, le jeune roi Louis XIV, âgé de 20 ans. C'est ainsi que le 24 octobre 1658, non sans trac, Molière interprète Nicomède devant le Roi-Soleil et sa cour. Mais la tragédie du vénérable Corneille ne déride pas le roi. Le comédien enchaîne alors dans la foulée avec une farce de sa composition, Le Docteur amoureux, qui va le faire rire aux éclats !
Sa carrière parisienne est enfin lancée et les aristocrates lui ouvrent aussi leurs portes pour des représentations privées ! Qui plus est, la troupe accueille un nouveau-venu, Charles Varlet, dit La Grange, qui va tenir les rôles de jeune premier. Molière va pouvoir donner dans les quatorze années qu'il lui reste à vivre la totalité de ses chefs-d'œvre. Près de dix ans après sa mort, c'est La Grange qui prendra l'initiative de mettre par écrit et éditer toutes ces pièces, Molière lui-même ne s'étant jamais soucié de le faire. La Grange consignera aussi dans un précieux Registre tous les faits et gestes de la troupe depuis son arrivée.
Molière triomphe à Paris le 18 novembre 1659 avec Les Précieuses ridicules, une satire des prétentions intellectuelles de l'élite dont le succès fonctionne très largement sur l'autodérision. C'est en bonne partie d'eux-mêmes que rient les spectateurs en applaudissant cette pièce.
Illustration de François Boucher pour les Précieuses ridicules de Molière. Dessin à la plume et au lavis, XVIIIe siècle, Paris, BnF
Ayant reçu de son père, en 1660, la charge de tapissier ordinaire du roi, le comédien peut dès lors approcher celui-ci sans trop de difficultés. Il assume une fonction équivalente à celle de bouffon du roi, avec le droit de tout dire et de tout jouer. Des contemporains admiratifs en viennent à le considérer comme un « demi-dieu ». La protection du roi lui permet de faire face aux cabales, jalousies et médisances. Elle lui vaut aussi des revenus très élevés, qu'il dépense aussitôt que gagnés.
Madeleine Béjart dans le rôle de Magdelon (Les Précieuses ridicules)
Le comédien joue avec sa troupe à Vaux-le-Vicomte, pour le surintendant des Finances Nicolas Fouquet. Le richissime mécène lui commande une pièce pour une grande fête dans son château de Vaux-le-Vicomte, le 17 août 1661, à laquelle sont invités le roi et la cour.
Écrite en deux semaines, cette pièce de 800 vers est une première ébauche des comédies-ballets de Molière. Elle amorce sa collaboration avec le compositeur Lully (on écrit aussi Lulli). La représentation est précédée d'un prologue dans lequel apparaît Madeleine Béjart, en naïade très dévêtue qui, malgré ses 43 printemps, plonge dans l'extase tous les messieurs de la cour. Elle adresse au roi un charmant compliment : Pour voir en ces beaux lieux le plus beau roi du monde, Je viens à vous, mortels, de ma grotte profonde. Nous l'avons vu, Jeune, victorieux, sage, vaillant, auguste, Aussi doux que sévère, aussi puissant que juste, Régler de ses États etses propres désirs, Joindre aux nobles travaux les plus nobles plaisirs.
Intitulée de façon quelque peu prémonitoire Les Fâcheux, la pièce ne va pas porter chance au surintendant. Celui-ci sera arrêté par les mousquetaires du roi le 5 septembre suivant ! Qu'à cela ne tienne, Molière va désormais jouer avec sa troupe à Versailles, devant le jeune Louis XIV.
Il va aussi partager jusqu'à sa mort le théâtre du Petit-Bourbon, au Palais-Royal, avec la troupe italienne de Scaramouche, sa troupe jouant seulement les jours extraordinaires, c'est-à-dire mardi, vendredi et dimanche.
À cette suractivité, Molière ajoute une crise sentimentale. Pour des raisons obscures, soit le souci de protéger les revenus du ménage, soit tout simplement le « démon de midi », il rompt sa relation amoureuse avec Madeleine Béjart et, le 20 février 1662, épouse Armande, la fille de sa maîtresse, de 20 ans sa cadette. Pour elle, il va écrire ses plus beaux rôles féminins.
Portrait présumé d'Armande Béjard (1660, Pierre Mignard, musée Carnavalet)
Armande est vraisemblablement la fille illégitime d'Esprit Rémond, ancien amant de Madeleine, et pour sauver la réputation de ce dernier, la famille Béjart a longtemps accepté de la faire passer pour la jeune sœur de sa mère ! Ce mensonge en entraîne d'autres. Monfleury, un comédien jaloux de l'Hôtel de Bourgogne, accuse Molière d'inceste sur sa fille adoptive dans un placet adressé au roi !
Le roi mettra un terme aux calomnies en acceptant d'être le parrain de Louis, le premier enfant d'Armande et de Molière, en février 1664. Le couple aura trois autres enfants mais seule une fille leur survivra ; entrée dans les ordres, elle mourra sans descendance en 1725.
Le 26 décembre 1662, au théâtre du Palais-Royal, Molière fait sensation avec L'École des Femmes. C'est une dénonciation audacieuse et violente de l'asservissement des femmes et du mariage de convention. C'est aussi une satire des vieux barbons qui s'achètent les faveurs d'un tendron et l'on peut se demander s'il ne l'a pas écrite en référence à sa propre situation.
Lui-même, sans craindre de se désigner à la satire, joue dans cette pièce le rôle vedette, celui d'Arnolphe, le vieux prétendant de l'ingénue Agnès. Il a d'abord pensé à confié ce rôle à son épouse mais celle-ci n'ayant pas encore une expérience suffisante de la comédie, c'est Marquise, dite « Mademoiselle du Parc », qui va interpréter le rôle.
Face à la cabale de ses contradicteurs, Molière répond par une pièce en un acte, La Critique de l'École des Femmes, le 1er juin 1663, au théâtre du Palais-Royal. La pièce fait dialoguer deux femmes autour de L'École des Femmes et des vertus du rire au théâtre. Comme cela ne suffit pas à faire taire les jaloux, le comédien produit une nouvelle pièce en un acte, L'Impromptu de Versailles, le 14 octobre 1663, dans laquelle il expose les vertus de la comédie en prenant le roi à témoin : « Je leur abandonne de bon cœur mes ouvrages, ma figure, mes gestes, mes paroles, mon ton de voix, et ma façon de réciter, pour en faire et dire tout ce qu’il leur plaira, s’ils en peuvent tirer quelque avantage : je ne m’oppose point à toutes ces choses, et je serai ravi que cela puisse réjouir le monde. Mais en leur abandonnant tout cela, ils me doivent faire la grâce de me laisser le reste et de ne point toucher à des matières de la nature de celles sur lesquelles on m’a dit qu’ils m’attaquaient dans leurs comédies. »

L'École des Femmes, plaidoyer féministe avant l'heure
Par-delà ses sous-entendus grivois, L'École des femmes, créée au théâtre du Palais-Royal le 5 décembre 1662, est un plaidoyer féministe plus que jamais d'actualité. Qu'on en juge :
Frontispice de l'édition de 1734 de L'École des Femmes (dessin de François Boucher)
Le mariage, Agnès, n'est pas un badinage. À d'austères devoirs le rang de femme engage : Et vous n'y montez pas, à ce que je prétends, Pour être libertine et prendre du bon temps. Votre sexe n'est là que pour la dépendance. Du côté de la barbe est la toute-puissance. Bien qu'on soit deux moitiés de la société, Ces deux moitiés pourtant n'ont point d'égalité : L'une est moitié suprême, et l'autre subalterne : L'une en tout est soumise à l'autre qui gouverne. Et ce que le soldat dans son devoir instruit Montre d'obéissance au chef qui le conduit, Le valet à son maître, un enfant à son père, À son supérieur le moindre petit frère, N'approche point encor de la docilité, Et de l'obéissance, et de l'humilité, Et du profond respect, où la femme doit être Pour son mari, son chef, son seigneur, et son maître. Lorsqu'il jette sur elle un regard sérieux, Son devoir aussitôt est de baisser les yeux ; Et de n'oser jamais le regarder en face Que quand d'un doux regard il lui veut faire grâce, C'est ce qu'entendent mal les femmes d'aujourd'hui : Mais ne vous gâtez pas sur l'exemple d'autrui.
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VIDÉO

La cabale des dévots

En 1664, Molière et Lully s'associent pour composer la première comédie-ballet authentique, Le Mariage forcé, qui mêle étroitement l'intrigue théâtrale, la danse et la musique. En sept ans de collaboration, avant que la brouille et la mort ne les séparent, « les deux Baptistes » (ils portent le même prénom) en créeront au total onze. Ils seront secondés en cela par Pierre Beauchamp, maître de ballet de l'Académie royale de musique, et Giacomo Torelli, spécialiste des machines de théâtre et des effets spéciaux. Le roi lui-même, excellent danseur, aime volontiers se produire dans ces ballets.
Deux ans après la cabale des pudibonds contre L'École des Femmes, le jeune roi lui-même souffle à Molière l'idée d'une pièce sur l'hypocrisie religieuse. Mais le comédien doit faire face à une cabale des dévots autour de la reine mère, Anne d'Autriche, dès la première représentation de Tartuffe ou l'Hypocrite, le 12 mai 1664, dans le parc de Versailles, lors des fêtes des « Plaisirs de l'Île enchantée ». Parmi ces dévots rassemblés dans une société secrète, la Compagnie du Saint Sacrement, figure le prince de Conti, qui a rompu avec sa vie de libertin. D'ex-protecteur de Molière, il devient l'un de ses plus tonitruants opposants.
Anne d'Autriche ayant fait interrompre cette première représentation, c'est seulement le 29 novembre suivant, chez Henriette d'Angleterre, belle-sœr du roi, que le comédien peut donner l'intégralité de sa pièce. Louis XIV lui en sait gré et, en juin 1667, offre à Molière une très généreuse pension de 6000 livres. Sa troupe devient « La troupe du Roi, au Palais-Royal ».
Le clan des dévots ne renonce pas pour autant et, le 11 août 1667, l'archevêque de Paris Hardouin de Péréfixe promet l'excommunication à quiconque jouera Tartuffe ou simplement verra la pièce. C'est seulement dix-huit mois plus tard, après la mort d'Anne d'Autriche et la dissolution de la Compagnie du Saint Sacrement, que le roi autorise à nouveau la pièce. Par précaution, Molière en atténue le caractère anticlérical en lui ajoutant deux actes supplémentaires et en changeant le titre en Tartuffe ou l'Imposteur : le personnage éponyme n'est ainsi plus un homme d'Église ordinaire mais un faux dévot. La pièce fait un triomphe le 5 février 1669.
Alexandre-Évariste Fragonard, Don Juan et la statue du Commandeur, 1830-1835, Strasbourg, musée des Beaux-arts
Quelques jours plus tard décède le père de Molière, avec sans doute la satisfaction de voir que son aîné a réussi sa carrière mieux qu'il ne l'aurait jamais rêvé, tout en prenant les plus grands risques.
Sont apparus entre temps d'autres chefs-d'œvre : Le Festin de pierre ou l'Athée foudroyé (1665), plus tard rebaptisé Don Juan, une pièce en prose qui est une réponse à la cabale de Tartuffe et inspirera plus tard Mozart (1665), le Misanthrope ou l'Atrabilaire amoureux (1666), l'Avare (1668)... Et puis, à défaut de s'en prendre directement aux vrais ou faux dévots, Molière met en scène une autre corporation dont il dénonce l'arrogance, le pédantisme et l'incompétence, celle des médecins. En cinq jours, en 1665, à la demande du roi, il écrite et représente une première comédie autour de la maladie et la médecine, L'Amour médecin. Viendront ensuite Le Médecin volant, Le Médecin malgré lui, Monsieur de Pourceaugnac, enfin Le Malade imaginaire.
Le comédien connaît en 1667 une blessure d'amour-propre quand il se voit trahi par le jeune Jean Racine, nouveau tragédien à la mode, qui lui enlève sa pièce Alexandre le Grand et la confie à la troupe rivale de l'hôtel de Bourgogne. Mais il n'a pas lieu d'en être beaucoup affecté. Au sommet de la gloire, il délègue à La Grange la conduite de la troupe cependant que lui-même délaisse son logement de la rue Richelieu, à deux pas du Palais-Royal (et de l'actuelle Comédie Française). Il lui préfère sa villégiature du village d'Auteuil où il passe le plus clair de son temps en bonne compagnie, avec ses amis de tous milieux, parmi lesquels Boileau qui voudrait le voir se consacrer à l'écriture.
En 1668, Louis XIV se sépare de l'aimante Louise de La Vallière et installe la marquise de Montespan dans le rôle de favorite. Mais le mari de celle-ci prend mal la chose et pour l'apaiser, le jeune roi fait appel à Molière qui monte la pièce Amphytrion. Il y est question de Jupiter qui séduit la belle Alcmène en prenant les traits de son mari Amphytrion, lequel s'entend dire : Un partage avec Jupiter, N'a rien du tout, qui déshonore Et sans doute, il ne peut être que glorieux, De se voir le rival du souverain des Dieux.
Beaucoup de ces chefs-d'œvre expriment, derrière le rire, une dénonciation des rigidités bourgeoises du Grand Siècle et une approche quelque peu libertine de la vie, même si le dramaturge prend soin de se démarquer des libertins athées des salons parisiens. Plus que tout, ils témoignent de la vitalité de la langue française, laquelle continue encore aujourd'hui d'être qualifiée « langue de Molière ».
Molière et les sarcastiques de sa troupe, Edmond Geoffroy, 1857, Comédie Française

Le ciel s'obscurcit

Au service du roi, Molière est sollicité par celui-ci après une réception de l'ambassadeur du Grand Turc en décembre 1669. Celui-ci, émissaire de second rang, aurait commis l'affront de se moquer des mœurs de la Cour. En manière de représailles, Louis XIV demande à son comédien un « ballet turc ridicule ». C'est ainsi qu'en cinq semaines, avec le concours de Lully et Beauchamp, Molière écrit et monte Le Bourgeois gentilhomme. La comédie-ballet est présentée avec faste au château de Chambord le 14 octobre 1670. Elle moque les Turcs bien sûr, mais plus encore la nouvelle bourgeoisie qui prétend se hisser dans l'aristocratie par la seule vertu de sa fortune. Autant dire que la pièce ravit les nobles de la Cour.
Première page du Bourgeois gentilhomme dans l'édition de 1688
Là-dessus, pour le carnaval de 1671, le roi sollicite « les deux Baptistes » pour une grandiose tragédie-ballet, destinée à être jouée aux Tuileries. Mais Molière et Lully en sont arrivés à une franche détestation réciproque et l'affaire traîne en longueur. En catastrophe, il faut faire appel à des concours extérieurs. Le grand (et vieux) Corneille quitte l'hôtel de Bourgogne et se rapproche du comédien bien que celui-ci l'eut moqué dans L'impromptu de Versailles. Il consent à versifier la pièce, Psyché. La représentation, malgré sa longueur, cinq heures, est un franc succès. Mais c'en est fini de la collaboration entre Molière et Lully.
Molière a la satisfaction d'accueillir dans sa troupe un talentueux jeune premier, Michel Baron, 18 ans, qu'il a élevé depuis quelques années comme son fils. Le 24 mai 1671, il crée encore Les Fourberies de Scapin au théâtre du Palais-Royal, dans l'esprit de la commedia dell'arte. De cette pièce aujourd'hui célèbre, nous avons hérité l'expression : « Mais que diable allait-il faire dans cette galère ? »...
En dépit de sa verve comique et de son statut de vedette, l'auteur est décrit par ses proches comme un homme réservé et grave au-dessus duquel s'accumulent les nuages : il voit mourir Madeleine Béjart le 17 février 1772 ainsi que l'un de ses fils.
Frontispice de l'édition de 1682 des Femmes savantes
Faut-il voir dans ces peines de cœur l'ironie quelque peu misogyne qui se dégage de sa comédie suivante, Les Femmes savantes, créée le 11 mars 1672 au Palais-Royal par la troupe du Roi ? De ce chef-d'œuvre, nous conservons quoi qu'il en soit quelques belles formules : « Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage » (Martine), « Ah ! Permettez de grâce / Que, pour l’amour du grec, Monsieur, on vous embrasse » (Philaminte) sans compter cette flèche dont on peut douter qu'elle reflète le point de vue de l'auteur : « Il n’est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes / Qu’une femme étudie et sache tant de choses… » (Chrysale).
Avec le concours d'un jeune compositeur au talent prometteur, Marc-Antoine Charpentier, Molière monte encore une comédie-ballet, Le Malade imaginaire. Un titre prémonitoire.
Le 17 février 1673, un an très exactement après la disparition de sa maîtresse, le comédien manifeste de violentes douleurs à la poitrine. Il insiste auprès d'Armande pour jouer malgré tout dans l'après-midi la quatrième représentation du Malade Imaginaire dans son théâtre du Palais-Royal : « Comment voulez-vous que je fasse ? Il y a cinquante pauvres ouvriers qui n'ont que leur journée pour vivre. Que feront-ils si l'on ne joue pas ? Je me reprocherais d'avoir négligé de leur donner du pain un seul jour, le pouvant faire absolument. »
Il s'écroule à la toute fin de la représentation. Prestement transporté à son domicile, 40 rue de Richelieu, il meurt quelques heures après sans avoir eu le temps de se confesser et recevoir les derniers sacrements, deux prêtres de la paroisse ayant refusé de se déplacer, un troisième étant arrivé trop tard. Il a seulement 51 ans mais est usé par le travail et pas moins de 2500 représentations en moins de quinze ans, par les soucis d'argent, par les tourments affectifs et peut-être aussi par une tuberculose.
Depuis lors, chaque fois que la Comédie française joue Le Malade imaginaire, le spectacle s’arrête brutalement dans la scène finale, où l’on intronise Argan comme médecin : à son troisième « Juro ! », qui est le moment où Molière a commencé à s’étouffer dans son sang, les lumières s’éteignent et le silence se fait...
Pierre-Auguste Vafflard, Molière mourant assisté de deux sœurs de la charité, 1806
Par lettre, Armande Béjart implore le roi de bien vouloir accorder à son mari des funérailles chrétiennes en faisant valoir son intention sincère de recevoir les derniers sacrements. Tandis que l'Église, rancunière, veut livrer sa dépouille à la fosse commune, selon le sort habituel des comédiens, Le roi demande donc à l'archevêque François Harvey de Champavallon de se montrer compréhensif. Le surlendemain, à la tombée de la nuit, la dépouille du comédien est inhumée au milieu du cimetière Saint-Joseph, près de l'église Saint-Eustache. Malgré l'absence de publicité, près de huit cents personnes de toutes conditions l'accompagnent à sa dernière demeure. Ses amis La Fontaine, Boileau, Claude Chapelle et Pierre Mignard tiennent les cordons du cercueil.
Sa veuve Armande, dite « Mademoiselle Molière », va s'ériger en gardienne de sa mémoire avant de se remarier avec un comédien en 1677. Elle contribuera à la fusion des deux dernières troupes parisiennes, la troupe de Molière, ou troupe de l'hôtel Guénégaud, et la troupe de l'hôtel de Bourgogne. L'ordonnance royale du 21 octobre 1680 les réunira sous le nom de Comédie-Française et celle-ci se fera un devoir d'entretenir jusqu'à nos jours le répertoire classique et notamment les œvres de Molière.
Molière, un film d'Ariane Mnouchkine (1978)
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2023.12.15 20:53 miarrial Mahomet (570 - 632) La naissance de l'islam

Mahomet (570 - 632) La naissance de l'islam
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Au VIe siècle de notre ère, l'Antiquité jette ses derniers feux en Méditerranée orientale.
La péninsule arabe est un désert hostile parsemé de quelques rares oasis. Elle est seulement parcourue par des tribus d'éleveurs et des caravanes. Les souverains des grands empires orientaux, Byzance et la Perse, dédaignent de l'occuper. Comment se douteraient-ils de l'événement qui s'y prépare par la force d'un seul homme ?
L'ange Gabriel et Mahomet dans la grotte de la Révélation (miniature persane tirée du Jami' al-Tawarikh - Histoire du Monde - de Rashid al-Din, Tabriz, 1307)


Mahomet, Muhammad ou Mohamed ?
Le prophète de l'islam est appelé en arabe Mohamed, qui veut dire : « Celui qui est louangé ». Les Iraniens l'appellent dans leur langue Mahmoud et les Turcs Mehmet. Quant aux musulmans d'Afrique occidentale, ils le désignent sous le nom de Mamadou. En Europe, les Anglo-Saxons, qui ont découvert assez tard le monde musulman, appellent le prophète Muhammad en se conformant à la phonétique arabe. Par contre, les Français, les Espagnols et les Allemands, qui ont affronté les Turcs ottomans pendant près d'un millénaire, ont connu l'islam et son fondateur par leur intermédiaire. C’est ainsi qu’ils désignent le prophète par une déformation phonétique du mot turc Mehmet : Mahoma en espagnol et Mahomet en français et en allemand. Goethe a ainsi écrit un célèbre poème : Mahomets Gesang. En latin médiéval, la première occurrence de ce nom remonte au moine Raoul Glaber (début du XIe siècle) qui décrit les « Sarracènes » (« Sarrazins ») et mentionne « leur prophète, qu’ils appellent Mahomed ». On retrouve le terme dans la première traduction du Coran en latin, celle de l’abbé de Cluny Pierre le Vénérable, en 1142, sous l’intitulé Lex Mahumet pseudoprophete (« loi du faux prophète Mahomet »).
Traduction du Coran par Pierre le Vénérable (XIIe siècle), BNF
Regrettons qu'en France, dans un souci de bienséance politique, certains auteurs contemporains utilisent la version anglaise Muhammad (par exemple dans Encyclopedia Universalis), d'autres Mohammed, Mohamed ou encore Mouhammad. L'appellation usuelle Mahomet a l'avantage d'être comprise par tous les francophones et adaptée à la phonétique française. Le bon sens veut que l'on s'y tienne (de la même façon que l'on désigne la capitale de la Chine par Pékin et non par l'appellation officielle Beijing).

Prédicateur, chef de guerre et homme d'État

Mahomet offre l'image d'un homme énergique mais aussi pénétré de sa mission divine. Il se défend d'être poète et se juge incapable d'inventer par lui-même quoi que ce soit de comparable au Coran. Il se reconnaît faillible et ne se veut en rien différent des autres hommes. C'est un guerrier qui ne rechigne pas à donner la mort. Il aime les femmes et ne s'en cache pas. Il consacre par ailleurs beaucoup de temps à la prière et dédaigne les richesses de ce monde.
Mahomet dans la grotte des révélations (miniature turque du XVe siècle)
C'est ainsi qu'il invite ses compatriotes arabes à renoncer aux divinités coutumières pour ne plus adorer que le Dieu unique (Allah en arabe) et se soumettre aux piliers de la nouvelle foi.
Meneur d'hommes efficace, il soumet à son autorité la péninsule arabe en une dizaine d'années. Après sa mort, en 632, ses successeurs ou remplaçants (califes en arabe) entraînent leurs troupes à la conquête du Moyen-Orient et de la rive sud de la mer Méditerranée.
Toutes les paroles de Dieu sorties de la bouche de Mahomet seront par ailleurs retranscrites dans un recueil qui fait désormais autorité parmi les croyants de la nouvelle religion : le Coran, d'après un mot arabe qui veut dire « Récite ».
Les croyants eux-mêmes se disent musulmans, d'après un mot arabe qui veut dire « soumis » (à Dieu). Le mot islam, qui désigne leur religion, a la même origine.
La Mecque avant l'Hégire
La Mecque (Mekka en arabe), oasis proche de la mer Rouge (ou Golfe Arabique), est l'une des rares villes de la péninsule. Elle compte 3 000 habitants sédentaires. Elle est dirigée par la tribu arabe connue sous le nom de Koraishites (ou Koraïchites). La fortune de la ville vient du commerce caravanier et d'un sanctuaire, la Kaaba, construit autour d'une mystérieuse pierre noire. Ce sanctuaire est un lieu de pèlerinage pour les idolâtres arabes de toute la péninsule.
La naissance de Mahomet, représentée dans une peinture du Siyar-i Nabi, Istanbul, vers 1595
Mahomet naît à La Mecque tout juste cinq ans après la mort de Justinien, le dernier des grands empereurs romains. Sa naissance, vers 570, va bouleverser le destin de La Mecque et de la péninsule arabe. Son père est un marchand du nom d'Abdallah. Il meurt en voyage deux mois avant que n'accouche sa femme Amina. Lorsque celle-ci meurt à son tour, Mahomet n'a que six ans.
L'orphelin est élevé par son grand-père, le chef du clan des Bani Hachem (les Hachémites), puis par son grand-oncle, Abou Talib (père de son futur gendre, Ali). Bien que ne sachant ni lire ni écrire, il assure sa fortune en épousant à 25 ans une riche veuve de quinze ans plus âgée que lui. Khadidja - c'est son nom - sera sa première disciple. En 26 ans de vie commune (et malgré son âge avancé), elle lui donnera quatre filles.
Devenu un notable, Mahomet organise des caravanes vers la Syrie et peut-être s'y rend-il lui-même. Il a de multiples occasions de dialoguer avec les juifs et les chrétiens de passage ou installés à La Mecque, ce qui lui donne une assez bonne connaissance de la Bible.
Vers l'âge de 40 ans, en 610, le futur Prophète prend l'habitude de se retirer dans une grotte du désert, sur le mont Hira, à cinq kilomètres de La Mecque. Selon ses dires, pendant la nuit dite « du Destin », à la fin du mois de Ramadan, l'ange Jebrail (Gabriel en arabe) lui a soufflé à l'oreille : « Récite » !
À son retour à La Mecque, Mahomet commence à annoncer la parole de Dieu (Allah en langue arabe). Il se présente comme son envoyé. Outre sa femme, les premiers convertis sont son cousin Ali (qui sera le quatrième calife), son serviteur Zeïd, un esclave qu'il a affranchi, et son parent Abou Bekr (qui sera le premier calife).
L'ange Gabriel, le prophète Mahomet, Ali et ses deux fils Hassan et Hussein (miniature persane du XVe siècle)

Le prophète dans l'adversité

Les commerçants de La Mecque craignent pour leurs revenus, liés aux pèlerinages qui guident des Arabes de toute la péninsule vers la pierre noire du sanctuaire de la Kaaba.
Ils ne tardent pas à persécuter le petit groupe de disciples. Battus, quelques-uns se rétractent pour échapper aux violences. D'autres, parmi les plus pauvres, lassés des persécutions et des brimades, décident en 615 de s'exiler en Abyssinie, de l'autre côté de la mer Rouge, auprès du Négus, nom que l'on donne au roi de ce pays chrétien (l'Éthiopie actuelle). Ils pourchassent aussi Mahomet et le traitent de fou. Heureusement, le prophète bénéficie de la protection indéfectible de son oncle, Abou Talib.
Finalement, dans son désir de se rallier les Mecquois (ou Mekkois) rétifs à sa prédication, il lance de l'esplanade de la Kaaba la sourate dite de l'Étoile. Ses deux derniers versets suggèrent un accommodement avec les idolâtres : « Ce sont les déesses sublimes Leur intercession est admise ». Les relations s'apaisent aussitôt entre les clans rivaux. Les exilés d'Abyssinie prennent le chemin du retour.
Exil des disciples de Mahomet auprès du négus d'Abyssinie (miniature persane du XIVe siècle)
Mais chez les disciples de la première heure qui sont restés à La Mecque, c'est la consternation. Ils se demandent à quoi ont rimé leurs souffrances s'ils doivent en définitive revenir à un polythéisme déguisé. Par chance (et sans doute aussi grâce à l'intervention appuyée de ces disciples), l'ange Gabriel restaure la vraie doctrine en soufflant à Mahomet une sourate dite de Youssouf par laquelle il est dit que les deux versets incriminés ont été inspirés par Satan.
L'affaire est close... Elle refera surface quatorze siècles plus tard avec la publication en 1988 à Londres d'un épais roman intitulé Les Versets sataniques. Son auteur, Salman Rushdie, sera vilipendé et condamné à mort par l'imam Khomeiny, leader des Iraniens.
En attendant, Mahomet bénéficie opportunément de la conversion de l'un des hommes les plus puissants de La Mecque, Omar ibn al-Khattab. Celui-ci apporte au prophète son précieux soutien après l'avoir violemment combattu (il sera le deuxième calife).
En 619, l'horizon s'obscurcit avec la mort de l'épouse dévouée, Khadidja, ainsi que du puissant Abou Talib. Se sentant menacé, Mahomet part pour l'oasis de Taïf, à une centaine de kilomètres, mais il en est chassé par les habitants, peu désireux de se fâcher avec les commerçants mecquois.
Mahomet et sa femme Aïcha libérant la fille d'un chef de tribu, Siyer-i Nebi. XIVe siècle
De retour à La Mecque, il en profite pour se remarier et met fin à sa monogamie antérieure. Il épouse d'une part une veuve du nom de Saïda, d'autre part la très jeune fille de son disciple Abou Bekr. Elle a nom Aïcha... et guère plus de six ans. D'après son propre témoignage, Mahomet l'épousa quelques mois avant l'Hégire, alors qu'il avait passé la cinquantaine et qu'elle-même avait 6 ans.
Il attendra toutefois qu'elle ait 9 ans pour user de ses droits d'époux (en foi de quoi les disciples de l'ayatollah Khomeiny ont abaissé à 9 ans l'âge légal du mariage dans l'Iran moderne - la mesure a été depuis lors abrogée -!). Le mariage d'Aïcha est relaté dans l'un des textes officiels de la tradition islamique, le hâdith 67 39.

De La Mecque à Jérusalem et Médine

Dans l'une de ses nouvelles visions, Mahomet se voit transporté pendant son sommeil à Jérusalem puis de là, un cheval ailé du nom de Borak l'aurait hissé jusqu'au ciel avant de le ramener dans son lit. Le récit de ce voyage nocturne fait que Jérusalem est devenue la troisième ville sainte de l'islam, après La Mecque et Médine...
Le rocher d'où se serait envolé le Prophète, aujourd'hui révéré par les musulmans, est le même que celui sur lequel, d'après les juifs, Abraham aurait manqué de sacrifier son fils Isaac ! C'est autour de ce rocher, sur le mont Moriah, que les juifs ont édifié leur Temple, lequel a été détruit une première fois par Nabuchodonosor puis une seconde fois par Vespasien. Après leur conquête de Jérusalem, les musulmans ont édifié un monument somptueux, le « Dôme du Rocher », sur l'esplanade de ce Temple.
Arrivée de Mahomet à La Mecque, Ishâq al-Nishâpûrî, 1581, Iran, Qazwin
Malgré tout, Mahomet ne se satisfait pas de rester à La Mecque, où il ne peut guère accroître le nombre de ses disciples et doit endurer une opposition persistante de la part des commerçants koraishites. Après avoir envisagé de quitter La Mecque pour l'oasis de Taïf, à une centaine de kilomètres au sud, Mahomet est approché par des disciples originaires de Yathrib, une autre ville-oasis située à 400 kilomètres au nord de La Mecque, et c'est ainsi qu'il va donner corps à sa doctrine...
Le 23 juin 622, à Aqaba, sur les bords de la mer Rouge, les représentants de Yathrib signent avec le Prophète un pacte d'alliance et acceptent d'accueillir ses disciples mecquois, au total 70 personnes. Peu après, le Prophète lui-même se résout à faire le voyage vers Médine en compagnie de son ami Abou Bakr. Leur départ de La Mecque se déroule sous le sceau du secret. Il a lieu le 16 juillet 622 selon la tradition fixée bien plus tard par le calife Omar. Il est désigné en arabe par le mot hijra (en français, Hégire) qui signifie émigration.
Suite à l'installation en son sein du Prophète, Yathrib prend le nom de Medinat an-Nabi (« la ville du Prophète ») - Médine en français -. Mahomet aménage sans attendre en son centre un lieu de prière ou mosquée (en arabe masjid). Il prend soin de rapprocher ses disciples mecquois et médinites dans une même fraternité et leur enseigne les rites de la prière commune.
Depuis une décision du calife Omar, l'année de l'Hégire marque le début officiel de l'islam, la nouvelle religion dont le Prophète a jeté les bases. Son nom et celui de ses fidèles viennent d'une expression arabe qui signifie : « soumission à Dieu ».

Le Prophète en armes et le jihad

L'arrivée à Médine de Mahomet et de ses fidèles (environ 200 familles) ne tarde pas à épuiser les ressources de la petite oasis... cependant que, non loin de là, passent les caravanes des riches commerçants mecquois.
En janvier 624, en un lieu appelé Nakhlah, douze disciples de Mahomet attaquent une caravane de La Mecque. Ils tuent un homme d'une flèche et font deux prisonniers. Ils ramènent aussi un butin consistant dont ils remettent un cinquième au Prophète. L'affaire fait grand bruit car elle s'est produite pendant le mois de rajab. Il s'agit d'une période sacrée qui exclut le meurtre, selon le paganisme arabe.
Mahomet désapprouve dans un premier temps ses disciples. Ceux-ci sont consternés mais une révélation divine vient à point les réconforter (Coran, sourate 2, verset 217). Cette sourate précise qu'il est certes répréhensible de combattre pendant les périodes sacrées mais qu'il l'est encore plus de se tenir en-dehors du chemin d'Allah, comme les polythéistes de La Mecque.
En d'autres termes, la guerre sainte en vue d'étendre le domaine de l'islam peut excuser le meurtre dans les périodes sacrées. Cette forme de guerre est l'aspect le plus brutal du jihad. Le jihad recouvre un ensemble de prescriptions qui vont de l'approfondissement spirituel à la guerre sainte contre les infidèles en vue de propager l'islam dans le dar al-harb, ou domaine de la guerre.
Le dar al-harb désigne le monde hostile où il est licite de mener la guerre sainte, par opposition au dar al-islam, ou domaine de l'islam, et au dar-el-dawa, terre de prédication vouée à rejoindre le domaine de l'islam.

Le Prophète s'impose face aux dissidents

À Médine même, Mahomet impose sans ménagement son autorité. Selon les récits de la tradition, Asma, une poétesse ayant attaqué le Prophète dans ses vers, est poignardée dans son sommeil par Omeir, un musulman aveugle. Dès le lendemain celui-ci obtient un non-lieu de Mahomet. Le même sort attend Afak, un juif centenaire. Kab ibn al-Ashraf, un troisième poète, met en rage les musulmans en adressant des vers d'amour à leurs femmes. Mahomet réclame des sanctions et, le soir même, la tête de l'impudent roule à ses pieds (note).
Pour pacifier les relations entre les deux clans de l'oasis, l'un autour de la tribu Khazraj, l'autre autour de la tribu Aws, le Prophète édicte une « constitution », la Sahifa. Elle autorise la liberté de culte, y compris des juifs, chrétiens et autres sabéens. Mais la présence de plus en plus envahissante des musulmans irrite les tribus juives. Il va s'ensuivre entre les deux communautés un conflit violent que rien ne laissait suspecter...
En effet, sensible à la théologie juive, le Prophète s'en était inspiré au commencement dans ses recommandations sur le jeûne et les interdits alimentaires relatifs au porc. Il a adopté le calendrier lunaire des juifs, avec des mois réglés sur les cycles de la Lune. Il avait fixé le jeûne pendant le mois de ramadan, qui coïncide avec le début de la révélation coranique mais aussi avec la fête juive de l'expiation. Et il prescrit à ses fidèles de se tourner vers Jérusalem pour la prière.
Malgré cela, seule la tribu des Aws s'est ralliée à Mahomet (il est d'ailleurs possible qu'ils aient été arabes et non juifs). Les trois autres communautés juives de Médine persistent dans leur refus de se convertir à la nouvelle foi. Ces juifs reprochent en particulier à Mahomet de détourner (note) le sens des textes bibliques et osent même se moquer de lui.
En février 624, une révélation divine enjoint à Mahomet et à ses disciples de modifier la prière rituelle : elle se fera désormais en se tournant non plus vers Jérusalem mais vers la pierre noire de la Kaaba, le sanctuaire des idolâtres de La Mecque.

La bataille du puits de Badr

Au printemps 624, à l'approche d'une caravane particulièrement riche en provenance de Syrie, Mahomet décide de l'attaquer. Mais ses plans sont déjoués par un espion.
Mahomet à la bataille de Badr (enluminure du Siyar-I Nabi, vers 1595, musée de Topkapi, Istanbul)
Les Mecquois du clan des riches Koraishites dépêchent une armée au secours de leur caravane. C'est la bataille du puits de Badr, qui voit la victoire des musulmans malgré leur infériorité numérique. À son retour triomphal de la bataille de Badr, Mahomet ordonne l'exécution de deux prisonniers mecquois qui s'étaient montrés particulièrement virulents à l'égard du Prophète et de ses disciples.
Mahomet remarque par ailleurs que les juifs de Médine se sont tenus à l'écart de la bataille. Son dépit à leur égard n'en devient que plus grand. C'est ainsi que de nouvelles révélations divines l'amènent à remodeler le calendrier.
Elles précisent en particulier que le jeûne musulman se pratiquera pendant le mois de ramadan, celui durant lequel se déroula la bataille de Badr. Les interdits alimentaires exprimés dans les révélations faites au Prophète restent quand à eux assez semblables à ceux des juifs.
Le fossé se creuse entre les juifs de Médine et la communauté des croyants. Trahisons, violences et médisances alimentent la zizanie, malgré le code de bonne conduite établi lors de l'arrivée de Mahomet.
Peu après la bataille de Badr, un incident met le feu aux poudres. Une ou plusieurs musulmanes sont molestées au marché par des juifs de la tribu des Banu-Kainuka. Échauffourée, meurtres de part et d'autre. Le chef de la tribu mise en cause refuse de payer l'amende réglementaire aux parents des victimes musulmanes. La tribu est assiégée par le Prophète et ses disciples et, au bout de deux semaines, contrainte de leur livrer ses immenses biens et d'émigrer.

De la bataille du mont Ohod à la bataille du Fossé

Le 21 mars 625, dans le désert arabe, Mahomet et sa petite armée de fidèles sont attaqués par plusieurs milliers d'hommes (de 3 000 à 10 000) venus de La Mecque (note). La bataille se déroule autour du mont Ohod, à cinq kilomètres au nord de l'oasis de Médine où s'abrite la première communauté musulmane.
Les Mecquois sont commandés par Abu Sufyan (Abou Soufyân ibn Harb). Celui-ci dirigeait la caravane qui avait été attaquée quelques mois plus tôt par les musulmans au puits de Badr et il avait juré aux Koraishites de La Mecque de venger cet affront. Au mont Ohod, sa cavalerie met à mal les musulmans et le Prophète est lui-même blessé dans les combats.
Croyant Mahomet mort, Abu Sufyan se retire sans tenter de prendre d'assaut l'oasis de Médine. Il rentre triomphalement à La Mecque. Mahomet, de son côté, profite du répit pour affermir son autorité sur Médine. Selon l'islamologue Maxime Rodinson, le jour de la bataille du mont Ohod marque la naissance du premier État musulman du monde.
À l'occasion de cette bataille, la deuxième tribu juive de Médine, celle des Banu-Nadhir, s'est vue reprocher d'avoir soutenu les habitants de La Mecque. Elle est chassée vers le nord après un long siège et une violente bataille contre les musulmans.
Mahomet à la bataille d'Ohod (miniature persane)

Élimination des derniers juifs de Médine

Tandis que les musulmans poursuivent la guerre contre les Koraishites de La Mecque, Mahomet s'irrite de plus en plus du manque de soutien des juifs de Médine à son égard. La crise arrive à son terme après la « bataille du fossé ».
Celle-ci survient en mai 627 quand une armée de Mecquois d'environ 10 000 hommes et 600 chevaux, toujours commandée par Abu Sufyan, marche sur Médine. Un esclave persan, Salman le Persi, conseille à Mahomet de ceinturer l'oasis d'un fossé défensif. Inaccoutumé en Arabie, ce stratagème oblige les ennemis à renoncer après vingt jours de siège infructueux. C'est une nouvelle victoire pour les musulmans. Les Koraishites de La Mecque comprennent qu'il ne leur reste plus qu'à se soumettre. Ce sera chose faite par le traité d'Hodaïbiya, en 629.
Entretemps, Mahomet a choisi d'en finir avec les juifs de la troisième et dernière tribu de Médine, les Banu-Kuraiza, qu'il accuse (ce qui est vrai) d'avoir soutenu les assaillants. Au terme d'un siège de 25 jours, les juifs sont contraints de se rendre. Mahomet confie à l'un de ses compagnons, un membre de la tribu des Aws, le soin de les juger. Ce dernier recommande de mettre à mort les hommes selon l'ancienne loi hébraïque ! Dont acte. Les musulmans décapitent 600 à 700 hommes et les ensevelissent dans une grande fosse de la place du marché de Médine. Ils se partagent les biens de la tribu, ainsi que les femmes et les enfants.

Triomphe et mort de Mahomet

Mahomet établit en définitive son autorité sur les tribus de la partie occidentale de la péninsule arabe.
Selon certains historiens, il n'est pas certain qu'il ait alors conscience d'installer une foi nouvelle. Simplement, agissant en conquérant et en chef de guerre, dans la tradition arabe, il constitue autour de lui une communauté de fidèles ou de ralliés (véritable traduction du mot mu'min, dont on fera en français « musulman »). Ses préceptes religieux contribuent à la cohésion du groupe.
Le 11 janvier 630, il entre à la Mecque à la tête d'une armée de 10 000 hommes et sans effusion de sang. Il se rend à la Kaaba, le sanctuaire de tous les Arabes, frappe les idoles aux yeux (!) et ordonne de les détruire avant de s'en retourner à Médine.
Tombeau du prophète Mahomet à Médine, céramique du XVIe siècle, musée islamique du Caire
Et le 10 mars 632, peu avant de mourir, le Prophète accomplit un pèlerinage de trois jours à la Kaaba, débarrassée de ses idoles. Monté sur sa chamelle, il effectue les sept circuits rituels, en touchant la Kaaba de son bâton. Puis il recommande à l'ensemble de ses fidèles d'accomplir au moins une fois dans leur vie semblable pélerinage.
Mahomet s'éteint à Médine le 8 juin 632 (le 13 du mois de Rabi' premier, selon le calendrier arabe).
Celui qui va apparaître plus tard comme le Prophète de l'islam décède suite à une fièvre douloureuse et une longue maladie, peut-être consécutive à un empoisonnement. Il a environ 63 ans. Sa tombe est creusée sur le lieu même de son décès.
Bien qu'il ait eu neuf femmes légitimes, il ne laisse aucun fils survivant susceptible de lui succéder à la tête des croyants.
La mort de Mahomet (miniature turque, Istanbul, 1595)

Le monde musulman après Mahomet
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Mahomet soumet à son autorité la péninsule arabe en une dizaine d'années. Après sa mort, en 632, ses successeurs ou remplaçants (califes en arabe) entraînent leurs troupes à la conquête du Moyen-Orient et de la rive sud de la mer Méditerranée...

Le premier calife

Abou Bekr (ou Abou-Bakr) remplace le messager d'Allah au terme d'une brève lutte de succession. Il prend le nom de khalîfa (calife en français), d'un mot arabe qui veut dire « lieutenant » ou « remplaçant ». Ce premier calife a 59 ans. Il figure parmi les plus anciens compagnons de Mahomet. Il est aussi le père d'Aïcha, l'épouse préférée du Prophète.
Abou Bekr n'appartient à aucune des grandes familles de La Mecque, ce qui lui vaut d'être accepté par toutes. Seul, Ali, le gendre du prophète, déplore son élection... Ses ressentiments causeront plus tard la scission entre les musulmans orthodoxes de confession sunnite et ceux de confession chiite.
Avec l'aide de l'énergique chef de guerre Khalid ibn al-Walid, Abou Bekr maintient l'unité de la communauté musulmane, menacée par les rivalités de clans et de tribus. Il mène aussi des combats difficiles contre les tribus d'Arabie centrale. La tradition qualifiera ces combats de « guerres d'apostasie » (157) en suggérant que les tribus concernées seraient revenues aux cultes polythéistes. Dans les faits, il semble qu'elles n'aient jamais précédemment fait acte de soumission à Mahomet.
Le calife les vainc rapidement et dès 633, un an après la mort de Mahomet, il peut se flatter d'avoir déjà conquis et soumis la totalité de la péninsule arabe. Prolongeant la tradition guerrière de leurs ancêtres, le musulmans tournent leurs ambitions vers les empires perse et byzantin limitrophes.
Sources historiques et bibliographie
La vie de Mahomet et les premiers temps de l'islam sont bien connus des historiens. Le récit qui en est fait dans les articles ci-après est strictement conforme aux connaissances généralement admises. Les dates des principaux événements correspondent à ce qu'admettent la plupart des historiens même si elles comportent une grande part d'incertitude. Sur le Prophète de l'islam, sa vie, ses actions, ses combats... et sa vie conjugale, les historiens disposent du témoignage de ses nombreux disciples. Les connaissances historiques sont donc bien établies et il n'y a guère de divergence entre les ouvrages sérieux et les grandes encyclopédies.
Il existe en français une célèbre biographie par l'islamologue Maxime Rodinson, Mahomet (Seuil). On peut aussi trouver des synthèses intéressantes dans l'Encyclopedia Universalis ainsi que dans l'Histoire de la civilisation, par Will Durant (éditions Rencontre). Des lecteurs arabisants préfèrent pour leur part les ouvrages de Martin Lings et Roger Caratini. Sur les malentendus entre l'Occident et l'islam, on peut lire un petit livre de Paul Balta aux éditions Le Cavalier Bleu : L'islam, idées reçues (2001).

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2023.12.13 15:46 miarrial Migrations d'hier et d'aujourd'hui L'humanité en marche

Migrations d'hier et d'aujourd'hui L'humanité en marche
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Nous sommes tous des immigrés ! Cette formule s'applique à tous les êtres humains si l'on entend par là que nul ne peut se prévaloir d'être un pur autochtone (d'après un mot grec qui signifie : « né du sol »).
De fait, aussi loin qu'ils remontent dans le temps, jusqu'à l'Homo erectus d'il y a un million d'années, les paléontologues discernent des mouvements de population mais ceux-ci s'effectuent pour l'essentiel par expansion démographique, grâce à un solde naturel positif (dico). C'est de cette façon que les noirs, partis du golfe de Guinée, ont occupé toute l'Afrique subsaharienne dans les dix derniers millénaires, ou que nos ancêtres indo-européens (dico) ont submergé l'Europe il y a 4500 ans.
Les déplacements par invasions, migrations volontaires ou migrations forcées concernent quant à eux des effectifs très limités. C'est aujourd'hui 3% de la population mondiale... En dépit des apparences, la sédentarité demeure le propre de la nature humaine (note).

Les migrations capillaires, une réalité de tous temps et tous pays
Dans toutes les sociétés, il se trouve des individus qui font souche loin de chez eux, pour les besoins du commerce, par goût de l'aventure, par rejet de l'oppression, par le hasard des rencontres et de l'amour... Ainsi des commerçants vénitiens s'établissaient-ils au Moyen Âge à la cour du Grand Khan, à Pékin, tandis qu'un aventureux Toulousain ramenait dans sa patrie une jeune épouse rencontrée sur les bords du Niger ! Au XVIIe siècle, des huguenots ont fui la France et se sont installés à Berlin ou même au Cap, en Afrique australe. À l'inverse, des Irlandais catholiques ont fait souche en France et même au sud des Pyrénées. Citons encore Marie Curie et Savorgnan de Brazza qui ont au XIXe siècle quitté leur pays pour servir et honorer la France. • Ces migrations sont à double sens. Elles sont essentielles à la circulation des idées et des techniques et donc au progrès humain. Elles concernent néanmoins des flux réduits de personnes qui n'ont pas de mal à se fondre dans la population d'accueil de sorte qu'elles ne changent pas la nature des sociétés concernées. En cela, on peut les appeler « migrations capillaires » (ténues comme un cheveu) pour les distinguer des suivantes. • Les « migrations de peuplement » sont caractérisées par des flux importants de population à partir de territoires en expansion démographique vers des territoires faiblement peuplés ou en décroissance démographique. • Les invasions et les déplacements de population liés aux guerres se distinguent des migrations précédentes. Elles imprègnent fortement la mémoire des peuples mais ne changent guère la substance des sociétés humaines.

Premières rencontres
La première migration notable remonte à l'aube des temps. Elle concerne un très lointain aïeul, Homo erectus, qui aurait migré il y a 2 millions d'années d'Afrique vers l'Eurasie. Ce fut la première « sortie d'Afrique ».
En Afrique même, l'Homo erectus évolua il y a 300 000 ans vers notre propre espèce, l'Homo sapiens. En Eurasie, il eut des descendants tels que Néandertal et l'homme de Denisova, il y a environ 500 000 ans. Il engendra aussi une espèce originale sur l'île de Florès (Indonésie), il y a seulement 80 000 ans.
Une deuxième « sortie d'Afrique » se produisit il y a un peu plus de 70 000 ans, quand quelques Homo sapiens s'établirent au Moyen-Orient où ils s'unirent aux représentants locaux de Néandertal et Denisova. De ces unions seraient issus les Eurasiens actuels si l'on en croit les dernières découvertes de la génétique.
Homo sapiens atteignit là-dessus des régions encore vierges de présence humaine : il y a environ 70 000 ans, il franchit les bras de mer qui séparent la Papouasie et l’Australie de l'Eurasie. Puis, il y a 35 000 ans, il traversa à pied sec le détroit de Béring qui séparait l’Asie de l’Amérique en profitant du faible niveau des océans pendant la dernière glaciation.
À la même époque, l'Homo sapiens moyen-oriental mâtiné de Néandertal gagna l'Europe où erraient de purs Néandertaliens. Ceux-ci, déjà en déclin démographique, ne tardèrent pas à disparaître, laissant le terrain libre à notre ancêtre, rebaptisé pour l'occasion Cro-Magnon (note).
Qu'on ne s'y méprenne pas, ces mouvements de populations n'ont rien à voir avec la conquête du Far-West ! Au nombre de quelques milliers ou dizaines de milliers, les premiers humains n'avaient nul besoin de migrer pour trouver de quoi se nourrir. Lorsque les groupes familiaux s'agrandissaient, les cadets s'établissaient un peu plus loin que leurs aînés et, de proche en proche, ces groupes pouvaient ainsi occuper des continents entiers en quelques millénaires, à raison de quelques kilomètres par génération !
De la même façon, ces groupes humains réduits à quelques familles ont pu se diversifier à partir de légères mutations génétiques il y a environ 35 000 ans, à l'apparition de Cro-Magnon et des différents groupes humains qui peuplent la planète (Africains, Asiatiques, Européens, etc.).

« Tu deviendras le père d'une multitude de nations ! »
La promesse faite par Dieu à Abraham n'a rien d'extravagant. Il ne faut pas grand-chose en effet pour qu'un groupe humain croisse à l'infini, sous réserve bien entendu de n'être affecté ni par les épidémies, ni par les famines, ni par les guerres. Un petit raisonnement mathématique en apporte la preuve : supposons que cinq femmes engendrent avec leur conjoint onze enfants et les mènent à l'âge adulte ; cela correspond à un indice de fécondité (dico) de 2,2 ; c'est à peine plus que le minimum nécessaire au simple remplacement des générations. Si les mêmes performances se reproduisent d'une génération à la suivante, il s'ensuit un doublement de l'effectif tous les deux siècles et les dix personnes initiales peuvent se targuer d'avoir au bout de 3 000 ans un million de descendants, soit la population totale de la Terre il y a 35 000 ans !
Les Norvégiens débarquent en Islande vers 872, Oscar Arnold Wergeland, 1877, Oslo, Galerie nationale de Norvège

Migrations de peuplement

Depuis le commencement du monde, les migrations de peuplement s'orientent des territoires en excédent démographique vers les territoires faiblement peuplés ou en voie de dépeuplement. C'est de cette façon, lente, progressive et pacifique, que les chasseurs-cueilleurs ont occupé toute la planète.
Avec l'apparition de l'agriculture et de l'élevage, il y a dix mille ans, les femmes ont bénéficié de ressources mieux assurées et d'une existence plus stable de sorte qu'elles ont pu conduire à l'âge adulte un plus grand nombre d'enfants. Il s'en est suivi un décuplement de la population en quelques millénaires, jusqu'à atteindre plusieurs dizaines de millions d'âmes. Partout dans le monde, par leur simple expansion démographique, les populations paysannes ont repoussé et supplanté les chasseurs-cueilleurs avec lesquels elles entraient en contact. Les violences, jusque-là limitées au rapt des femmes, se sont aussi intensifiées, alimentées par les crises climatiques qui détruisaient les récoltes et les troupeaux.
- Migrations africaines :
Aborigènes Hadzas du Kenya (DR)
Les Africains actuels ont acquis la maîtrise de l'agriculture il y a environ dix mille ans, en même temps que les habitants du Moyen-Orient. Bénéficiant de ce fait d'une croissance démographique relativement forte, ils sont sortis de leur foyer natif, entre le delta du Niger et le mont Cameroun, et ont occupé progressivement l'Afrique subsaharienne en absorbant ou en repoussant devant eux les populations aborigènes à peau cuivrée ou noire qui y étaient établies (Khoisans, Pygmées, Hottentots, Hadzas).
Vers 500 av. J.-C., la diffusion de la métallurgie du fer en direction des Grands Lacs africains, en augmentant la productivité agricole et la puissance à la guerre, a donné une nouvelle impulsion à leur croissance démographique jusqu'à leur permettre d'atteindre au XVIIe siècle le Limpopo, un fleuve d'Afrique australe.
Mais dans le même temps, des colons hollandais débarquaient à la pointe du continent et fondaient la colonie du Cap. Cette circonstance a évité aux Khoisans de complètement disparaître (ces populations aborigènes d'Afrique australe ont ravi le monde entier à la faveur d'une comédie de Jamie Uys, Les Dieux sont tombés sur la tête, 1980).
- Migrations indo-européennes :
De même que l'Afrique a été colonisée par les Bantouphones, l'Europe et le sous-continent indien ont été colonisés il y a six mille ans environ par des populations d'éleveurs établies dans les régions du Don et de la Volga.
Celles-ci ont vu leurs effectifs grandir irrésistiblement, ce qui les a amenées de proche en proche et par vagues successives à occuper les immenses espaces situés entre l'océan Atlantique et l'océan Indien. Selon des travaux récents, leur croissance démographique aurait résulté d'une mutation génétique grâce à laquelle ils auraient mieux digéré le lait de vache et ainsi survécu plus facilement aux disettes et aux famines !
Ces populations parlaient des langues apparentées que les linguistes modernes ont qualifiées d'indo-européennes, parce qu'elles sont à la racine de la plupart des langues européennes ainsi que de l'iranien et des langues de l'Inde du nord. Leur progression vers l'Europe et l'Inde a été plutôt violente si l'on en croit une étude publiée par Science (mars 2019) et citée par les Cahiers de Science & Vie (juillet 2019) : l'examen d'une nécropole en Espagne montre le remplacement de 40% du génome du peuple ancestral par celui des nouveaux-venus, lesquels auraient toutefois épargné les femmes pour se les approprier.
- Migrations chinoises et japonaises :
Les Chinois du Fleuve Jaune ont dès l'époque du Premier Empereur, il y a 2200 ans, entrepris de coloniser leurs marges. Ce mouvement d'expansion se poursuit aujourd'hui avec la colonisation du Tibet et du Xinjiang, au détriment des populations locales et de leur culture.
Mais le Premier Empereur a aussi eu le souci de réunir ses sujets dans un ensemble indissociable et pour cela, il a procédé à des échanges de populations entre le nord et le sud de son empire. Il s'agit sans doute des premières migrations forcées de l'Histoire, si l'on met à part l'exil des juifs à Babylone, il y a 2600 ans.
On observe au Japon des migrations semblables, quoique à une échelle réduite, avec la colonisation par les Japonais de leur archipel au détriment des premiers habitants, des Aborigènes blancs, les Aïnous, lesquels ne sont plus que quelques milliers.
Aïnous du Japon en 1904
- Migrations européennes :
L'Europe contribua elle-même à peupler les autres continents. Du XVIe siècle au XXe siècle, nombre de ses habitants traversèrent les mers en quête de liberté et de mieux-être. On les évalue à cinquante millions sur quatre siècles.
Au XVIe siècle, les Européens partis vers l'Amérique tropicale et l'Asie des épices étaient essentiellement en quête de fortune et d'aventures. Au XVIIe siècle, des émigrants chassés par les persécutions religieuses ou la misère ont commencé de mettre en culture l'Amérique du nord. Mais l'émigration européenne a véritablement pris corps aux siècles suivants, avec un pic dans la deuxième moitié du XIXe siècle, au moment où l'Europe connaissait sa plus forte croissance démographique.
Cette émigration européenne s'est dirigée quasi-exclusivement vers les marges de l'Occident, autrement dit vers des territoires à peu près vierges et seulement parcourus par des nomades. Il s'agit des deux extrémités du continent américain : l'Amérique du Nord, le rio de la Plata et le Brésil. Ajoutons-y l'Australasie (Australie et Nouvelle-Zélande), la Sibérie et également la pointe méridionale du continent africain. Sur ces territoires, par leur arrivée en flux continu, les immigrants ont sans grande difficulté dominé les populations autochtones (Amérindiens, Sibériens, Aborigènes etc.) ; ils les ont rapidement remplacées, les exterminant ou les refoulant dans des réserves.
Les Européens ont par contre occupé en nombre beaucoup plus limité les régions andines (Pérou, Bolivie...) et l'isthme d'Amérique centrale, car ils ont été confrontés dans ces régions à des sociétés précolombiennes fortement structurées, denses, sédentaires et maîtrisant l'agriculture. Aujourd'hui encore, leurs descendants demeurent minoritaires dans ces pays.
Partout ailleurs dans le monde, soulignons-le, les Européens ont évité les terres de vieilles civilisations non-occidentales, que ce soit en Asie, dans le monde islamique ou en Afrique intertropicale.
Au temps de son hégémonie planétaire, à la fin du XIXe siècle, l'Europe a pu soumettre ces territoires et les coloniser (dico) mais en réduisant sa présence à quelques poignées de cadres militaires ou civils destinés à encadrer les populations.
Indigènes de Roanoke, Virginie (Thomas Hariot, 1588)
4 colons de Jamestown (Virginie) dont l'un a été tué par des Amérindiens (photo du 28 juillet 2015, Smithsonian Institution)
Démographie migratoire : l’exemple virginien
La Virginie illustre les conséquences d’une immigration exogène, même ténue (les chiffres ci-après relèvent de l'imagination de l'auteur mais sont néanmoins plausibles ; ils n'ont qu'une valeur indicative). Au début du XVIIe siècle, la future colonie anglaise était peuplée d'environ cent mille Indiens avec une démographie stable (2500 décès par an et autant de naissances). Arrive un premier bateau avec cent couples de colons anglais et autant chacune des années suivantes. Chaque couple anglais engendre en moyenne quatre enfants. Au final, le solde migratoire annuel est d'à peine 2 pour mille. Le solde naturel annuel est quant à lui de 4 pour mille grâce à 400 naissances supplémentaires qui s'ajoutent aux naissances indiennes. Au bout de 30 ans, la Virginie compte encore 100 000 Indiens (oublions ceux qui ont été tués par les colons ou ont choisi l'exil) et déjà plus de quinze mille Anglais (environ 15% de la population totale). Ces derniers sont devenus assez nombreux pour n'avoir plus besoin des Indiens. Ils vivent entre eux, si l'on met à part quelques coureurs des bois mariés à des Indiennes. Un siècle après, ils seront devenus très largement majoritaires et pourront envisager de forger une nouvelle nation...

Invasions nomades et migrations forcées

Les migrations de peuplement, par expansion démographique, se sont rarement déroulées de façon entièrement pacifique. Mais cette violence est peu de chose en comparaison de celle qui a accompagné les incursions de nomades dans les empires sédentaires.
- Invasions nomades :
Attila, roi des Huns, Paris, BnF Gallica
C'est ainsi qu'à partir du Ve siècle av. J.-C., les empires apparus autour de la Méditerranée et en Chine ont excité la convoitise des peuples des steppes (Turcs, Ouïghours, Mongols etc.). Redoutables guerriers mais peu nombreux, ces peuples ont à intervalles rapprochés imposé leur domination sur les cultivateurs et les sédentaires (Chinois, Persans, Russes etc.) jusqu'à ce que l'avènement de l'artillerie les renvoie définitivement dans leurs steppes.
Les « Grandes invasions » qui ont affecté l'empire romain aux IVe et Ve siècles de notre ère apparaissent comme des sous-produits des invasions nomades. C'est en bonne partie parce qu'ils étaient poussés par les Huns que les Germains d'Europe orientale ont forcé le limes romain.
Les conquêtes d'empires par les nomades ont pu provoquer de grandes mortalités à l'instar des Mongols de Gengis Khan qui auraient causé la perte d'un quart de l'humanité (Steven Pinker, La Part d'ange en nous, 2017). Elles ont pu entraîner des bouleversements politiques, linguistiques et même religieux à l'instar des conquêtes arabes ou turques. Mais elles ont eu peu d'effet sur la composition ethnique des territoires.
Ainsi les habitants du Maghreb ont-ils conservé très peu de gènes des envahisseurs arabes tout en ayant adopté la langue et la religion de ceux-ci. A contrario, les habitants de la Grèce actuelle tirent une grande partie de leurs gènes des Slaves qui ont occupé pacifiquement le pays au VIIe siècle après que celui-ci eut été dépeuplé par insuffisance de naissances.
Camp de réfugiés grecs au Théséion (Grèce, 1923)
- Déplacements de populations et trafics d'esclaves :
Dans ses frontières actuelles, la Grèce a aussi accueilli en 1922-1923 les populations hellénophones et chrétiennes chassées d'Asie mineure par les Turcs...
Les migrations forcées concernent les déplacements de population pour cause de guerre et surtout les trafics d'esclaves à grande échelle. Ceux-ci ont débuté au VIIe siècle au Moyen-Orient. Dans les premiers temps de l'islam, les notables de Bagdad s'approvisionnèrent en esclaves blancs auprès des tribus guerrières du Caucase mais aussi auprès des marchands vénitiens qui leur vendaient des prisonniers en provenance des pays slaves, encore païens.
Si la traite des esclaves blancs a rapidement buté sur la résistance des Européens, il n'en a pas été de même du trafic d'esclaves noirs en provenance du continent africain. La traite arabo-musulmane a commencé en 652, lorsqu'un général arabe a imposé aux chrétiens de Nubie (les habitants de la vallée supérieure du Nil) la livraison de 360 esclaves par an.
Le trafic n'a cessé dès lors de s'amplifier. On évalue entre douze à dix-huit millions d'individus le nombre d'Africains victimes de la traite arabe au cours du dernier millénaire, du VIIe au XXe siècle. C'est à peu près autant que la traite européenne à travers l'océan Atlantique, du XVIe siècle au XIXe siècle, autre cas majeur de migration forcée. Mais tandis que les seconds ont contribué au peuplement des Amériques, il n'en a rien été de ceux destinés aux empires islamiques car les trafiquants avaient soin de castrer les mâles avant le grand voyage. La majorité succombait des suites de l'opération.
Ces tragédies-là relèvent heureusement du passé mais les déplacements de population pour cause de guerre restent quant à eux d'actualité comme on l'a vu encore récemment dans la guerre de Syrie...
The Migration Series (3-40), Jacob Lawrence (1917-2000), Washington, Museum of Modern Art et la Phillips Collection. Série épique décrit la migration d’Afro-Américains après la Première Guerre mondiale du Sud rural au Nord industriel..
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La fin du métissage
Par un paradoxe visible seulement des personnes familières avec l'histoire des populations, le monde est aujourd'hui plus éloigné que jamais d'un « métissage généralisé ». En effet, les migrations de peuplement concernent exclusivement l'Europe (y compris la Russie) et le Nouveau Monde anglo-saxon, soit huit cents millions d'habitants, à peine un dixième de l'humanité. Pour le reste, l'humanité paraît en ce début du XXIe siècle plus cloisonnée et moins « métissée » qu'il y a un siècle, à la veille de la Première Guerre mondiale et à la fin de la première mondialisation. À cette époque-là, pas si lointaine, les Européens constituaient avec les Nord-Américains un tiers de la population mondiale. Présents dans tous les pays du monde, en Afrique, dans les pays musulmans, en Extrême-Orient et même dans le sous-continent indien, ils brassaient les populations à qui mieux mieux, transportant des Tamouls à Ceylan, à Maurice et aux Caraïbes, des coolies chinois en Malaisie comme en Californie, des Bengalis en Birmanie etc. Sans oublier bien sûr la traite des esclaves dans la période antérieure... Nous n'en sommes plus là. Avec la fin du « monde européen », nous nous orientons à grands pas vers un monde constitué de nations en quête d'homogénéité et dans lesquelles les minorités ethniques et/ou religieuses sont persécutées. Les Ougandais ont expulsé leur minorité indienne, les communistes vietnamiens ont « purifié » leur pays en chassant métis, Chinois et Hmongs, les Algériens ont poussé au départ les pieds-noirs, les Birmans expulsent les Rohingyas, les Chinois parquent les Ouïghours etc. etc. Notons aussi que la diversité religieuse du Moyen-Orient et de la Turquie en particulier n'est plus qu'un souvenir avec la quasi-disparition des chrétiens d'Orient. Font exception les terres d'immigration : Europe occidentale, Nouveau Monde anglo-saxon, et dans une moindre mesure Russie et Amérique latine.

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2023.12.01 12:24 miarrial XVIIe - XIXe siècles Et la France inventa l’Amérique

XVIIe - XIXe siècles Et la France inventa l’Amérique
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« Tout homme a deux patries : la sienne et la France ». On ne s’étonnera pas que l’auteur de cette citation soit l’Américain Thomas Jefferson, la France et les États-Unis ayant entretenu au cours des trois derniers siècles une relation privilégiée. Les deux républiques ont forgé leur constitution à quelques années d’intervalles, trouvant la même inspiration chez les philosophes des Lumières, et – fait notable – ne sont jamais entrées en guerre l’une contre l’autre, malgré quelques conflits larvés et des visions du monde largement concurrentes.
Cette indéfectible entente puise bien sûr ses causes dans le rôle joué par la France dans la naissance des États-Unis. On peut même dire que les Français ont largement contribué à inventer l’Amérique.
Le père Marquette (1637-1675) et les Amérindiens, Wilhelm Lamprecht, 1869, Raynor Memorial Library de l'Université Marquette, Milwaukee, Wisconsin

Les Français inaugurent la conquête de l’Ouest

Avec l’exploration du Mississippi menée à la fin du XVIIe siècle depuis les Grands Lacs, les Français ont été les premiers Européens à prendre pied au centre des États-Unis. Venus de l’Hexagone ou des colonies, les aventuriers français font figure de pionniers dans cette région du monde, pratiquant la traite des fourrures, en bonne entente, avec les Amérindiens.
Auguste Chouteau, Anonyme, entre 1815 et 1850, musée d'Histoire du Missouri
Dès le XVIIIe siècle, les trappeurs français, dont des métis, entreprennent dans les Grandes Plaines la conquête de l’Ouest et créent les premières villes. C’est un marchand mulâtre originaire de Saint-Domingue, Jean Baptiste Pointe du Sable, qui fonde Chicago en 1770.
Plus au sud, au confluent du Missouri et du Mississippi, un riche négociant en fourrure originaire de La Nouvelle-Orléans, René-Auguste Chouteau, créé la ville de Saint-Louis, baptisée en l’honneur de Louis IX. Son neveu fondera quelques années plus tard Kansas City.
Même après le rachat de la Louisiane par les États-Unis, les explorateurs français prendront une large part dans l’avancée vers l’Ouest. Plusieurs d’entre eux, faisant office de traducteurs avec les tribus amérindiennes, participeront à l’expédition Lewis et Clark qui atteint l’océan Pacifique en 1806. Quelques années plus tard, le traiteur de fourrures Étienne Provost sera le premier Blanc à découvrir le Grand Lac Salé.
Alfred Jacob Miller, Étienne Provost (assis tout à gauche) donnant ses instructions aux trappeurs, 1860
Héritage de la présence française aux États-Unis : la toponymie. On dénombre ainsi des milliers de lieux, rivières ou montagnes aux noms français. Parmi eux des villes importantes (Détroit, La Nouvelle-Orléans, Saint-Louis, Louisville, Bâton-Rouge, Pierre, Boise, Des Moines, Des Plaines…) et même quatre États (Illinois, Louisiane, Vermont, Maine).

La Fayette offre l’indépendance aux États-Unis

L’intervention française dans la guerre d’indépendance américaine aura deux conséquences majeures sur l’histoire du monde : la naissance des États-Unis et la Révolution française, le coût exorbitant des opérations menées pour la première ayant largement précipité la seconde. Les deux évènements ont pour autre point commun l’implication d’un même homme : La Fayette.
Le marquis de La Fayette, en uniforme de lieutenant-général de 1791, Joseph-Désiré Court
Ce jeune aristocrate à la tête de l’une des plus belles fortune du royaume et assoiffé d'aventures n’a pas vingt ans lorsqu’il rencontre en secret Benjamin Franklin, venu plaider à Versailles la cause des Insurgents américains. Malgré l'opposition de sa famille, il quitte l'armée et décide de rejoindre l'Amérique pour aider les insurgés qui viennent de proclamer leur indépendance.
Dans une lettre à sa sœur, il explique son engagement : « Défenseur de cette liberté que j'idolâtre, libre moi-même plus que personne, en venant comme ami offrir mes services à cette république si intéressante, je n'y porte que ma franchise et ma bonne volonté, nulle ambition, nul intérêt particulier ; en travaillant pour ma gloire, je travaille pour leur bonheur. […] Le bonheur de l'Amérique est intimement lié au bonheur de toute l'humanité ; elle va devenir le respectable et sûr asile de la vertu, de l'honnêteté, de la tolérance, de l'égalité et d'une tranquille liberté. »
Ayant soin de tromper la surveillance de ses proches et des Anglais, il se rend dans le Pays basque et embarque avec quelques fidèles près de San Sebastian, sur une frégate affrétée à ses frais, grâce à une avance sur sa fortune. Il débarque à Georgetown le 15 juin 1777 puis se présente à Philadelphie devant le Congrès américain et revendique humblement le droit de servir comme simple soldat.
Première rencontre entre le marquis de Lafayette et George Washington le 5 août 1777, Currier and Ives, 1876
George Washington et Lafayette (à droite) à Valley Forge (Pennsylvanie), John Ward Dunsmore, 1907, Washington, Library of Congress
On lui attribue le grade de major général et il devient le proche collaborateur et l'ami du commandant en chef George Washington, son aîné de 25 ans, qu'il considère immédiatement comme un père de substitution.
La Fayette blessé à la bataille de Brandywine (11 septembre 1777), Charles Henry Jeens, XIXe siècle
La Fayette va témoigner au combat d'une bravoure et d'un professionnalisme bien supérieurs à ceux des volontaires américains. Le jeune marquis est blessé à la cuisse à la bataille de Brandywine puis, après quelques mois de repos, se distingue en plusieurs occasions, notamment en pénétrant au Canada avec une poignée d'hommes et en secourant 2000 insurgés assiégés par les Anglais.
Au printemps 1779, il revient en France où il reçoit un accueil triomphal, et plaide la cause de l'insurrection. Il réclame l'envoi d'un corps expéditionnaire. Accédant à sa demande, Louis XVI envoie 6 000 hommes outre-Atlantique sous le commandement du général de Rochambeau, avec le concours de la flotte du chef d'escadre François de Grasse.
L’intervention française n’est évidemment pas dénuée d’arrières pensées géopolitiques. Quinze ans après la désastreuse défaite de la guerre de Sept Ans qui l’a privé de presque tout son empire colonial, le royaume entend redorer son blason et prendre sa revanche sur l’Angleterre.
Devançant le corps expéditionnaire, La Fayette embarque le 21 mars 1780 sur la frégate L'Hermione que lui a donnée le roi et arrive à Boston le 28 avril suivant. À la tête des troupes de Virginie, il harcèle l'armée anglaise de lord Cornwallis et fait sa jonction avec les troupes de Washington et Rochambeau.
Sculpture du général de division Marquis Gilbert de Lafayette réalisée par Alexandre Falguière dans le parc Lafayette à Washington, D.C.
Les troupes britanniques sont bientôt coincées dans la baie de Chesapeake, dans l'impossibilité de recevoir des secours par mer du fait du blocus effectué par la flotte de De Grasse. C'est ainsi que les alliés franco-américains remportent la victoire décisive de Yorktown le 19 octobre 1781. Deux ans plus tard, c’est à Paris qu’est signé le traité de paix qui reconnaît l’indépendance des États-Unis.
Deux siècles après sa mort, La Fayette jouit encore aux États-Unis d’une popularité considérable. Plus de 600 lieux ont ainsi été baptisés en son honneur dont une quarantaine de villes, une montagne et un square à son nom devant la Maison-Blanche avec sa statue sculptée par Alexandre Falguière.
Monument à La Fayette et Washington par Auguste Bartoldi, Paris, place des États-Unis
Une autre, œuvre de Bartholdi, est installée à Manhattan dans Union Square Park. Le Français sera même élevé à titre posthume au rang de citoyen d'honneur des États-Unis, privilège exceptionnel qui n’a été accordé qu’à huit personnalités.
Surnommé le « héros des deux mondes », La Fayette demeure le symbole de l’amitié franco-américaine. Chaque 4 juillet, l'ambassade des États-Unis en France dépose une gerbe de fleurs sur sa tombe, au cimetière parisien de Picpus, comme l’ont fait en 1917 les soldats du corps expéditionnaires conduits par le général John Pershing.

Pierre L’Enfant invente Washington

Quelques années après La Fayette, un autre Français va s’illustrer dans l’histoire des États-Unis : Pierre Charles L'Enfant. C’est durant la guerre d’indépendance que ce Parisien, fils d’un peintre de la cour, débarque en Amérique en tant qu’ingénieur militaire et participe à la bataille de Saratoga.
La guerre terminée, il peut commencer une carrière d’architecte et d’urbaniste. Il ne tarde pas à se fait connaître en concevant le Federal Hall, le premier capitole des États-Unis et plus ancien immeuble de Wall Street.
Cette lithographie est l'une des rares images du Federal Hall avant sa démolition en 1812. Il s'agit du 150e anniversaire de la Constitution des États-Unis de 1939 commémore l' investiture du premier président des États-Unis, George Washington
Et lorsqu’en 1787, la jeune république décide de se doter d’une capitale flambant neuve, créée ex-nihilo sur un territoire marécageux à la confluence du fleuve Potomac et de la rivière Anacostia, entre les États du Maryland et de la Virginie, c’est le projet du Français qui est choisi.
Washington, ainsi nommée en l'honneur du premier président des États-Unis, présente un plan géométrique avec des rues en damier coupées par des avenues obliques qui débouchent sur des places circulaires. À l’image de Versailles, l’urbanisme de la nouvelle capitale se distingue par la faible hauteur des bâtiments, et les gratte-ciels y seront proscrits.
Le président John Adams peut s’y installer en juin 1800 suivi peu après par le Congrès, c'est-à-dire le Sénat et la Chambre des Représentants. Un siècle plus tard, le gouvernement américain transférera la dépouille de L’Enfant au cimetière d'Arlington, en face de cette capitale qu’il avait conçue.
Plaque décrivant l'histoire, les caractéristiques et les principaux emplacements du Plaza et du plan de Pierre Charles L'Enfant

Etienne Girard sauve la jeune république

Vingt-cinq ans après une indépendance acquise de haute lutte, c’est un émigré français, Étienne Girard, qui va permettre à l’ancienne colonie de se tirer d’un mauvais pas qui aurait pu lui être fatal.
Stéphane Girard, vers 1915, JR Lambdin d'après un portrait posthume, bibliothèque de Philadelpie
Issu d’une famille de négociants de Bordeaux, cet armateur pratiquant le commerce entre les Antilles et les États-Unis se réfugie à Philadelphie lors du déclenchement de la guerre d’indépendance. Naturalisé américain, il bâti rapidement une fortune considérable grâce au commerce avec l’Europe et la Chine, faisant de lui l’homme le plus riche des États-Unis.
Lorsqu’éclate en 1812 une nouvelle guerre anglo-américaine, les États-Unis sont en proie à de sérieuses difficultés financières. Leur banque centrale a été supprimée un an plus tôt et les banques privées, opposées à la guerre, refusent de prêter le moindre dollar.
C’est finalement Girard qui à la tête de sa propre banque, la Girard Bank, devient le principal bailleur de fonds du gouvernement américain, garantissant à lui seul jusqu’à 95% des bons de guerre émis par les États-Unis. Son concours évitera aux Américains une cinglante défaite.

Tocqueville et l’avènement de la démocratie

Au milieu du XIXe siècle, un philosophe français va révéler les Américains à eux-mêmes : Alexis de Tocqueville. C'est lui aussi qui entreverra l'avènement de la démocratie et les menaces qui pèsent aujourd'hui sur elle.
Le jeune magistrat a 25 ans lorsqu’il obtient du gouvernement de la monarchie de Juillet un voyage d’études aux États-Unis pour y étudier le système pénitentiaire américain. Il arrive à New York le 11 mai 1831. Flattés de l'intérêt que la France porte à leur système judiciaire, les Américains lui réserve un accueil empressé.
Croquis d'Alexis de Tocqueville jeune, Bibliothèque de livres rares et de manuscrits Beinecke, Université de Yale
Torture par l'eau à la prison de Sing Sing en 1860, The Burns Archive
Tocqueville visite la prison de Sing-Sing et le pénitencier d'Auburn puis remonte jusqu'aux Grands Lacs, à la rencontre des Amérindiens. Il redescend ensuite le Mississippi et découvre l'esclavage des Noirs. Après un passage à la Nouvelle-Orléans, il regagne Washington où il est reçu avec tous les égards par le président Andrew Jackson en personne. Rappelé par son administration, Tocqueville quitte les États-Unis plus tôt que prévu, à la fin mars 1832.
De ses notes de voyage, le philosophe tire la matière de son premier ouvrage, La Démocratie en Amérique, dont le tome 1 est publié le 23 janvier 1835. Il traite plus particulièrement de l'Amérique pionnière du président Andrew Jackson. Le succès est immédiat et lui vaut d'être élu en 1838 à l’Académie des sciences morales et politiques.
Dans le deuxième tome, l'auteur élargit audacieusement son propos au phénomène démocratique et à son avenir probable. Alexis de Tocqueville montre que l'État de droit et les libertés individuelles sont les moteurs indispensables du progrès économique et social. Il lie le progrès social aux libertés politiques et manifeste son admiration pour la culture politique des Américains, en voyant des journaux jusque dans les plus modestes log-houses (maisons en rondins des pionniers).
Tocqueville craint cependant que le mouvement démocratique et l'individualisme ne conduisent à terme à une atomisation de la société et ne débouchent sur l'avènement d'un État despotique.
Buste d'Alexis de Tocqueville réalisé par le sculpteur Ernest Diosi à Tocqueville dans la Manche
Par l'acuité de ses vues, Tocqueville figure parmi les écrivains français les plus connus aux États-Unis et c'est dans ce pays que se rencontrent encore aujourd'hui les meilleurs spécialistes de son œuvre. Comment ne pas admirer sa prescience quand, en conclusion du Ier volume de La Démocratie, il entrevoit le partage du monde entre les États-Unis et la Russie : « Il y a aujourd'hui sur la terre deux grands peuples qui, partis de points différents, semblent s'avancer vers le même but : ce sont les Russes et les Anglo-Américains. Tous deux ont grandi dans l'obscurité ; et tandis que les regards des hommes étaient occupés ailleurs, ils se sont placés tout à coup au premier rang des nations, et le monde a appris presque en même temps leur naissance et leur grandeur. »

La statue de la Liberté : symbole de l’amitié franco-américaine

Autre leg - et non des moindres ! – de la France aux États-Unis : la statue de la Liberté. L’idée est à mettre au crédit d’un professeur de droit, Édouard Laboulaye, qui à la suite de l’abolition de l’esclavage aux États-Unis propose la construction d'un monument qui scellerait l'amitié entre les peuples français et américain et serait inauguré à l'occasion du centenaire de la Déclaration d'Indépendance, en 1876.
Aquarelle du projet de Bartholdi pour le canal de Suez, 1869, musée Bartholdi de Colmar
Parallèlement, lors d’un voyage en Égypte, Auguste Bartholdi, ami de Laboulaye, impressionné par les colosses de Memnon, imagine la construction à l’entrée du canal de Suez d’une statue monumentale, à l'image du colosse de Rhodes.
Son projet qui s’appellerait La Liberté éclairant l'Orient prend l'allure d'une paysanne égyptienne qui brandit une torche, avec une majesté toute antique. Mais le vice-roi d'Égypte, Ismaïl Pacha, repousse l'idée et Bartholdi revient à Paris avec la maquette en terre cuite dans sa malle. Nul ne peut dire en revanche avec certitude qui aura servi de modèle au sculpteur.
Tandis que la France est encore sous le coup de la défaite de 1870, Édouard Laboulaye, devenu député républicain, se montre plus que jamais convaincu de l'utilité du monument à la Liberté. Il suggère à son ami de se rendre aux États-Unis pour tâter le terrain.
Dès son arrivée dans la rade de New York, à l'automne 1871, Bartholdi repère l'emplacement idéal pour son futur monument. C'est l'île de Bedloe, rebaptisée Liberty Island en 1956. Elle est visible de tous les arrivants et offre un point de vue à la fois sur le grand large et la cité.
Laboulaye et Bartholdi ont dans l'idée que le monument, d'un coût de 250 000 dollars (une somme colossale pour l'époque), soit financé par souscription, pour moitié par le peuple français et par le peuple américain, le premier se réservant la statue et le second le piédestal.
Bartholdi rencontre à cette fin le président Ulysses S. Grant, des sénateurs, des industriels et des journalistes. Mais ses interlocuteurs demeurent très réservés à l'égard du projet, contrairement à la France où il recueille désormais les faveurs de l'opinion. En vue de lever des fonds, Laboulaye fonde un Comité de l'union franco-américaine.
La statue de la Liberté en cours de montage dans les ateliers Gayet de la rue Chazelles, 1884, Victor Dargaud, musée d'art de Santa Barbara
La fabrication peut enfin commencer dans les ateliers de la société Gaget, Gauthier et Cie, rue de Chazelles, au nord de Paris. Elle mobilisera jusqu'à 600 ouvriers. Mais il est devenu illusoire d'inaugurer la statue pour le centenaire de l'indépendance américaine. À tout le moins, Laboulaye et Bartholdi veulent profiter de l'Exposition universelle de Philadelphie de 1876 pour sensibiliser l'opinion américaine à leur projet.
Ils accélèrent le montage du bras droit et de sa torche afin de pouvoir les présenter sur place. La pièce arrivera après la célébration de l'Independence Day mais elle n'en recueillera pas moins un très vif succès auprès du public. Grâce à une première collecte de fonds, on met à l'étude le piédestal. Il est confié à un architecte de renom, Richard Morris Hunt, qui a déjà conçu le Metropolitan Museum de New York.
Élévation du piédestal de la statue sur Liberty Island, XIXe siècle
Bartholdi se tourne vers Gustave Eiffel qui est en train de se bâtir une réputation internationale grâce à sa maîtrise des structures en acier. Celui-ci conçoit une charpente métallique légère qui, tel le roseau de la fable, saura résister aux plus violentes tempêtes en pliant et en se déformant.
Laboulaye meurt en mai 1883 et c’est le populaire Ferdinand de Lesseps qui le remplace à la présidence du comité. C'est lui qui va officiellement remettre à l'ambassadeur américain, le 4 juillet 1884, la statue enfin terminée.
Mais outre-Atlantique, le projet se délite. Les riches New-Yorkais le dédaignent et le comité n'arrive pas à recueillir suffisamment de dons pour l'achèvement du piédestal. C’est finalement grâce à une campagne de presse lancée par Joseph Pulitzer dans son journal à sensation le New York World que les fonds nécessaires seront enfin réunis.
Dévoilement de la Statue de la Liberté le 28 octobre 1886, Edward Moran, 1886
Bartholdi n'a pas attendu la fin de la souscription pour envoyer la statue à New York. À raison de 350 pièces dans 214 caisses, elle est chargée sur une frégate armée par le gouvernement français et arrive à New York le 17 juin 1886. Quatre mois suffiront pour monter les 100 tonnes de la structure et les 80 de l'enveloppe de cuivre.
Le 28 octobre 1886, « La Liberté éclairant le monde » est inaugurée dans la liesse par le président Grover Cleveland. C'est la plus colossale statue jamais construite : 46 mètres de haut et 93 avec le piédestal.
La statue est chargée d'une symbolique simple et accessible à tous. Elle tient dans sa main gauche une tablette où l'on peut lire « July 4th, 1776 » (Déclaration d'indépendance des États-Unis) et les chaînes brisées à ses pieds rappellent l'abolition de l'esclavage.
Les sept rayons de sa couronne sont censés représenter les sept océans et continents de la Terre. La couronne, enfin, comporte 25 fenêtres qui figurent autant de joyaux et d'où les visiteurs peuvent contempler la baie de New York.
Vue aériennes de Liberty Island avec la Statue de la Liberté

Un Bonaparte invente le FBI

Notons enfin que la plus célèbre police du monde, le FBI a, elle aussi, des origines françaises. Celle-ci fut fondée par Charles Bonaparte, petit-neveu de Napoléon Ier et petit-fils de Jérôme Bonaparte qui se maria une première fois lors de son exil aux États-Unis.
Ministre de la Justice dans le gouvernement du président Theodore Roosevelt, Bonaparte créé en 1908 le Bureau of Investigation. L'agence a pour mission de lutter contre le crime organisé dans toute l'étendue des États-Unis, en suppléant aux insuffisances des polices des différents États. Elle a en charge aussi la sécurité intérieure et le service de renseignements.
L'appellation Bureau, inusitée en anglais est due aux origines françaises du ministre et sera reprise dans son nom actuel en 1935 : Federal Bureau of Investigation.

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2023.11.23 15:55 miarrial La Russie des Romanov De Michel Ier à Catherine II

La Russie des Romanov De Michel Ier à Catherine II
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Après des débuts prometteurs, les peuples slaves établis entre la Baltique et la Caspienne ont subi pendant près de trois siècles une « nuit mongole » doublée de brutales invasions en provenance de Pologne ou d'Allemagne. Mais les populations russes dispersées dans les plaines d'Europe orientale ont reconquis lentement leur autonomie et se sont fédérées autour du grand-duché de Moscovie (capitale : Moscou) et de ses souverains.
Le Temps des troubles, vu par Sergueï Vassilievitch Ivanov, 1886

1613-1645 : Michel Ier

En 1613, la Russie est menacée de disparition. Depuis la mort du tsar Boris, huit ans auparavant, elle n’est plus vraiment gouvernée et subit une série d’insurrections. L’héritier de Boris a été assassiné, un usurpateur a accédé au trône et ses successeurs sont déposés les uns après les autres.
Michel Ier, 1613
La Russie devient une proie pour ses voisins et une partie de son territoire, à commencer par Moscou, est occupée par la Pologne et la Suède. Cette période de quasi-anarchie, au cours de laquelle la population de l’empire passe de 15 à 8 millions d’habitants, est désignée en Russie sous le nom de « Smouta » (« Troubles »). À noter que le terme sera réemployé pour évoquer la décennie qui a suivi l'effondrement de l'URSS.
Pour mettre fin à la vacance du pouvoir et ramener l’ordre, le Zemski Sobor, sorte d’équivalent russe des états généraux, se réunit en février 1613 afin d’élire un nouveau souverain. Des candidats prestigieux sont sur les rangs mais l’assemblée choisit un inconnu, âgé de 16 ans : Michel Romanov. Il est issu d’une famille de boyards très populaire qui s’est tenue à l’écart des conflits. Michel est couronné tsar le 13 juillet 1613. C’est le début d’une dynastie qui va régner trois siècles sur la Russie.
Philarète par Vladimir Hau, vers 1854, siège épiscopal de Moscou
Le jeune tsar est inexpérimenté et s'appuie donc sur le Zemski Sobor et la Douma des boyards. Il peut surtout compter sur l’aide de son père, le patriarche Philarète de Moscou, un homme estimé pour sa sagesse. C’est lui qui dirigera de facto la Russie, jusqu'à sa mort en 1633, et contribuera à renforcer l’autorité de l’État.
Bien que très jeune et inexpérimenté, le fondateur de la dynastie va accomplir une œuvre immense en consolidant les fondation de l'empire hérité des riourikides. Sa première tâche est de pacifier le pays en proie aux pillards et mettre fin à la guerre avec ses voisins. Une paix est signée avec la Suède en 1617 puis avec la Pologne un an plus tard. La Russie perd ses débouchés sur la mer Baltique ainsi que Smolensk, la « mère des villes russes ».
Alors que Polonais, Suédois et Allemands font courir sur la Russie la menace de nouvelles agressions, le jeune Michel Romanov veut avant toute chose prémunir le pays contre le retour des envahisseurs. Il fait ainsi détruire trois églises luthériennes à Moscou et interdit les vêtements de coupe occidentale… ainsi que l’usage du tabac ! Il interdit aussi les mariages de la famille régnante avec des non-orthodoxes, donc des Occidentaux.
Michel interdit aux étrangers le commerce de détail. Mais il fait malgré tout appel à eux pour encadrer et former l’armée russe ! Dès 1624, l’armée compte 5000 officiers européens. Il fait aussi appel aux étrangers pour reconstruire le pays : des Hollandais sont conviés en Russie et créent des usines près de Moscou ainsi que dans l’Oural, où naîtra la première industrie métallurgique.
La colonisation de la Sibérie, entamée au siècle précédent, se poursuit et des villes nouvelles sont fondées. En 1640, les Russes atteignent le fleuve Amour, aux limites de la Chine, et fondent la ville d'Irkoutsk, près du lac Baïkal. Des pionniers atteignent l'océan Pacifique. Quelques années plus tard, le navigateur Simon Dejnev traverse à son tour le détroit séparant l’Asie de l’Amérique. Son exploit restera oublié pendant près d’un siècle et c'est Béring qui laissera son nom au détroit ! Lorsque Michel Ier meurt en 1645, la Russie est pacifiée mais demeure un État pauvre, plus proche de la féodalité que des monarchies européennes.
Alexis Ier de Russie joue aux échecs, Vyacheslav Schwarz, 1865, musée russe de Saint-Pétersbourg

1645-1676 : Alexis Ier

Alexis Ier succède à son père le 22 juillet 1645. Comme son père, Alexis n’a que seize ans, lorsqu’il monte sur le trône. Lettré et très pieux, il se passionne pour les arts et jouit d’une grande popularité.
Alexis Ier de Russie, anonyme, entre 1790 et 1810, Saint-Pétersbourg, musée de l'Ermitage
Le tsar tente d’occidentaliser son pays par petites touches. Il supprime certains privilèges de la noblesse mais interdit aux serfs (dico) de changer de propriétaires. S’ensuivent une série de révoltes comme celle menée par le cosaque et pirate Stenka Razine qui met le sud du pays à feu à sang. Vaincu par les troupes du tsar, Razine sera exécuté. Des chansons populaires entretiendront le souvenir de sa révolte jusqu’à l’époque soviétique.
En 1654, le chef cosaque Bohdan Khmelnitski signe avec le tsar le traité de Pereïaslav qui fait de l’Ukraine orientale une partie intégrante de la Russie. Ce traité enclenche une guerre avec la Pologne qui se conclut en 1667 par la trêve d'Androussovo. La Russie d'Alexis Ier cède les provinces baltes aux Suédois mais obtient Kiev, la « mère des villes russes », Smolensk et la rive gauche du Dniepr, autrement dit toute l’Ukraine. Ses frontières s’étendent désormais du Dniepr au Pacifique.
Le patriarche Nikon ordonnant la révision des livres liturgiques, Aleksey Kivshenko, XIXe siècle
Le règne d’Alexis est aussi marqué par un schisme au sein de l’Église orthodoxe russe quand le patriarche Nikon veut aligner le rite traditionnel russe sur le rite grec en 1666. Opposés à ces réformes, les « Vieux Croyants » ou raskolniki (du russe raskol, qui signifie schisme) tenteront de renverser les Romanov. Pourchassés pendant presque toute l’histoire russe, ils sont encore près d’un million aujourd’hui.
Fédor III, Saint-Pétersbourg, musée de l'Ermitage
Le tsar Alexis meurt en 1676. Quatre de ses enfants vont successivement s’arroger le pouvoir. C’est d’abord son fils ainé, Fédor III (ou Théodore III, 15 ans) qui monte sur le trône mais sa mauvaise santé ne lui permet de régner que six ans. Il meurt le 7 mai 1682 et c’est son frère Ivan (16 ans) qui est proclamé tsar de Moscovie sous le nom d’Ivan V. Mais comme il est simple d’esprit, aveugle et muet, il partage le trône avec son demi-frère Pierre (10 ans), né le 9 juin 1672 de Natalia Narychkina. On fabrique pour cela un double trône !
Mais Ivan est trop malade pour régner et Pierre est trop jeune. Résultat : c’est leur sœur ainée, Sophie qui exerce la régence avec son favori, le prince Galitzine. En 1684, elle se rallie à une Alliance sainte initiée par le pape Innocent XI contre la Turquie.
En août 1689, Sophie se voit forcée de lâcher le pouvoir et celui-ci est repris par Nathalie, mère de Pierre. À la mort de cette dernière en 1694, Pierre Ier, prenant son mal en patience, continue de partager le pouvoir avec Ivan V jusqu’à la mort de celui-ci le 8 février 1696..
La Russie rencontre la Chine
Après avoir atteint l'océan Pacifique, les Russes poursuivent leur progression en Extrême-Orient et finissent par se heurter à l'empire chinois dans la région du fleuve Amour. Le 6 septembre 1689, un traité est signé entre les deux empires à Nertchinsk, au nom de la régente Sophie et de l'empereur Kangxi. Il fixe la frontière entre la Chine et la Russie au fleuve Argoun, affluent de l'Amour. La Russie renonce à l'accès à la mer du Japon mais établit des relations commerciales avec Pékin. C'est le premier traité signé entre la Chine et une puissance européenne.
Livre du couronnement d'Ivan V et Pierre Ier

1694-1725 : Pierre le Grand, un géant visionnaire

Le futur Pierre le Grand, qui a été initié aux sciences modernes par un précepteur allemand, va consacrer toute son énergie à occidentaliser son pays sans s'embarrasser de précautions. Pour commencer, il fait appel à des techniciens européens afin d'enlever aux Turcs la citadelle d’Azov en juillet 1696. Sa prise donne à la Russie un accès à la mer du même nom et à la mer Noire. Pour sécuriser la forteresse, il lance la construction d’une vaste flotte. C’est la naissance de la marine russe.
Comme Boris Godounov, Pierre envoie des jeunes gens se former en Occident. Lui-même part incognito en Europe accompagné d’une « Grande Ambassade » de 300 personnes. Sous le pseudonyme de « Pierre Mikhaïlov » (sobriquet qui ne dupe personne !), il parcourt le Vieux Continent pendant 18 mois. Il se rend aux Provinces-Unies, à Venise et en Angleterre. Il apprend le métier de charpentier naval à Amsterdam et recrute 500 marins hollandais ainsi que des milliers de techniciens.
Pendant son absence, ses adversaires fomentent un complot pour remettre Sophie sur le trône en s’appuyant sur les streltsy, sorte de garde prétorienne du tsar, qui avait déjà pris parti contre Pierre. La tentative de coup d’État échoue avant même le retour de Pierre Ier. Un millier de streltsy sont torturés et massacrés, leurs cadavres exposés dans les rues.
la Grande-Duchesse Sophie, portrait anonyme, entre 1801 et 1850, Saint-Pétersbourg, musée de l'Ermitage
Dès son retour en Russie, le tsar met en œuvre sa politique d’occidentalisation à marche forcée. Le 5 septembre 1698, ordre est donné aux courtisans de se raser ainsi que de porter des habits courts à l’européenne. Adieu les longues tuniques et les robes traditionnelles ! Les contrevenants doivent s’acquitter d’une lourde taxe. Le souverain légalise aussi l’usage du tabac et impose le calendrier occidental. En 1699, il crée à Moscou une école d’artillerie. Il fonde aussi une imprimerie. Il va sans dire qu’en dehors de la capitale, cette modernisation brutale ne sera jamais acceptée et provoquera des révoltes récurrentes.
Pierre Ier crée un conseil de neuf membres qui prend le nom de « Sénat », à même de se substituer à lui en son absence. Il fonde une Académie des Sciences, une Académie navale, deux Académies militaires…
Pierre le Grand inspectant un navire à Amsterdam, Abraham Storck, vers 1700, Londres, Royal Museums Greenwich

1700-1721 : La grande guerre du Nord

Cherchant des débouchés maritimes, le tsar se tourne vers la mer Baltique, alors contrôlée par les Suédois. Ceux-ci ont rassemblé contre eux une vaste coalition comprenant le Danemark, la Pologne et la Saxe et à laquelle Pierre Ier s’est joint. L’attaque du Danemark contre la Suède au début de l’année 1700 marque le début du conflit.
L’entrée en guerre des Russes est catastrophique. L’armée du tsar est écrasée à Narva par les troupes de Charles XII, largement inférieures en nombre. Mais plutôt que de marcher sur Moscou, alors à peine défendue, le roi de Suède préfère s’attaquer aux Polonais et aux Saxons, laissant le temps au tsar de reconstituer une armée, formée cette fois à l’européenne. Finis l’antique cavalerie et les fantassins à peine entraînés. C’est désormais une armée formée et fondée sur la conscription.
Fort de ces nouvelles troupes, le tsar reprend l'offensive en Livonie et en Estonie. L’Ingrie ayant été délaissée par les Suédois, l’armée russe s’y installe. En 1703, Pierre Ier fonde à l'embouchure de la Neva, la forteresse Pierre-et-Paul. Il en fait le noyau de la future capitale, Sankt-Petersburg (en allemand dans le texte). Sa construction en style rococo, va s'étirer sur tout le XVIIIe siècle et coûter la vie à de nombreux ouvriers. Elle deviendra capitale officielle de l'empire en 1712, en remplacement de Moscou. Pour la renforcer, Pierre fait construire sur l’île voisine de Kotline la forteresse de Kronstadt, d’où partira deux siècles plus tard la célèbre révolte des marins contre le pouvoir bolchevique.
Bataille de Lesnaya, l'une des batailles décisives de la Grande Guerre du Nord, Jean-Marc Nattier, 1717
Le tsar se préoccupe aussi de moderniser et renforcer son armée. En 1705, il instaure la conscription : un paysan sur 75 est recruté pour 25 ans et, en 1722, la Table des rangs formalisera l’obligation de service des nobles.
En 1708, Charles XII reprend l’assaut contre la Russie et enchaîne les victoires. Mais une nouvelle fois, au lieu de s’avancer vers Moscou, le Suédois se dirige vers l'Ukraine où son armée doit faire jonction avec les Cosaques de Mazeppa lequel vient de trahir le tsar. Fidèle à une tactique qui fera ses preuves, Pierre Ier refuse de livrer bataille et laisse les Suédois pénétrer plus profondément dans son empire.
Coupé de ses arrières, Charles XII persiste à s'enfoncer dans l’immensité russe, alors que l’Europe subit le terrible hiver 1709. Le grand affrontement avec les troupes du tsar a finalement lieu le 8 juillet 1709 à Poltava. Épuisée, les Scandinaves sont écrasés par les Russes, supérieurs en nombre. L’armée suédoise est détruite et Charles XII s’enfuit en Turquie. C’est le grand tournant de la guerre.
Après ce succès éclatant, la Russie reprend l’offensive en Baltique et conquiert la Carélie, la Livonie et l’Estonie. Le 27 juillet 1714, la toute jeune marine russe détruit la flotte suédoise au large de Hangö Oud, au sud de la Finlande. Cette victoire sur une flotte réputée invincible fait l’effet d’une bombe en Europe. La grande guerre du Nord s’achève par la signature en 1721 du traité de Nystad. La Russie gagne l’Estonie, la Livonie, l'Ingrie et une partie de la Carélie. Disposant d’une large fenêtre sur la Baltique, le pays de Pierre Ier entre dans le concert européen et supplante la Suède comme puissance du Nord.
Bataille navale d'Hangö Oud, Maurice Baquoi, XVIIIe siècle
En attendant, en 1717, Pierre Ier effectue un voyage officiel en France. Il visite la bibliothèque Mazarine, la Sorbonne et également l’Académie française. Mais il brouille son image de souverain moderniste par sa réputation de brutalité, allant jusqu'à tuer son fils aîné Alexis, coupable d'animer le clan conservateur !
Pierre Ier sur son lit de mort, Ivan Nikitine, 1725, musée russe de Saint-Pétersbourg
Désormais appelé « le Grand », Pierre Ier se voit conférer par le Sénat en 1721 le titre d'« empereur ». C’est la fin officielle du tsarat et le début de l’empire russe, avec une nouvelle capitale : Saint-Pétersbourg. La même année, l’empereur supprime le patriarcat de Russie qu’il remplace par le Saint-Synode, une direction collégiale de l'Église dont les membres sont nommés par le souverain, donnant à l’État russe un droit de regard sur les affaires religieuses.
Quatre ans après la proclamation de l’empire, le 8 février 1725, Pierre le Grand décède d’une pneumonie. Le défunt tsar qui a quand même fait torturer et exécuter son propre fils, n’a plus qu’un héritier : son petit-fils. Âgé de 11 ans, Pierre II est trop jeune pour régner et c’est la seconde épouse de Pierre le Grand, Marthe Skravonska, qui lui succède sous le nom de Catherine Ière. Quel incroyable destin pour cette ancienne paysanne balte analphabète !
La tsarine confie la politique étrangère au baron Ostermann qui va conduire la Russie à la victoire sur les Ottomans en 1736-1739. Quinze ans plus tard, lors du coup de force d’Elisabeth Ière, le ministre sera renversé. Condamné à l’écartèlement, il verra au pied de l’échafaud sa peine convertie en un exil à vie !
Emportée par la variole en 1727, Catherine Ière laisse le trône à Pierre II qui s’éteint sans descendance après seulement trois ans de règne. C’est sa cousine Anne, fille du co-tsar Ivan V, qui lui succède.

1730-1740 : Anne Ière

Femme cruelle, davantage intéressée par ses nains que par les affaires de l’État, la nouvelle tsarine délègue le gouvernement à son favori, Ernest Johann von Biron, un aristocrate germano-balte, détesté des Russes et qui n'hésite pas à faire exécuter ou déporter ses adversaires.
Ernst Johann von Biron, vers 1730, Lettonie, Rundāle Palace
Biron s’entoure de barons baltes luthériens qui poussent la Russie à intervenir dans les affaires européennes. Elle participe ainsi contre la France à la guerre de Succession de Pologne en assiégeant la ville de Dantzig. La guerre reprend également contre la Turquie pour l’accès à la mer Noire et se solde par la perte d’Azov.
C’est sous le règne d’Anne Ière que les Russes prennent pied en Alaska.
Anne meurt en 1740, elle aussi sans enfant. Pour permettre à Biron de lui succéder, elle désigne comme héritier un nourrisson : l’arrière-petit-fils d'Ivan V. Mais un coup d'État fomenté par la fille de Pierre le Grand, Élisabeth, avec l’aide de la garde impériale, exile Biron en Sibérie et destitue Ivan VI. Celui-ci passera le restant de ses jours en captivité sous le nom de « Prisonnier numéro 1 ».

1741-1761 : Élisabeth Ière

La nouvelle tsarine délègue presque tous ses pouvoirs à ses favoris afin de pouvoir se consacrer à la vie culturelle. Francophile, elle commande à Voltaire une Vie de Pierre Le Grand et fait découvrir à la cour les comédies de Molière. L’aristocratie russe se modernise et s’ouvre à la littérature et à la musique.
Portrait officiel d'Élisabeth Ire, Louis Tocqué, 1758, Saint-Pétersbourg, musée de l'Ermitage
Son règne est une période d’éclat sur le plan intellectuel, marquée notamment par l’action du savant et poète Michel Lomonossov, surnommé le « Leibniz russe ». Sous son impulsion est ainsi créée l’Université de Moscou en 1755 et l’Académie impériale des Beaux-Arts. L’architecte italien Barthélemy Rastrelli popularise le style « baroque élisabéthain » avec le palais d'Hiver, le palais Catherine, le palais de Peterhof (le « Versailles russe ») ou le couvent Smolny (qui hébergera le quartier général des bolcheviques en 1917).
La Russie prend part à plusieurs conflits. Sa victoire contre la Suède lui permet d’annexer la Finlande méridionale en 1743. L’armée russe participe également à la guerre de Sept Ans aux côtés de l’Autriche et de la France et inflige à la bataille de Kunersdorf en 1759 une cuisante défaite à Frédéric II qui permet aux austro-russes d’entrer dans Berlin.
Sans enfant, l'impératrice désigne comme successeur son neveu, Pierre, duc de Holstein-Gottorp. Consciente de ses limites, Élisabeth lui trouve une épouse de caractère en la personne d'une princesse allemande : Sophie d'Anhalt-Zerbst. Totalement dévouée à sa nouvelle patrie, celle-ci se convertit à l'orthodoxie et prend pour nom Catherine.
Dernière Romanov de souche russe, Élisabeth meurt le 5 janvier 1762.

Le règne éphémère de Pierre III

Le nouvel empereur, Pierre III, ne règnera que 6 mois. Se montrant davantage attaché à son duché d’origine qu’à sa terre d’adoption, le tsar est un admirateur de Frédéric II et sa première décision est de signer une paix séparée avec la Prusse, au grand dam de ses alliés autrichiens et français. Il évite ainsi au roi de Prusse une lourde défaite. Dès son avènement, en janvier 1762, le nouveau tsar Pierre III Sa prussophilie l’amène aussi à quitter la coalition de la guerre de Sept Ans, ce qui fait le bonheur de l’Angleterre.
Pierre III et Catherine II avant leur règne, Georg Christoph Grooth, vers 1745, musée d'art d'Odessa
Haï des dignitaires russes, Pierre III s’entoure de courtisans allemands. Il refuse d’abandonner le luthéranisme et se met à dos l’Église orthodoxe en demandant aux popes de se vêtir comme des pasteurs et en ordonnant le retrait des icônes des églises.
L’empereur s’entend si mal avec son épouse qu’il envisage de la répudier pour se remarier avec sa maîtresse. Assignée au palais de Peterhof, Catherine fomente un complot avec l’aide de quelques officiers pour chasser son mari du trône. Le coup d'État a lieu le 9 juillet 1762.
Catherine est conduite par les conjurés à la caserne du régiment Ismaïlovski, où les soldats lui prêtent serment de fidélité. Forte de ce soutien, elle marche ensuite vers Saint-Pétersbourg où elle est accueillie triomphalement et proclamée impératrice à la cathédrale Notre-Dame-de-Kazan.
Contraint d’abdiquer, le tsar déchu est retenu prisonnier au château de Ropcha où il meurt quelques jours plus tard au cours d’une « dispute » avec son geôlier, Alexis Orlov, qui se trouve être également le favori de Catherine ! Le mystère entourant sa mort donnera naissance à d’innombrables rumeurs qu’exploiteront, non sans succès, quantité d’imposteurs.

1762-1795 : Catherine II, une Allemande au service de la Russie

La nouvelle tsarine poursuit la politique de modernisation entamée par Pierre le Grand. Séduite par les philosophes des Lumières, elle attire à Saint-Pétersbourg des Européens de renom, y compris Diderot et Mme Élisabeth Vigée-Lebrun. À Diderot, elle déclare en 1773 : « Vous ne travaillez que sur le papier qui souffre tout, tandis que moi, pauvre impératrice, je travaille sur la peau humaine qui est bien autrement irritable et chatouilleuse ».
L'impératrice fait confisquer l'essentiel des biens de l'Église orthodoxe et met en œuvre la séparation du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire.
Pour exploiter la steppe inhabitée de la moyenne Volga, elle fait appel à 23 000 paysans allemands de Rhénanie dont les descendants resteront dans la région jusqu’à la fin de l’URSS.
Catherine II, vers 1780, Berlin, Kunsthistorisches Museum
Modèle du « despote éclairée », Catherine II rétablit pourtant la peine de mort, abrogée par Élisabeth Ière. Elle renforce également les privilèges des nobles. Ceux-ci ne sont plus contraints de servir dans l’armée et sont dispensés d’impôt. Pire : leurs droits sur les serfs sont étendus. Les propriétaires sont désormais libres de les punir, les vendre ou les envoyer en Sibérie. Et le nombre de serfs ne cesse de s’accroître. Il passe de 40% de la population russe en 1750 à plus de la moitié à la fin du règne de Catherine II.
Le règne de Catherine II sera surtout marqué par ses succès en politique étrangère. Première souveraine à n’avoir pas une goutte de sang russe, elle entend profiter de l'affaiblissement de la Pologne pour récupérer les terres de la Russie historique (la Rus' de Kiev) à savoir la Biélorussie (« Russie blanche ») et l’Ukraine (« Petite Russie »).

La révolte de Pougatchev
L'aggravation de la condition paysanne sera à l’origine de nombreuses révoltes. La plus fameuse éclate en 1773. Elle est menée par Emelian Pougatchev, un cosaque déserteur qui se fait passer pour Paul III et appelle à déposer l’impératrice. Partie de l’Oural, la révolte va prendre une ampleur considérable, attitrant les mécontents de toute sorte : Vieux Croyants, serfs exploités, Cosaques du Don, ouvriers… En l’absence des troupes régulières en prise avec les Turcs, les insurgés, au nombre de 50 000, s’emparent d’un vaste territoire entre la moyenne Volga et l'Oural. Ils prennent Kazan et menacent même Moscou ! Ce n’est qu’avec le retour de l’armée que la rébellion sera matée. S’ensuit une répression féroce. Abandonné par les siens, Pougatchev est livré aux autorités et finira écartelé en janvier 1775.
Le Jugement de Pougatchev, Vassili Perov, 1879, Saint-Pétersbourg, musée russe

Les partages de la Pologne

En 1764, Stanislas II est élu roi de Pologne. Ancien amant de Catherine II, le nouveau souverain est un dirigeant faible qui s’avère totalement inféodé à la Russie.
Le roi Stanislas II, Johann Baptist von Lampi, vers 1782, Saint-Pétersbourg, musée de L'Ermitage
Quatre ans plus tard, la signature d’un traité d'amitié perpétuelle entre les deux États entraîne le soulèvement d'une partie de la noblesse polonaise, rassemblée dans la Confédération de Bar. Soutenus par la France, les Confédérés finissent par déposer les armes.
Le 5 août 1772, un traité de partage du tiers de la Pologne est conclu à Saint-Pétersbourg entre la Russie, l'Autriche et la Prusse. La Russie annexe l’est de la Biélorussie.
Un deuxième partage est conclu avec la Prusse en 1793. Cette fois, la Russie met la main sur l'essentiel de la Biélorussie (dont Minsk) et l’ouest de l'Ukraine.
Deux ans plus tard, un dernier partage offre à la Russie le reste de la Biélorussie ainsi que la Lituanie et le sud de la Lettonie.
Séparés depuis les raids mongols, les slaves de l’Est sont désormais réunis au sein d’un même État. Entre le Boug et le Dniepr, Biélorusses et Ukrainiens, largement orthodoxes, se considèrent plutôt délivrés de la domination des Polonais catholiques. Voisine de l’Autriche et de la Prusse, la Russie est plus que jamais au cœur de la politique européenne.
Vue de l'embrasement des flottes turques dans le port de Tchesmé le 7 juillet 1770, Rijksmuseum, Amsterdam

La Russie annexe la Crimée

En 1768, lors de la guerre entre la Russie et la Confédération du Bar, la France, alliée des Polonais, a poussé l’empire ottoman à déclarer la guerre à Catherine II.
Pour empêcher les Turcs de prêter mains fortes aux Confédérés, la Russie lance une armée vers l'embouchure du Danube. Les troupes de Catherine II marchent vers les Balkans, où l’impératrice ambitionne de créer un nouvel empire byzantin qui reviendrait à son petit-fils. Les Russes invitent les populations chrétiennes soumises aux Turcs à se soulever. C’est la préfiguration de ce qui deviendra au XIXe siècle le panslavisme.
L’armée de Catherine II atteint la Grèce. Le 6 juillet 1770, en pleine mer Égée, la flotte russe commandée par Alexis Orlov détruit la flotte turque à la bataille de Tchesmé. C’est la plus grande défaite navale subie par l'Empire ottoman depuis Lépante. Quelques semaines plus tard, les Russes triomphent sur terre d’une armée ottomane largement supérieure en nombre à Kagul (Moldavie).
Sur le front est, la prise de la forteresse de Kertch qui commande le passage entre la mer d'Azov et la mer Noire permet à la Russie d’occuper la Crimée et tout le littoral ukrainien. Le traité de Koutchouk-Kaïnardji de 1774 fait passer la Crimée sous suzeraineté russe. Celle-ci sera intégrée à l'empire russe neuf ans plus tard. Surtout, le traité fait de la Russie la protectrice de tous les orthodoxes de l’Empire ottoman, lui donnant un motif d’ingérence qu’elle ne manquera pas d’utiliser.
Il faudra encore une guerre (1787-1792) pour que la victoire russe soit complète. Par le traité de Jassy, la Sublime Porte reconnaît l'annexion de la Crimée et cède aux Russes la rive nord de la mer Noire. Les navires marchands russes obtiennent la libre circulation à travers les détroits turcs. La Russie accède enfin aux mers chaudes et les ports de Sébastopol et Odessa sont créés. Le vieux rêve de Pierre le Grand est devenu réalité.
La Révolution française marque un tournant dans la politique Catherine II. Craignant que son pays ne soit gagné par les idées révolutionnaires, la tsarine rompt les relations diplomatiques avec la France, réprime les loges maçonniques, et envoie en Sibérie les penseurs contestataires, tels le philosophe Alexandre Radichtchev.
À la mort de Catherine II en 1796, la Russie n’a jamais été aussi vaste et puissante.


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2023.11.21 19:41 miarrial France-Algérie : la commission d’historiens sur la colonisation se réunit à Constantine

France-Algérie : la commission d’historiens sur la colonisation se réunit à Constantine
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C’est la première fois que le groupe de dix scientifiques, coprésidé par Benjamin Stora et Mohamed Lahcen Zighidi, va se rencontrer en Algérie, quinze mois après sa création.
Archive du 19 mars 1962 annonçant le cessez-le-feu en Algérie ouvrant la voie aux accords d’Evian qui mettront fin à la guerre d’Algérie et à la colonisation française
Une commission d’historiens français et algériens mise sur place pour travailler sur la colonisation française et la guerre doit se réunir, mercredi 22 novembre, à Constantine, en Algérie, pour la première fois depuis sa création en août 2022, selon une source proche du dossier.
La mise en place de cette instance de dix membres avait été annoncée à Alger par les présidents français Emmanuel Macron et algérien Abdelmadjid Tebboune. L’idée est d’aborder le sujet « sans tabou, avec une volonté (…) d’accès complet à nos archives », avait alors souligné le dirigeant français. Il s’agit pour les deux pays de « regarder ensemble cette période historique » du début de la colonisation française (1830) jusqu’à la fin de la guerre d’indépendance (1962).

Politique d’apaisement

La commission s’était réunie une première fois en avril par visioconférence, puis à Paris en juin. Elle rassemble cinq historiens français : Benjamin Stora, également coprésident de la commission ; Florence Hudowitz, conservatrice au MuCEM ; le professeur des universités Jacques Frémeaux ainsi que les historiens et enseignants universitaires Jean-Jacques Jordi et Tramor Quemeneur.
Côté algérien, l’instance est coprésidée par l’historien Mohamed Lahcen Zighidi, rejoint depuis novembre 2022 par les historiens Mohamed El-Korso, Idir Hachi, Abdelaziz Fillali et Djamel Yahiaoui pour faire partie de cette commission.
Sa mise en place s’inscrit dans la politique d’apaisement voulue par Emmanuel Macron durant son premier quinquennat, après les recommandations du rapport de Benjamin Stora sur le conflit mémoriel entre l’Algérie et la France sur le passé colonial. Mais la relation entre les deux pays reste difficile et empreinte de malentendus et de non-dits.



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2023.11.20 20:02 miarrial Mahé de la Bourdonnais (1699 - 1753) Il fonde l'empire français de l'océan Indien

Mahé de la Bourdonnais (1699 - 1753) Il fonde l'empire français de l'océan Indien
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Bertrand-François Mahé de la Bourdonnais fut un grand marin français, un visionnaire et un homme d’affaire ambitieux. Ce Malouin, très tôt engagé dans la Compagnie des Indes, joua un rôle capital dans le développement du premier empire colonial français.
Il déploya son talent et son énergie comme comme chef d’escadre dans l’océan Indien et gouverneur de l'île Bourbon (La Réunion) et de l'île de France (Maurice), dans l'archipel des Mascareignes.
Mais en butte à l'hostilité de Dupleix, gouverneur de Pondichéry, et de la Compagnie des Indes orientales, il fut embastillé par Louis XV pour intelligence avec l’ennemi et malversations avant d'être innocenté ! Trois siècles après, l'injustice perdure. Ne le voilà-t-il menacé d'être relégué dans les poubelles de l'Histoire sous l'accusation de n'avoir rien fait contre l'esclavage ?
Bertrand-François Mahé de La Bourdonnais, Antoine Graincourt, vers 1751, Lorient, Musée de la Compagnie des Indes
Mahé de la Bourdonnais « annulé » à Saint-Denis-de-la-Réunion

Statue de La Bourdonnais au Barachois, à Saint-Denis (La Réunion), qui doit être prochainement déboulonnée
La maire de Saint-Denis, Érika Bareigts, a décidé, avec la complicité de l’État, de reléguer la statue de Mahé de La Bourdonnais dans la caserne militaire Lambert toute proche alors qu’elle trône, bien visible, sur le front de mer de la capitale de La Réunion. Une façon de réduire ce grand bâtisseur à sa seule dimension militaire. L’édile socialiste se justifie par le fait que La Bourdonnais aurait encouragé l’esclavage. Forcément, en tant que gouverneur et bâtisseur de l’île Bourbon (La Réunion) et de l’île de France (Maurice), Mahé de La Bourdonnais avait besoin de main d’œuvre et l’esclavage est un fait historique. Il n’est pas question de nier ce fait de société. Mais le juger avec nos yeux d’aujourd’hui et vouloir en effacer les traces relève justement de la « cancel culture » visant à effacer notre Histoire. Il faut regarder la réalité en face, d’autant qu’à La Réunion comme à Maurice, nombreux sont ceux qui portent à la fois du sang d’esclave et du sang d’esclavagiste. On peut dire, pour Mahé de La Bourdonnais, qu’il s’agit d’un déboulonnage en droite ligne avec ce qu’on voit aux États-Unis, alors que le président Macron avait déclaré être opposé à cette pratique.
Plan de Saint-Malo, XVII ou XVIIIe siècle, Paris, BnF, Gallica

Au service de la Compagnie des Indes

Bertrand-François vint au monde le 11 février 1699 en la ville de Saint-Malo, dans cette même cité bretonne qui donna tant de grands marins et de corsaires à la France. De son enfance nous ne savons presque rien, cependant, en bon Malouin, il ne put échapper à cette même vocation qui animait tant de ses compatriotes.
Issu d’une famille de bonne noblesse bretonne qui avait dû se réduire à pratiquer le négoce, son père Jacques Mahé, sieur de La Bourdonnais, était lui-même un armateur et capitaine de navire. Il n’est donc pas étonnant de voir son fils aîné suivre la même voie, d’autant plus que Saint-Malo - la Tyr française ou bien la « Venise du Nord » comme l’appelait Chateaubriand, autre Malouin célèbre - était devenu au XVIIIe siècle l’un des premiers ports de France. Chaque jour, des navires revenaient des Indes ou des Amériques, chargés de cargaisons d’or, d’épices ou bien d’étoffes précieuses.
Portrait de Louis XIV orné de diamants offert par le roi en novembre 1696 à Alain Porée à la suite de sa prise du vaisseau de guerre anglais Darmouth
À l’âge de dix ans, Bertrand-François assiste au retour du capitaine Alain Porée, parti en expédition dans les mers du Sud et qui revient avec autant de marchandises à la valeur inestimable que d’histoires fabuleuses à raconter sur les contrées lointaines et leurs populations. On comprend donc que dans ses Mémoires, il ait pu écrire : « Dès mon enfance, j’eus un goût décidé pour la mer et je me suis trouvé à portée de l’apprendre avec les meilleurs maîtres ».
Suite à cet événement, le jeune Mahé de la Bourdonnais décide de s’engager comme mousse sur un navire en partance pour les Indes. Il n’aura, à son retour, qu’un seul désir : repartir. Au même moment, les Malouins apprennent avec fierté que l’un de leur compatriote, le corsaire Duguay-Trouin, venait de prendre Rio de Janeiro aux Portugais.
À l’âge de quatorze ans, le jeune homme s’embarque à nouveau, cette fois pour les colonies bataves de la Philippine et des Indes néerlandaises. Là-bas, il rencontre un père jésuite qui lui enseigne les mathématiques, ce dont il saura se servir à bon escient tout au long de sa vie de marin.
Blason de la Compagnie française des Indes, Lorient, Musée de la Compagnie des Indes
Enfin, en 1718, la Compagnie française des Indes orientales lui propose une charge de lieutenant en second sur l’un de ses bâtiments. Bertrand-François n’a alors que dix-neuf ans mais il s’empresse d’accepter cet emploi qui va lui faire voir la Méditerranée, la Mer du Nord et l’Atlantique.
La Compagnie des Indes orientales avait été fondée par Jean-Baptiste Colbert en 1664, sur le modèle de l'East India Company anglaise (fondée en 1600), et de la VOC hollandaise (Verenigde Oost Indische Compagnie) fondée en 1602. Elle avait alors pour but de « procurer au royaume l'utilité du commerce [d'Asie] et d'empêcher que les Anglais et les Hollandais n'en profitassent seuls comme ils l'avaient fait jusqu'alors. »
La Compagnie bénéficiait de tous les privilèges d'un souverain : monopole du commerce avec l'Orient, droit de propriété des terres occupées, droit de justice souveraine, droit de battre monnaie, d'établir des garnisons, d'armer des navires de guerre et de commerce, jusqu'au droit d'esclavage.
C’est depuis le port de Lorient - construit à l’occasion de la fondation de la Compagnie - que les navires français s’embarquaient pour les Indes, à l’instar de L’Argonaute sur lequel naviguait La Bourdonnais qui partit en 1722 pour Pondichéry pour en rapporter une cargaison de café d’Arabie.
Carte de l' Inde et du Sri Lanka, illustrant la localisation des colonies et comptoirs européens sur le subcontinent entre 1501 et 1739, Philadelphie, Université de Pennsylvannie

La prise de Mahé

En 1725, Mahé de La Bourdonnais, alors âgé de 26 ans, venait d’être nommé capitaine lorsqu’il rejoignit l’expédition commandée par Antoine-François de Pardaillan de Gondrin qui devait reprendre la ville de Mahé situé sur la côte de Malabar en Inde. En effet, le prince indien Bayanor avait expulsé les agents et les employés de la Compagnie qui y avait installé un comptoir.
Bertrand-François Mahé de La Bourdonnais, Charles Giron, XIXe siècle, musée du quai Branly - Jacques Chirac
Le siège des Français durait depuis quelques temps mais n’aboutissait qu’à des échecs tant les Naïres (les soldats indiens) se défendaient bien et tant la côte était difficile à aborder.
Dès son arrivée, La Bourdonnais proposa un plan. Il fit construire un radeau blindé avec des sacs de coton qui transportèrent 300 hommes dans le but d’atteindre la côte sans dommage et en bon ordre. Puis il commanda à ses navires un feu nourri pour soutenir le débarquement et fit incendier les habitations qui entouraient la citadelle. Se voyant cernés par les incendies, les Indiens assiégés préférèrent se rendre aux Français.
La Bourdonnais proposa ensuite d’en profiter pour attaquer tous les établissements indiens de la côte malabare. Mais son ambition et son intelligence lui attirèrent la méfiance de la Compagnie qui en oublia de le féliciter pour son action qui avait pourtant permis de pérenniser le commerce sur la côte.
De dépit, Mahé de La Bourdonnais quitta la Compagnie des Indes et décida d’armer pour son propre compte dans la mer des Indes. Il s’associa avec M. Lenoir, le gouverneur et véritable fondateur de Pondichéry, aujourd'hui tout aussi méconnu que lui en France.
Arcade en treillis soutenant une vigne dans le jardin du gouverneur à Pondichéry au Tamil Nadu, Anonyme, XIXe siècle

Au service des Portugais

C’est ainsi que Mahé de La Bourdonnais accepta de se mettre au service du vice-roi des Indes portugaises à Goa.
Guerriers marathes et accompagnateurs, XVXe siècle, Photographies de l'Inde occidentale
Le Portugal à cette époque cherchait des hommes de valeur pour défendre ses possessions sans cesses menacées par les Anglais et les Hollandais.
Pendant deux ans, il s’attaqua aux repaires des pirates marathes. Ces guerriers - après avoir vaincu le Grand Mogol et s’être rebellés contre leur propre roi - s’étaient installés sur la côte indienne dans des camps fortifiés d’où ils menaçaient chaque navire passant à leur portée.
Pour remercier La Bourdonnais de ses actions, le vice-roi des Indes portugaises le décora de l’Ordre du Christ et lui envoya des lettres de noblesse. Néanmoins, suite à une nouvelle déception (les Portugais lui avait promis le commandement d’une expédition contre Mombasa sur la côte orientale d’Afrique mais celle-ci fut annulée), La Bourdonnais décida de rentrer en France.

Le nouveau gouverneur général des Mascareignes

De retour à Saint-Malo, il mena une existence de grand seigneur pendant quelques temps. Car si Mahé de La Bourdonnais était bel et bien un homme de guerre, il se révélait aussi être un homme d’affaires redoutable. Il avait réussi à amasser une fortune évaluée à un million de livres durant ces quinze années passées à commercer entre Pondichéry, la mer de Chine et l'Afrique orientale.
Cette fortune lui permit de contracter un brillant mariage en 1733 avec Marie Anne-Josèphe Lebrun de la Franquerie, la fille d’un capitaine de la Compagnie des Indes (il se remariera en 1740, deux ans après la mort de sa première femme, avec Charlotte de Combault d'Auteuil, fille du gouverneur d'Avallon, écuyer du prince de Condé).
Cependant son tempérament ne pouvait se contenter de cette vie monotone, d’autant qu’il n’avait que 34 ans.
Portrait de Philibert Orry, Anonyme d'après Hyacinthe Rigaud, vers 1738, Château de Versailles
Il décida donc d’aller à Paris pour demander audience auprès de Philibert Orry, le Contrôleur général des finances, à qui il put démontrer le bénéfice qui pouvait être tiré des possessions françaises de l'archipel des Mascareignes, aussi bien du point de vue du négoce que de la guerre.
Cet archipel, composé surtout des îles de France (Maurice) et Bourbon (Réunion), se trouvait compris dans le privilège de la Compagnie des Indes mais avait été dédaigné jusque-là.
Or, la position stratégique de ces îles, au large de Madagascar, en faisait des escales importantes sur la route vers les Indes après le passage du Cap de Bonne Espérance. La Bourdonnais proposa donc d’aménager ces îles et d’y faire construire des infrastructures pour qu’elles puissent servir de point d’approvisionnement et de rafraîchissement pour les navires de la Compagnie.
Il exprima son souhait de faire de ces îles le point clé de la présence française dans l’océan Indien en les utilisant comme base d’opérations contre les Anglais.
Dans ce but, il expliqua l’importance de privilégier le développement de l’île de France par rapport à l’île Bourbon, puisque la première, contrairement à la seconde, possédait deux rades en eau profonde pouvant accueillir deux ports faciles à défendre. En y construisant une forteresse, la colonie pouvait ainsi servir d’entrepôt pour les navires, ce qui permettrait de soutenir en toute circonstance les arrières des expéditions militaires et commerciales en Asie.
En 1733, Philibert Orry réussit à convaincre Louis XV de nommer Mahé de La Bourdonnais gouverneur général des Mascareignes pour le compte de la Compagnie des Indes.
En juin 1735, il rejoignit donc les îles sœurs où régnaient le désordre et l’insécurité à cause des pillages des Marrons (esclaves fugitifs) et du laisser-faire de la police et des fonctionnaires. Les habitations n’étaient alors que de simples cabanes et les infrastructures quasiment inexistantes, tandis que l’eau de source restait difficile d’accès. Par un travail acharné, La Bourdonnais entama le développement militaire et économique de ces îles qui s’apprêtaient dès lors à entrer dans l’Histoire.
Port-Louis et sa cathédrale en 1812
Comme prévu, il s’occupa avant tout de l’Isle de France, en commençant par aménager Port-Louis, principale ville de l’île, située entre la rade et les terres marécageuses. Pour l’occasion, il se fit à la fois ingénieur et architecte en dotant son port de quais et de chantiers où il fit construire plusieurs navires. Très rapidement, on vit apparaître de nouvelles maisons, des hôpitaux, des magasins et des arsenaux avec fortifications.
Puis il se lança dans le développement économique de l’île en réintroduisant de nouvelles cultures et en fondant des fabriques de coton et d’indigo. Pour cela il ordonna la construction de canaux et d’aqueducs qui permirent d’assurer l’acheminement de l’eau de source. Il put ainsi réintroduire durablement la canne à sucre dans l’île et même créer une sucrerie en faisant venir de France le matériel nécessaire. (Le Saint-Géran qui devait lui apporter l’équipement est d’ailleurs tristement connu puisqu’il fit naufrage et que l’épisode inspira, vingt-quatre ans plus tard, Bernardin de Saint-Pierre pour la fin de son roman Paul et Virginie ; Mahé de la Bourdonnais y apparaît d’ailleurs à plusieurs reprises.)
Pour nourrir les esclaves de l’île, La Bourdonnais favorisa la culture du manioc dont on faisait de la farine (la cassave) qui leur servait d’aliment de base. Il améliora aussi les conditions de vie des Européens en introduisant la culture du blé et du riz.
Il ne délaissa pas non plus l’île Bourbon (Réunion) où ses travaux consistèrent principalement à l’aménagement du port de Saint-Denis ainsi qu’à la fondation de la ville de Saint-Louis. Il traça de nouvelles routes, construisit le premier pont en bois de la colonie et y établit également des raffineries de sucre. Enfin tout comme sur l’Isle de France, il s’occupa de rétablir l’ordre en menant la chasse aux « marrons », esclaves en fuite qui se réfugiaient dans les hauteurs et représentaient jusqu’alors une menace permanente par leurs pillages.
Ces travaux coûteux de modernisation des ports lui attirèrent un jour les critiques et les reproches de l’un des directeurs de la Compagnie des Indes. Ce dernier demanda à Mahé de La Bourdonnais d’expliquer pourquoi ses entreprises furent aussi ruineuses pour la Compagnie, pendant que lui, semblait à l’inverse, s’être bien enrichi. « C'est que j'ai fait mes affaires selon mes lumières, et celles de la Compagnie d'après vos instructions », répondit le gouverneur.

La Bourdonnais dans la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748)

Après avoir montré ses talents d’administrateur, La Bourdonnais allait bientôt prouver qu’il était aussi un grand militaire.
Le 20 octobre 1740, le titulaire du Saint-Empire romain germanique Charles VI de Habsbourg mourrait à Vienne. En vertu de la Pragmatique Sanction de 1713 qui avait été ratifiée par l’ensemble des États européens, il léguait à sa fille aînée Marie-Thérèse, tous les États héréditaires de la maison de Habsbourg d’Autriche. Mais le traité ne fut pas respecté et le roi de Prusse Frédéric II lança les hostilités en envahissant la province de Silésie, déclenchant ainsi la guerre de la Succession d’Autriche.
Portrait de Jean Frédéric Phélypeaux de Maurepas, École française, XVIIIe siècle, musée du Domaine départemental de Sceaux
Dans cette nouvelle guerre européenne, Louis XV, malgré les réticences de son principal ministre le cardinal de Fleury, décida de « travailler pour le roi de Prusse » en formant une coalition avec l’Espagne et la Bavière, tandis que Marie-Thérèse d’Autriche pouvait compter sur le soutien de l’Angleterre, des Provinces-Unies et de la Russie.
La Bourdonnais, qui était à Paris au moment de la déclaration de guerre de la France à l’Angleterre, comprit très vite, comme le dira Voltaire, que « cette secousse donnée à l’Europe » se fera obligatoirement « sentir aux extrémités du monde » (Précis du siècle de Louis XV, 1826).
Voyant là une occasion rêvée de voir enfin la France assurer le contrôle de la mer des Indes, il demanda au ministre de la Marine Jean Frédéric Phélypeaux de Maurepas, l’autorisation de commander une escadre. Celui-ci la lui accorda dans un premier temps mais c’était sans compter les récriminations de la Compagnie des Indes qui voyait dans cette entreprise un risque coûteux pour ses intérêts. La Compagnie française invoqua la neutralité instaurée avec la Compagnie anglaise pour que l’escadre soit rappelée. Elle n’y réussit que trop bien.
Protection du commerce, gravure du XVIIIe siècle, Lorient, Musée de la Compagnie des Indes
Le gouvernement anglais de Saint-James, qui ne se souciait pas tant de cette neutralité entre compagnies de marchands et qui mettait au-dessus de celle-ci les intérêts de l’État, envoya une escadre qui fit main basse sur tous les bâtiments français qu’elle croisait au grand dam de La Bourdonnais. Face à ces inepties, il décida de réagir sans attendre.
À ses frais et avec le peu de moyens qui lui étaient accordés, il construisit hâtivement une escadre de fortune composée, d’après l’abbé Raynal - philosophe et historien contemporain de La Bourdonnais - « d'un vaisseau de soixante canons, et de cinq navires marchands armés en guerre » (Histoire Philosophique et Politique, 1772). Mahé de La Bourdonnais faisait encore preuve de cette qualité qui le définissait si bien, à savoir qu’avec peu, il était capable de faire beaucoup.
Reddition de la Cité de Madras, Swebach-Desfointaines, XVIIIe siècle

La bataille de Négapatam et la prise de Madras

Dès que ses navires furent mis à flots, le capitaine malouin se mit à la recherche de l’escadre anglaise. Le 6 juillet 1746, vers 5 heures du matin, il retrouva enfin les six vaisseaux de guerre que commandait Lord Edward Peyton, dans le golfe du Bengale au large du comptoir néerlandais de Négapatam. La Bourdonnais était décidé à combattre et bientôt les premiers coups de canons furent échangés. Si l’on en croit Léon Guérin « L'Achille […] tira à lui seul mille coups de canon dans moins de deux heures » (Histoire maritime de France, 1844).
Finalement, après trois heures de combat, Lord Peyton et ses hommes prirent la fuite jusqu’à la baie de Trinquemale à l’île de Ceylan. Ainsi, « la mer des Indes fut aux Français ».
Cinq mois plus tard, en septembre 1746, La Bourdonnais réembarqua, cette fois avec neuf vaisseaux et mille cinq cents hommes, en direction de Madras (aujourd'hui Chennai), établissement anglais situé sur la côte de Coromandel (sud-est de l’Inde). Surnommé le « Londres indien », Madras était alors un entrepôt important du commerce anglais qui se disputait le contrôle de la région avec l’établissement français de Pondichéry, situé à 90 milles de distance sur la côte.
Bombardement de Pondichery en 1748 par la flotte anglaise, Royal Museums Greenwich
Dans cette nouvelle entreprise, le gouverneur des Mascareignes était secondé par le capitaine Thomas Herbert de la Portbarré, également originaire de Saint-Malo, tandis que le gouverneur de Pondichéry Joseph François Dupleix, était lui aussi présent.
En arrivant aux abords de la ville, les Français firent face à une petite flotte anglaise qu’ils réussirent à disperser aisément. Puis La Bourdonnais disposa ses vaisseaux de façon à pouvoir diriger ses canons vers les fortifications anglaises. Le 20 septembre, le bombardement commençait mais avec une telle violence que le gouverneur anglais, effrayé par les dégâts causés et voyant bien qu’il ne disposait que de 500 hommes, proposa à La Bourdonnais de lui payer une rançon en échange de son départ.
Mais ce dernier, pour qui « l’honneur n’est pas chose qui se vende » déclara à celui qu’on avait envoyé traiter : « Je suis venu devant Madras pour y arborer le drapeau de la France, et ce drapeau y sera arboré ou je mourrai sous ces murs. » Alors les Anglais, voyant que le capitaine français et ses matelots s’apprêtaient à débarquer sur la plage, préférèrent se soumettre à leurs assaillants. C’est donc sans coup férir que La Bourdonnais reçut les clefs du « Londres indien ».
Relief sur le socle du Monument à la mémoire de Joseph François Dupleix, élevé en 1888 à Landrecis (France). Dupleix et son épouse au chevet des blessés pendant le siège de Pondichéry de 1748

La rivalité de Dupleix et l’affaire du « million de Madras »

Suite à la prise de Madras, un conflit au sujet du sort de la ville opposa La Bourdonnais à Joseph François Dupleix, gouverneur de Pondichéry et commandant général des établissements français de l’Inde.
Fin du siège de Pondichéry en 1748. Pondichéry, attaquée par terre et par mer par une forte armée anglaise résiste grâce à l'action de Dupleix, Louis Sergent Marceau, 1789
En effet, La Bourdonnais, qui avait pour instruction de ne garder « aucune des conquêtes qu'il pourrait faire dans l'Inde », acceptait tout de même de revendre une concession aux Anglais qui demandaient à rétablir leur établissement pour 1 100 000 pagodes (environ 9 millions de livres).
Dupleix, de son côté, ne partageait pas cette mentalité de corsaire qui caractérisait son rival et voyait d’un mauvais œil les succès du gouverneur des Mascareignes. Il refusa la transaction avec l’ennemi et prit la décision de faire raser Madras.
La Bourdonnais, exaspéré, décida de rentrer dans ses îles des Mascareignes. Il privait ainsi Dupleix du soutien de la marine, ce qui empêcha les Français d'obtenir une victoire complète face aux Anglais en Inde. Quant à la ville de Madras, elle fut finalement rendue à l’Angleterre en 1748 en vertu du traité d’Aix-la-Chapelle qui mit fin à la guerre de la Succession d’Autriche.
Vue du Fort Royal de la Martinique, François Denis, entre 1750 et 1760

La Bourdonnais captif à Londres et… à la Bastille

La Bourdonnais n’était pas encore au bout de ses peines, car en arrivant dans les Mascareignes, il apprit qu’il était destitué de son poste de gouverneur à cause de l’affaire de Madras qui l’accusait d’entente avec l’ennemi.
Suite à sa destitution, il fut chargé par le nouveau gouverneur de conduire six vaisseaux vers la Martinique. Une fois sa mission accomplie et, se retrouvant par conséquent sans emploi, il rentra en Europe à bord d’un navire hollandais. Mais sur le retour il fut reconnu par des navires anglais qui le capturèrent et l’emmenèrent en Angleterre à Londres où il fut retenu comme prisonnier de guerre. Ses conditions de détentions furent néanmoins assez douces puisqu’elles se résumèrent à une simple obligation de ne pas quitter la capitale.
Portrait de Bertrand-François Mahé de La Bourdonnais d'après Henri-Pierre Danloux, XVIIIe siècle, musée franco-américain du château de Blérancourt (Aisne)
Pendant ce temps, son rival Dupleix envoyait en France des lettres où il l’accusait de trahison et de profits malhonnêtes contractés lors de l’affaire de Madras. Aussitôt La Bourdonnais demanda à rentrer en France pour se faire justice et défendre son honneur, ce qui lui fut accordé par les Anglais. En mars 1748, il fut reçu plusieurs fois à Versailles, où la Cour - d'après le Journal du marquis d'Argenson - lui réserva « l’accueil le plus cordial ».
Cependant, Dupleix et la Compagnie des Indes orientèrent Louis XV en sa défaveur. Le 3 mars, un commissaire de police se présenta à l’hôtel d’Entragues où séjournait La Bourdonnais ; il était doté d’une lettre de cachet du Roi qui enjoignait à conduire l’accusé à la Bastille. Il y fut placé en détention préventive pour intelligence avec l’ennemi et détournements au préjudice de la Compagnie des Indes, tandis que tous ses biens furent confisqués.
La Bourdonnais resta à la Bastille pendant trois ans ; durant la première année, il n’eut aucun contact avec sa famille et sa santé se dégrada nettement. Malgré tout, il ne désespérait pas que justice lui fût rendue un jour. C’est pourquoi il entreprit la rédaction de ses Mémoires dans le but de se justifier.
Malgré le peu de moyens dont il disposait, il traça également de mémoire une carte topographique de l’Océan indien sur laquelle il représenta le comptoir de Pondichéry ainsi que les îles de France et Bourbon. Voici comment il s’y prit : « Des mouchoirs gommés avec de l'eau de riz furent son papier ; il composa son encre avec de la suie et du marc de café [et peut-être avec son sang d’après la description qu’en fait la Bnf], un sou marqué, recourbé et assujetti sur un morceau de bois, devint une plume et un crayon entre ses doigts. Il n'eut besoin que de ses souvenirs pour dresser sa carte avec la plus exacte justesse. » (Histoire maritime de France, 1844)
À l’extérieur, le procès suivait son cours et finalement l’accusation ne réussit pas à prouver la culpabilité de La Bourdonnais. Il fut démontré que ce dernier n’avait ni contrevenu aux ordres du Roi, ni conclu d’accords secrets avec les Anglais et encore moins touché le fameux « million de Madras ». En outre, il s’avéra que la Compagnie des Indes, qui s’était largement endetté entre 1743 et 1746, avait voulu accuser La Bourdonnais de malversation pour se justifier auprès de ses actionnaires mécontents.
Le 3 février 1751, les magistrats de la Chambre de l’Arsenal l’innocentèrent par un jugement solennel et ordonnèrent qu’il soit libéré. Néanmoins, ses conditions de détention lui avaient laissé des séquelles graves et notamment une paralysie dont il ne se remettra pas. Ainsi, peu après sa libération, le 10 novembre 1753, Bertrand-François Mahé de La Bourdonnais mourut à l’âge de 54 ans. Onze ans plus tard, la Compagnie française des Indes orientales fit faillite et l'archipel des Mascareignes fut racheté par Louis XV en 1766.

Bibliographie

Marius LEBLOND , Mahé de La Bourdonnais, Mame, 1951, Michel MISSOFFE, « L'affaire La Bourdonnais », Revue des Deux mondes, juillet 1953, pp. 157-161, Dureau REYDELLET, Mahé de La Bourdonnais, gouverneur des Mascareignes, CNH, 1994, Bertrand-François, Mahé de LA BOURDONNAIS, Mémoires historiques […] recueillis et publiés par son petit-fils, Paris, Pélicier et Chatet, 1827.

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2023.11.19 21:03 miarrial Expliquer l’effet nocebo, la contagion émotionnelle et l’hystérie collective

Expliquer l’effet nocebo, la contagion émotionnelle et l’hystérie collective
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Au début de la pandémie, il était difficile de comprendre pourquoi tant de gens agissaient de manière aussi irrationnelle et autodestructrice. Je suis immunologiste spécialisé dans les maladies infectieuses, et c’est à partir de ce moment-là que j’ai décidé de me plonger dans l’étude la psychologie humaine. Il existe de nombreuses publications éclairantes et le sujet est fascinant, ce qui, je crois, se reflète dans mon livre (en particulier dans les chapitres 5 et 7). Au début de l’année, j’ai eu la chance de discuter avec le célèbre psychologue Jordan Peterson sur la réponse psychologique face à la pandémie (entre autres sujets).

Ce qui suit est adapté au chapitre 5 de mon livre Fear of a Microbial Planet : How a Germophobic Safety Culture Makes Us Less Safe (ndt. La peur d’une planète microbienne : comment une culture sécuritaire germophobe nous rend plus vulnérables).
L’effet nocebo
Les images sanglantes et les descriptions réalistes des symptômes et des pathologies des maladies infectieuses, telles qu’elles m’étaient présentées quand j’étais en première année de médecine, ont parfois un effet intéressant sur les étudiants. Je me souviens d’un cours de microbiologie médicale de premier cycle :
Le professeur : « Et l’apparition des symptômes de cette infection particulièrement désagréable se caractérise par une raideur de la nuque et… »
Moi : (Je commence à me frotter la nuque).
C’est ce qu’on appelle l’effet nocebo, où l’attente ou la suggestion d’un symptôme peut provoquer son apparition ou son aggravation. C’est l’opposé catégorique de l’effet placebo, où l’attente d’une amélioration des symptômes conduit les sujets à déclarer qu’ils se sont effectivement améliorés, même en l’absence de traitement réel.
Dans certains cas, le développement de tels symptômes peut s’avérer très grave. Une étude publiée en 2007 a rapporté le cas d’un homme ayant fait une overdose d’antidépresseur après une dispute avec sa petite amie, avalant les 29 pilules qui lui avaient été données dans le cadre de l’étude. Transporté d’urgence à l’hôpital, sa tension artérielle extrêmement basse, 80/40 et son rythme cardiaque élevé, 110 battements/minute. Les médecins et les infirmières l’ont gavé de sérum physiologique et ont réussi à faire remonter sa tension artérielle à 100/62.
Mais le médecin qui est vraiment parvenu à le sortir de là est celui qui lui a dit que les pilules qu’il avait avalées étaient en fait des placebos et ne contenaient aucun médicament. Il faisait partie du groupe de contrôle ! En l’espace de quinze minutes, la tension artérielle et le rythme cardiaque de l’homme sont redevenus normaux.
Ce n’est pas le surdosage d’un placebo qui a failli le tuer, mais le simple fait de penser qu’il allait mourir. C’est le cas des effets placebo et nocebo : la libération de β-endorphine (en plus de la dopamine) induit l’analgésie dans le premier cas, et est contrecarrée par la cholécystokinine (CCK) dans le second.
En d’autres termes, les effets placebo et nocebo peuvent être directement mesurés selon les niveaux de libération neurochimique et peuvent être bloqués par des médicaments spécifiques. Un excellent exemple de libération neurochimique de l’effet placebo est celui des patients atteints de la maladie de Parkinson, chez qui le traitement par placebo peut se traduire par une amélioration de la mobilité.
Une étude historique de 2001 a montré que le traitement par placebo chez les patients atteints de Parkinson entraînait une libération de dopamine dans de multiples zones du cerveau. En d’autres termes, le fait de s’attendre à ce qu’un traitement entraîne une amélioration (placebo) ou une aggravation de la douleur ou des symptômes de la maladie (nocebo) joue son rôle.
Malheureusement, le pouvoir de cette croyance peut avoir des effets mentaux et physiologiques profondément négatifs, tant au niveau individuel que collectif. Au niveau du groupe, l’effet nocebo est particulièrement puissant chez les germophobes, et peut rapidement contaminer les autres, tout comme la transmission d’un virus hautement contagieux.
L’hystérie collective
En 2006, au Portugal, le pays a connu une épidémie inquiétante. Des centaines d’adolescents ont contracté une maladie mystérieuse avec éruptions cutanées, vertiges et difficultés respiratoires. Pourtant, il n’y a pas eu d’exposition collective à un produit chimique ou d’infection par un virus. Le seul point commun que les enquêteurs ont pu mettre en évidence est un feuilleton pour adolescents, intitulé Morangos com Açúcar ou Fraises au sucre. Juste avant l’épidémie proprement dite, la série en avait présenté une fictive, dans laquelle les personnages étaient atteints d’une grave maladie causée par un mystérieux virus.
Mais dans la vraie vie, les étudiants ne faisaient pas semblant et ne cherchaient pas à échapper aux examens. Ils croyaient vraiment être malades et souffraient en réalité d’une maladie psychogène de masse, également appelée hystérie collective.
En 2018, sur un vol d’Emirates Airlines reliant Dubaï à New York, 100 passagers ont déclaré s’être sentis malades après avoir observé d’autres personnes présentant des symptômes grippaux. Face à la panique, l’ensemble du vol a été mis en quarantaine après son atterrissage à New York. Même la présence du rappeur des années 90 Vanilla Ice sur le vol n’a pas suffi à calmer la panique. Les enquêteurs ont ensuite déterminé que seuls quelques passagers étaient atteints de la grippe saisonnière ou d’un simple rhume. Tous les autres ont souffert d’hystérie collective.
Historiquement, les lieux où un grand nombre de personnes sont confinées dans des espaces restreints et dans des conditions stressantes sont considérés comme les endroits les plus propices aux épidémies ; les couvents, les usines et les pensionnats sont souvent au centre de ces incidents. Tout au long de l’histoire, l’hystérie collective a été largement associée à des groupes de femmes ou d’adolescentes (environ 99% de tous les incidents). En fait, le terme « hystérie » est dérivé du mot grec ancien hystera, qui signifie « de l’utérus ».
Les incidents commencent généralement par un événement déclencheur, comme dans le cas de l’épidémie fictive de Fraises au sucre, mais il s’agit le plus souvent d’une personne qui signale un événement mystérieux. Souvent, un goût inconnu, une odeur nauséabonde ou des émanations sont incriminés, ou parfois une autre personne présentant des symptômes est considérée comme porteuse d’une maladie contagieuse. Très rapidement, plusieurs personnes sont touchées, et la maladie peut se propager pendant des jours, voire des semaines, par vagues successives, et aucune enquête ne permet de déceler de cause évidente.
Peu après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, cinq lettres contenant des spores d’anthrax ont été envoyées à des sénateurs et à des médias, tuant cinq personnes et en infectant 17 autres. À la suite de ces attaques, la menace du terrorisme biologique a fait la une de la plupart des journaux et a été couverte à plusieurs reprises par tous les grands programmes d’information.
La peur et l’anxiété suscitées par le risque de dissémination d’agents biologiques invisibles de destruction massive dans l’ensemble de la population constitue une source majeure d’hystérie collective. Plus de 2000 fausses alertes à l’anthrax ont été signalées aux États-Unis suite aux premiers envois. Lorsque Bruce Ivins, chercheur sur l’anthrax, s’est suicidé dans des circonstances suspectes, le FBI a fait une déclaration dans laquelle ils ont expliqué que ctte personne était probablement le seul auteur des lettres, et la peur collective du bioterrorisme s’est apaisée.
L’un des ingrédients clés de l’hystérie collective repose sur le phénomène de contagion émotionnelle, qui se résume à peu près à cela : les personnes proches les unes des autres ont tendance à partager des comportements et des émotions. Ce phénomène peut commencer par la tendance inconsciente des gens à imiter les expressions faciales ou les postures des autres, ce qui produit alors des émotions similaires au sein d’un groupe.
Ce mimétisme a été démontré expérimentalement : les personnes exposées à des situations ont tendance à afficher des expressions et des postures et à signaler des niveaux d’anxiété similaires à ceux des acteurs présents dans la même pièce, même si leur comportement ne correspondait pas aux circonstances ou à la « condition de menace » expérimentale.
La contagion émotionnelle et le risque d’hystérie de masse sont accentués par Internet et les réseaux sociaux. Les personnes déjà sensibles à la contagion émotionnelle sont souvent les mêmes que celles qui ont été les plus touchées par des contenus sensationnels en ligne évoquant une menace de pandémie et qui ont donc souffert davantage de dépression, d’anxiété, de stress et de symptômes de trouble obsessionnel-compulsif.
Pire encore, de nombreuses personnes ont abandonné leurs réseaux sociaux traditionnels (famille et communauté locale) au profit de réseaux virtuels en ligne, ce qui peut permettre aux personnes déjà sujettes à l’anxiété de rencontrer d’autres personnes partageant les mêmes idées, créant ainsi des réseaux propices à la contagion émotionnelle.
Ce phénomène est similaire au fait de consommer beaucoup d’articles sensationnels,qui sont associés à des niveaux accrus d’anxiété publique.
Qu’est-ce qui peut briser la chaîne de contagion émotionnelle et le risque d’hystérie collective ? L’une des possibilités est de s’exposer à un groupe communautaire dont les perspectives sont différentes, bien que cela puisse tout aussi bien aboutir à un rejet complet ou à une « mise à l’écart » entraînant un conflit entre les groupes. Une autre possibilité est que le groupe hystérique fasse l’expérience de ce qu’il craint le plus, à savoir une infection par un virus pandémique. Si le groupe a complètement surestimé le risque de maladie grave et de décès lié au virus, le fait de connaître une infection bénigne apportera la seule preuve dont ils ont besoin.
Même quand la maladie elle-même n’est pas bénigne, une vague pandémique réelle qui traverse une population tend à réduire le stress et l’anxiété au niveau local et à concentrer les gens sur un objectif unique. C’est ce que l’on appelle « l’effet œil de typhon ». Lors des épidémies de SRAS, les personnes les plus proches de la pandémie étaient moins anxieuses et plus à même d’évaluer avec précision leurs propres risques. À l’inverse, les personnes qui se trouvent à la périphérie ou en dehors des épidémies et qui ont reçu leurs informations des médias plutôt que de leur expérience personnelle ont fait état d’une anxiété et d’une détresse accrues. Il n’y a rien de plus efficace que de voir ses peurs irrationnelles démenties de première main.
Publié à l’origine sur le site Substack de l’auteur, repris par le Brownstone Institute
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.




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2023.11.19 16:14 miarrial An Mil La naissance des intellectuels

An Mil La naissance des intellectuels
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Au XIe siècle, dans la chrétienté médiévale, autrement dit entre le Tage, l’Elbe et le Tibre, l’essor des villes entraîne l’émergence d’un nouveau personnage, l’intellectuel !
Ce néologisme adopté par l’historien Jacques Le Goff (Les intellectuels au Moyen Âge, Seuil, 1957) désigne les clercs et étudiants (« escholiers ») qui se vouèrent à la philosophie et en firent leur métier : Bernard de Chartres, Pierre Abélard, Suger de Brabant, saint Thomas d’Aquin, etc. Conciliant la foi et la raison, ils manifestèrent une extraordinaire liberté de pensée qui se perdit quelque peu à la fin du Moyen Âge.
C’est grâce à ces philosophes pétulants de vie et aujourd’hui oubliés que la civilisation européenne a pu prendre son essor et développer plus qu’aucune autre la philosophie, les sciences et l’avidité d’apprendre.
Un scribe et son apprenti, Chroniques de Hainault de Jacques de Guyse, XVe siècle, Paris, BnF
Abélard parle à ses élèves aux alentours de Melun, Jean-Achille Benouville, 1837, Munich, Neue Pinakothek

Du secret des monastères à la ruche urbaine

L’Église médiévale se soucie très tôt de diffuser le savoir. Dès 529, quelques années après la mort de Clovis, l’évêque Césaire d’Arles réunit un concile à Vaison, dans la vallée du Rhône, à l’issue duquel il prescrit la création d’écoles dans les monastères et auprès de chaque église cathédrale - attachée à un évêque -. L’objectif avoué est de former les cadres de l’Église.
Saint Luc, Évangiles de la Sainte-Chapelle, vers 984, Paris, BnF. Enseignement monastique, Folio 35 verso d'un manuscrit du XIIe siècle de Bede's Life of St. Cuthbert, XIIe siècle, Londres, British Library
Peu nombreuses seront les écoles créées de ce fait. Mais l’élan est donné. Pour la première fois dans l’Histoire humaine, on se soucie d’instruire aussi bien les fils de paysans que les fils de nobles et ce, dans les mêmes écoles. Cette instruction, pendant les mille ans que durera le Moyen Âge, se fait en latin, non pas la langue classique de Cicéron mais un latin médiéval, une forme d’esperanto commune à tous les Européens instruits.
Trois siècles plus tard, sous le règne de Charlemagne (742-814), il ne reste plus grand-chose de ces écoles. La plupart des écoles cathédrales et des écoles « extérieures » des monastères, destinées à l’instruction des enfants des environs, ont disparu. Il ne reste que les écoles « intérieures » vouées à l’instruction des oblats, jeunes hommes appelés à devenir moines.
« Les manuels d’histoire républicains français se sont bien trompés en popularisant un Charlemagne, illettré d’ailleurs, protecteur de la jeunesse des écoles, et précurseur de Jules Ferry, » ironise Jacques Le Goff. Mais n’exagérons pas.
Saint Grégoire dictant à ses scribes, Missel bénédictin à l’usage de Troyes, XIe siècle, Paris, BnF
La posture du copiste, Missel et Livre d’heures franciscain, 1380, Paris, BnF
Alcuin, conseiller de l’empereur et écolâtre - autrement dit maître d’école - d’Aix-la-Chapelle, a mis en place dans les écoles épiscopales et monastiques du Moyen Âge un enseignement bien évidemment inspiré de l’Antiquité. Outre la théologie et l’étude des Saintes Écritures, il promeut les arts « libéraux » (par opposition aux arts mécaniques ou serviles) : le trivium (grammaire, rhétorique et dialectique) et le quadrivium (géométrie, arithmétique, astronomie, musique).
Alcuin a aussi multiplié les ateliers de copistes à Aix, Tours, Corbie, etc. Somptueusement enluminés au prix d’un travail exténuant, leurs parchemins ne trouvent guère de lecteurs mais au moins ont-ils le mérite de sauvegarder les écrits de l’Antiquité. Il n’était que temps car l’Empire et l’Église sombrent peu avant l’An Mil dans une anarchie sans nom.
Tout change ensuite, après l’An Mil. Le climat se radoucit et, grâce à de meilleures récoltes, les famines s’éloignent. Le servage tend à disparaître. Les guerres féodales se font rares et les mœurs chevaleresques se christianisent (dico). L’élan religieux maille le territoire de solides églises romanes. La chrétienté occidentale déverse enfin son trop-plein d’hommes en Orient à la faveur des croisades.
Au tournant du XIIe siècle, les premiers États se consolident, à commencer par l’Angleterre et l’État capétien que l’on appelle désormais France (et non plus Royaume des Francs).
Place du marché, Le Chevalier errant, Thomas III de Saluces, XVe siècle, Paris, BnF
Pèlerins et marchands sillonnent le continent. Les surplus agricoles autorisent le développement d’activités artisanales et notamment textiles. De l’Italie aux Flandres en passant par le Bassin parisien et la Champagne, un nouveau tissu urbain se développe.
À la différence des villes antiques, qui étaient des centres de pouvoir et de consommation vivant sur le dos des paysans, les nouvelles villes sont des centres de production qui travaillent en étroite symbiose avec les campagnes. Elles se gouvernent elles-mêmes en vertu de chartes communales (dico) arrachées aux seigneurs et au souverain.
La bourgeoisie urbaine, soucieuse d’instruction, ne serait-ce que pour mieux gérer ses affaires, va regarder avec un œil intéressé les « intellectuels » qui officient dans les écoles cathédrales et les écoles monastiques. Ceux-ci découvrent de nouvelles opportunités dans l’univers séculier des villes.
Ils se mettent à enseigner les sept arts libéraux en public et, à l’opposé du cliché traditionnel selon lequel le savoir relèverait de l’échange gratuit, ils se font gloire d’être rémunérés par leurs élèves ou leurs mandants.
Saint Jean ouvrant un codex, XIIIe siècle, Paris, BnF. Agrandissement : Leçon de géométrie, Gossouin de Metz, XIVe siècle, Paris, BnF
Ces maîtres d’école sont généralement assimilés à des clercs (dico) même s’ils ne sont pas moines ou prêtres. Ils se qualifient parfois eux-mêmes de philosophes (« amis de la sagesse », philosophus en latin médiéval) et, dans tous les cas, se perçoivent comme des artisans et des « marchands de mots ».
Ils ne se distinguent pas des autres métiers urbains et mènent au cœur de la cité une vie très libre (parfois même trop de l’avis des agents du guet). Leur seule particularité est de pratiquer les arts libéraux, des techniques qui se rapportent à l’esprit, à la différence des arts mécaniques ou serviles, qui se rapportent à la matière.
Les termes sont significatifs : on qualifie de « maître » (magister) aussi bien le drapier qui a terminé son apprentissage que l’étudiant en théologie qui a obtenu sa licence d’enseignement.
Issus de la petite noblesse ou de la bourgeoisie urbaine et débutant leurs études vers l’âge de 13 ans, les étudiants deviennent maîtres d’école au bout de quinze ans ou davantage, à moins qu’ils reprennent les affaires familiales ou soient appelés à servir le souverain et entrer dans la magistrature.
Jacques Le Goff souligne le caractère proprement révolutionnaire du curriculum universitaire qui, désormais, donne accès à l’élite par le biais de l’examen. On ne rencontre de cas similaire qu’en Chine avec le recrutement des mandarins par concours. Jusque-là, « l’Occident n’avait connu que trois modes d’accès au pouvoir : la naissance, le plus important, la richesse, très secondaire jusqu’au XIIIe siècle sauf dans la Rome antique, le tirage au sort, de portée limitée parmi les citoyens des villages grecs de l’Antiquité, » écrit l’historien.
L’instruction des jeunes, Politique, Éthique et Économique, XVe siècle, Paris, BnF. Un programme éducatif destiné aux trois états de la société. En haut, à gauche, pour tous, la lecture ; à droite, pour les jeunes nobles, l’entraînement militaire ; en bas à gauche, pour les artisans (ici un peintre) l’apprentissage professionnel ; à droite, pour les clercs d’Église, la musique
De fait, tout au long du Moyen Âge, relativement nombreux sont les fils de paysans qui, grâce à l’instruction, accèdent aux plus hautes fonctions du royaume et de l’Église. C’est le cas de Suger (1081-1151), fils de paysan devenu principal ministre de Louis VI et Louis VII. Pensons également à l’évêque Maurice de Sully (1120-1196), qui construit Notre-Dame, ou au chancelier de l’Université Jean Gerson (1363-1429), protecteur de Jeanne d’Arc. Citons encore le Cahorsin Jacques Duèze et le Pyrénéen Jacques Fournier, devenus les papes Jean XXII (1316) et Benoît XII (1334). Mais d’autres, en plus grand nombre, finissent mauvais garçons… comme le poète François Villon.
Recueil de textes relatifs à saint Martin, dit Martinellus, IXe siècle, Paris, BnF. Petite et cursive, la caroline est une écriture ronde et régulière, d’une grande lisibilité. Agrandissement : Caractères d’imprimerie de la Renaissance par Robert Estienne, 1531, Paris, BnF. La caroline est à l’origine des caractères dits « romains » reproduits quotidiennement dans les journaux
Dans leur soif d’apprendre, ces intellectuels développent l’écriture cursive. C’est l’écriture manuscrite que nous utilisons encore aujourd’hui, avec les lettres attachées. Elle permet une prise de notes rapide, à la différence de l’écriture caroline développée par les copistes d’Alcuin et toujours employée en imprimerie.
Mus par la curiosité, avides de débattre et confronter les idées, maîtres et étudiants circulent beaucoup et certains, appelés Goliards, font même de cette itinérance une règle de vie. Tous participent au grand brassage médiéval européen avec les encouragements des autorités. L'empereur Frédéric Barberousse accorde ainsi des garanties aux étudiants en 1158 avec ces mots : « Que tous les écoliers qui voyagent pour étudier puissent aller et demeurer en sécurité. (...) Qui n'aurait pitié d'eux qui, pour l'amour de la science, se sont exilés, de riches se sont faits pauvres, sans ménager leurs efforts et exposant leur vie à tous les dangers ? ».
Les Arts libéraux, Andrea di Bonaiuto, entre 1365 et 1368, Florence, basilique Santa Maria Novella. Sous le regard d'Averroès, de gauche à droite : Arithmétique, géométrie, astronomie, musique, logique, rhétorique, grammaire
Jeune homme présenté par Vénus ou Minerve aux Sept arts libéraux, Sandro Boticelli, vers 1480, Paris, musée du Louvre. Cette fresque a été découverte en 1873 à la villa Lemmi près de Florence

La France, héritière de la Grèce et de Rome !

Quoi qu’il en soit, et même si Bologne, en Italie, se flatte d’avoir vu naître la première Université, en 1088, c’est dans le Bassin parisien, à Chartres, Paris, Laon, Reims ou encore Orléans, que se concentre au XIIe siècle l’essentiel de la vie intellectuelle. « Entre la Loire et le Rhin, dans la région même où le grand commerce et la banque se sont localisés aux foires de Champagne, s’élabore cette culture qui va faire de la France la première héritière de la Grèce et de Rome comme l’avait prédit Alcuin, comme le chantait Chrétien de Troyes, » écrit Jacques Le Goff.
Fulbert de Chartres dans la cathédrale de Chartres nouvellement construite, obituaire de Notre-Dame de Chartres, XIe siècle, Bibliothèque municipale de Chartres
L’école cathédrale de Chartres, fondée par l’évêque Fulbert aux environs de l’An Mil, a été pionnière dans la renaissance de la philosophie. Profitant du gros travail de traduction effectué par les ateliers de copistes, elle a découvert et remis en vogue les auteurs grecs, tels Euclide, Platon, Hippocrate, Galien ou Aristote.
Les maîtres de Chartres, qui sont de bons chrétiens, ne prétendent pas les opposer aux Pères de l’Église (dico). Ceux-ci demeurent des références exclusives en matière de théologie. Mais les auteurs païens leur fournissent les outils et les techniques propres à développer les sciences profanes.
Bernard de Chartres, mort en 1130, est le plus prestigieux représentant de cette école. Il a résumé sa relation avec l’Antiquité dans une célèbre formule qui marque sa foi dans le progrès : « Nous sommes des nains juchés sur des épaules de géants. Nous voyons ainsi davantage et plus loin qu’eux, non parce que notre vue est plus aigüe ou notre taille plus haute, mais parce qu’ils nous portent en l’air et nous élèvent de toute leur hauteur gigantesques ».
Paris, favorisé par le prestige grandissant de la monarchie capétienne, voit à son tour affluer les intellectuels ou « philosophes ». Maîtres et étudiants se pressent dans l’île de la Cité, autour de l’école cathédrale, avant de déborder sur la rive gauche de la Seine, autour de l’église Saint-Julien-le-Pauvre, dans ce qui deviendra le « Quartier latin ».
Héloise et Abélard, Roman de la Rose, vers 1320, Guillaume de Lorris et Jean de Meung, Paris, BnF
Parmi les plus illustres professeurs de la capitale figure Pierre Abélard (1079-1142). On ne le connaît plus qu’à travers sa liaison tragique avec « la très sage Héloïse, pour qui châtré fut et puis moine » (François Villon, Balade des dames du temps jadis). Mais cet intellectuel issu de la petite noblesse bretonne fut aussi un batailleur de première et un grand éveilleur d’idées.
Dans ses cours et ses ouvrages, il montra la nécessité du recours au raisonnement pour sortir de la confrontation stérile entre des points de vue opposés. Il proposa pour cela une méthode, cinq siècles avant René Descartes, ainsi qu’une morale fondée sur la connaissance de soi et la liberté de refuser le péché. « La contrition du cœur fait disparaître le péché, c’est-à-dire le mépris de Dieu, ou encore le consentement au mal, » écrit-il.
En matière de théologie enfin, il prêcha l’alliance de la raison et de la foi : « On ne peut croire ce qui ne se comprend pas, et il est ridicule d’enseigner aux autres ce que ni soi, ni ses auditeurs ne peuvent saisir par l’intelligence. » Cette proposition révolutionnaire fut développée au siècle suivant par saint Thomas d’Aquin.
Pierre le Vénérable. Inscription : Mère de miséricorde, d'espérance et de chemin, pieuse, viens, prie pour nous, XIIIe siècle, Paris, BnF
Notons aussi l’initiative particulièrement audacieuse de Pierre le Vénérable (1092-1156). Cet abbé de Cluny engagea à grands frais la traduction du Coran qu’il avait découvert lors d’une visite d’inspection des monastères de son ordre en Espagne.
Il s’en explique en disant fort justement que si l'on veut contenir l'islam (on est alors à la veille de la deuxième croisade), il faut commencer par le connaître : « Qu’on donne à l’erreur mahométane le nom honteux d’hérésie ou celui, infâme, de paganisme, il faut agir contre elle, c’est-à-dire écrire. Mais les Latins et surtout les modernes, ne savent pas d’autre langue que celle de leur pays natal. Aussi n’ont-ils pu ni reconnaître l’énormité de cette erreur ni lui barrer la route. (…) Je suis donc allé trouver des spécialistes de la langue arabe qui a permis à ce poison mortel d’infester plus de la moitié du globe. Je les ai persuadés à force de prières et d’argent, de traduire d’arabe en latin l’histoire et la doctrine de ce malheureux et sa loi même qu’on appelle le Coran. (…) Ce travail a été fait l’année où je suis allé en Espagne et où j’ai eu une entrevue avec le seigneur Alphonse, empereur victorieux des Espagnes, c’est-à-dire en l’année du Seigneur 1142 ».
Ces efforts sont méritants et même révolutionnaires en ces temps où l’on part volontiers en croisade contre les infidèles et où l’on brûle parfois des hérétiques. Ils suscitent de violentes oppositions à commencer par celle du très mystique et très influent saint Bernard, abbé de Clairvaux (1091-1153). Issu de la noblesse d’épée et attaché à la terre, il tient Paris en horreur. « Fuyez du milieu de Babylone, fuyez et sauvez vos vies, » lance-t-il aux étudiants. « Vous trouverez bien plus dans les forêts que dans les livres. Les bois et les pierres vous apprendront plus que n’importe quel maître ! »
Portait de Bernard de Clairvaux dans une lettrine ornant un manuscrit de La Légende dorée, XIIIe siècle
Bernard de Clairvaux, vers 1450, vitrail, Paris, musée de Cluny
Sourd à l’argumentaire de son homologue Pierre le Vénérable concernant la traduction du Coran, saint Bernard fustige les intellectuels parisiens et, plus gravement, remue ciel et terre pour faire condamner Abélard. De la même façon, il s’oppose à son rival l’abbé Suger qui reconstruit en 1144 l’abbatiale de Saint-Denis dans le nouveau style français, plus tard qualifié de gothique !
Mais l’esprit chartrain (de Chartres) a raison de tous les obstacles. En conciliant la raison et la foi, les maîtres de Chartres comme de Paris libèrent la science et la pensée du poids de la religion et la propulsent vers les sommets des Temps modernes.
« L’exil de l’homme, c’est l’ignorance ; sa patrie, c’est la science, » résume dans une belle formule le moine Honoré d’Autun (1080-1154), qui a fréquenté l’école d’Anselme de Cantorbéry. Comme les autres penseurs de ce début du XIIe siècle, il revendique aussi la liberté de raisonner indépendamment des dogmes religieux : « Il n’y a pas d’autre autorité que la vérité prouvée par la raison ; ce que l’autorité nous enseigne de croire, la raison nous le confirme par ses preuves. »
Autant dire que tous ces penseurs ne se contentent pas de réactiver la philosophie antique. Ils la prolongent par leurs réflexions et leurs confrontations (disputatio), selon la méthode formalisée par Abélard et appelée « scolastique ». Mais la bienséance leur commande de ne jamais revendiquer une idée nouvelle mais plutôt de l’attribuer à un auteur reconnu ! En voici l’aveu par le moine anglais Abélard de Bath (1080-1154) : « Notre génération a ce défaut ancré qu’elle refuse d’admettre tout ce qui semble venir des modernes. Aussi quand je trouve une idée personnelle si je veux la publier, je l’attribue à quelqu’un d’autre… »
Frontispice de la Genèse : Abraham et les anges montant à l'échelle de Jacob, manuscrit du XIIe siècle, Lambeth Palace, résidence londonienne officielle de l’archevêque de Canterbury
L’Anglais Jean de Salisbury, qui a étudié à Chartres et à Paris, fait part en 1164 à son ami Thomas Becket de son enthousiasme à la découverte de Paris : « J’ai fait un détour par Paris. (…) j’ai cru voir plein d’admiration l’échelle de Jacob dont le sommet touchait le ciel et était parcourue par des anges en train de monter et de descendre. Enthousiasmé par cet heureux pèlerinage, j’ai dû avouer : le Seigneur est ici et je ne le savais pas. Et ce mot du poète m’est venu à l’esprit : Heureux exil que celui qui a cet endroit pour demeure ».
L’abbé de Bonne-Espérance (Hainaut) Philippe de Harvengt n’est pas moins dithyrambique dans une lettre à un jeune disciple, dans les années 1170 : « Poussé par l’amour de la science te voilà à Paris et tu as trouvé cette Jérusalem que tant désirent. C’est la demeure de David… du sage Salomon. Un tel concours, une telle foule de clercs s’y presse qu’ils sont en voie de surpasser la nombreuse population des laïcs. Heureuse cité où les saints livres sont lus avec tant de zèle, où leurs mystères compliqués sont résolus grâce aux dons du Saint-Esprit, où il y a tant de professeurs éminents, où il y a une telle science théologique qu’on pourrait l’appeler la cité des belles-lettres ! »
La ville de Paris, Passages et faits outre-mer, Sébastien Mamerot, XVe siècle, Paris, BnF

La pensée médiévale à son summum

Le siècle suivant, le XIIIe, marque l’apogée du « beau Moyen Âge », celui des cathédrales et de Saint Louis. Les représentants des métiers urbains s’organisent en corporations (dico) afin de défendre au mieux leurs intérêts face au pouvoir séculier et à l’Église. Les intellectuels n’échappent pas à la règle.
Miniature illustrant l'ouvrage Mare historiarum, rédigé par l'historien Giovanni Colonna au XIIIe siècle. Le chancelier Guillaume Jouvenel des Ursins rend visite à un enlumineur dans son atelier, Paris, BnF
Après Bologne et Oxford, Paris se dote très officiellement de son Université par une charte de Philippe Auguste en date du 15 janvier 1200. Ses membres, maîtres et étudiants, ont le privilège d’être soustraits à la juridiction civile et dégagés d’obligations envers le pouvoir central. Ils s’administrent eux-mêmes. Les clercs sont répartis entre quatre « nations » : Picards, Anglais, Allemands et Français. Les maîtres, attirés par le prestige de la capitale, viennent de partout : Siger de Brabant, Albert le Grand (Rhénanie), saint Thomas d’Aquin et saint Bonaventure (Italie).
Le savant Aristote, qui a vécu en Grèce quinze cents ans plus tôt, inspire des débats de haute volée. On étudie ses œuvres ou les commentaires qu’en ont faits les grands penseurs du monde arabo-musulman, tels le Persan Avicenne (980-1037) et l’Andalou Averroès (1126-1198).
L’aristotélisme radical est aussi combattu au nom du dogme chrétien par l’archevêque de Cantorbéry et par l’évêque de Paris Étienne Tempier, lequel publie le 7 mars 1277 une liste de 219 propositions considérées comme hérétiques parmi lesquelles : 152 – Que la théologie est fondée sur des fables.174 – Que la foi chrétienne a ses fables et ses erreurs comme les autres religions. 175 – Qu’elle est un obstacle à la science. 176 – Que le bonheur se trouve en cette vie, et non dans une autre… Peu importe à ce propos que les reproches adressés à tel ou tel courant universitaire soient justifiés ou non. Le seul fait de pouvoir énoncer de telles assertions témoigne de la grande liberté d’esprit manifestée par les milieux intellectuels de tous bords au cœur du Moyen Âge !
Sculpture du scientifique anglais du XIIIe siècle Roger Bacon tenant une sphère armillaire, musée d'histoire naturelle de l'Université d'Oxford
La donne change insensiblement en Angleterre où l’on se met en tête de confronter l’expérience à la raison. Cela commence avec Robert Grosseteste (1175-1253), chancelier de l’école d’Oxford et évêque de Lincoln. Le représentant le plus notable de ce courant expérimental reste toutefois le moine franciscain Roger Bacon (1220-1292), surnommé Doctor mirabilis (« Docteur admirable ») en raison de sa science.
Dans la somme Opus majus (1268), il écrit : « Les Latins [de l’Antiquité] ayant posé les bases de la science en ce qui concerne les langues, la mathématique et la perspective, je veux maintenant m’occuper des bases fournies par la science expérimentale, car sans expérience, on ne peut rien savoir suffisamment […]. Donc le raisonnement ne suffit pas, mais l’expérience. » Il ne s’agit de rien moins que d’une négation de la scolastique, fondée sur le raisonnement.
Le courant expérimental va être porté par les étudiants en médecine et en chirurgie, lesquels ne peuvent faire autrement que se fier à leurs observations. Les pionniers vont émerger à Montpellier, où a été fondée en 1220 la première faculté de médecine du monde encore en activité.
Au siècle suivant, endeuillé par la guerre, la peste et les famines, on ne comptera plus guère de grands intellectuels. L’heure sera plutôt au mysticisme, de Catherine de Sienne à Jan Hus. Il faudra attendre un nouveau souffle venu d’Italie pour que renaisse l’esprit. Ce sera la Renaissance.




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2023.11.17 14:52 miarrial 24 août 1572 Massacre de la Saint-Barthélemy

24 août 1572 Massacre de la Saint-Barthélemy
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Le 24 août 1572, jour de la Saint-Barthélemy, le carillon de l'église de Saint-Germain l'Auxerrois, en face du Louvre, donne le signal du massacre des protestants à Paris.
Il s'agissait pour l'entourage catholique du roi de se défaire des chefs de la faction protestante, qui donnaient des signes de rébellion. Mais le peuple de Paris, animé par un fanatisme aveugle, en profite pour donner la chasse à tous les protestants de la capitale.
C'est le jour le plus noir des guerres de religion entre catholiques et protestants qui ont ensanglanté le pays pendant plus d'une génération. Il est devenu le symbole universel du fanatisme.
Le massacre de la Saint-Barthelemy, le 24 août 1572, par François Dubois (1529-1584), musée de Lausanne

Un mariage tendu

Marguerite de Valois (1553-1615)
Tout commence par un... mariage, celui d'Henri de Navarre et Marguerite de Valois, sœur du roi Charles IX (celle-là même qui entrera dans la légende sous le surnom de reine Margot).
Il a lieu le 18 août 1572. Le Parlement de Paris, farouchement catholique, boude les cérémonies officielles car les magistrats réprouvent l'union de la catholique Marguerite avec le protestant Henri. Plus sûrement, ils en veulent au roi d'avoir édicté un impôt frappant les procureurs deux jours plus tôt !
Notons que la bénédiction nuptiale n'est pas donnée à l'intérieur de la cathédrale, comme à l'accoutumée, mais sous le porche. La raison en est que le marié, du fait de sa religion, n'a pas le droit d'entrer à Notre-Dame ni d'assister à la messe qui suit la bénédiction.

Bruits de guerre

Les assistants de la noce, tant protestants que catholiques, sont très agités en raison de la rumeur d'une prochaine guerre contre l'Espagne catholique du roi Philippe II.
Depuis plusieurs mois, l'amiral Gaspard de Coligny, chef de la faction protestante, devenu le principal conseiller du roi, tente de convaincre celui-ci d'envahir la Flandre, possession espagnole. Mais les chefs de la faction catholique, à savoir les frères de Guise et le duc d'Anjou, frère du roi (qui succèdera plus tard à Charles IX sous le nom d'Henri III) ne veulent à aucun prix de cette guerre. La reine-mère Catherine de Médicis n'en veut pas davantage. Elle a conscience que cette guerre contre la puissante Espagne ferait courir un immense risque au pays.
La tension atteint son paroxysme pendant les noces d'Henri et Margot : Henri de Guise, qui a le soutien du Parlement et de la milice bourgeoise, exige du roi qu'il lui livre les chefs huguenots (surnom des protestants) ; dans le même temps, l'ambassadeur d'Espagne annonce la rupture des relations diplomatiques et menace d'envahir la Picardie.

Premiers coups de feu

Le matin du 22 août, soit quatre jours après le mariage princier, un capitaine gascon, Nicolas de Louviers, sire de Maurevert (ou Maureval), se met en embuscade rue Béthisy et blesse Coligny de deux coups d'arquebuse. L'assassin est connu pour être un agent de la famille de Guise mais tout donne à penser qu'il a agi sur ordre de Catherine de Médicis, soucieuse d'éviter à tout prix la guerre avec l'Espagne.
Le roi se rend au chevet de son conseiller qui l'adjure de ne pas chercher à le venger et lui recommande de se méfier de sa mère, Catherine de Médicis !
Les noces s'achèvent dans la confusion. Malgré les recommandations de Coligny, les chefs protestants réclament justice.
Au palais du Louvre où réside le roi de France, Catherine de Médicis craint d'être débordée par les chefs catholiques qui reprochent à la monarchie de trop ménager les protestants. Pour sauver la monarchie, elle décide de prendre les devants et de faire éliminer les chefs protestants (à l'exception des princes du sang, Condé et Navarre, le jeune marié). Elle ne veut en aucune façon d'un massacre général des protestants...
L'opération est confiée aux gardes des Guise et aux gardes du roi. Le roi se laisse convaincre par son conseiller Gondi. Selon une tradition assez peu fiable, il se serait écrié : « Eh bien ! par la mort Dieu, soit ! mais qu'on les tue tous, qu'il n'en reste pas un pour me le reprocher après ! »

Coligny, le glaive au service de la foi
Gaspard de Châtillon, sire de Coligny (53 ans), est le neveu du célèbre connétable Anne de Montmorency. Il appartient à l'une des plus grandes et plus riches familles de France. Il a été nommé amiral de France puis gouverneur de Picardie sous le règne du roi Henri II.
L'amiral Gaspard de Coligny (1519-1572).Portrait par François Clouet vers 1570 (Saint-Louis Art Museum, EU)
Il envoie une expédition en Amérique du Sud. Elle fonde une colonie éphémère, Fort-Coligny. À sa place s'élève aujourd'hui... Rio de Janeiro. Il se convertit en 1558 au protestantisme, à l'instigation de son frère d'Andelot.
Quand commencent les guerres de religion, en 1562, il prend avec Condé la tête du parti huguenot puis cherche à réconcilier les deux camps avant de reprendre les armes.
C'est la troisième guerre de religion : vaincu à Jarnac et Moncontour en 1569, il ravage la Guyenne et le Languedoc avant de remonter jusqu'en Bourgogne, histoire de démontrer la capacité de nuisance des protestants. Il arrive ainsi à obtenir la paix de Saint-Germain le 8 août 1570.
Là-dessus, il se rapproche du roi Charles IX et un an plus tard, fait sa rentrée à la cour. Principal conseiller du souverain au grand dam des chefs catholiques, il prépare la guerre contre l'Espagne et négocie le mariage de Marguerite de Valois et Henri de Navarre. Pour les catholiques, trop c'est trop...

Le massacre

Le 24 août, fête de la Saint Barthélemy, à 3 heures du matin, le carillon de l'église de Saint-Germain l'Auxerrois, en face du Louvre, où réside la Cour, se met à sonner le tocsin. C'est le signal qu'attendaient les massacreurs. Coligny est égorgé dans son lit et son cadavre jeté dans la rue et livré aux exactions de la populace.
Les gardes et les miliciens, arborant une croix blanche sur leur pourpoint et une écharpe blanche, poursuivent le massacre dans le quartier de Saint-Germain l'Auxerrois. Ils massacrent deux cents nobles huguenots venus de toute la France pour assister aux noces princières et rassemblent leurs cadavres dans la cour du Louvre. Certains chefs protestants, prévenus à temps, arrivent à s'enfuir avec les gardes des Guise à leurs trousses.
Quand la population parisienne sort dans la rue, réveillée par le tocsin, elle prend connaissance du massacre. C'est aussitôt la curée. Dans les rues de la capitale, chacun s'en prend aux protestants de rencontre.
Les malheureux, hommes, femmes, enfants, sont traqués jusque dans leur lit et mis à mort des pires façons. Les femmes enceintes sont éventrées, les hommes mutilés, jetés à la Seine. Et l'on en profite pour piller les biens des victimes.
La chose est d'autant plus aisée que les protestants constituent à Paris une très petite minorité d'environ quinze mille personnes sur trois cent mille habitants.

Le roi aux 6 conversions
Henri de Navarre est épargné par les massacreurs mais il devient littéralement prisonnier de sa belle-famille et doit se convertir au catholicisme, ce qu'il accepte sans mot dire.
Tiraillé entre ses parents, le très catholique Antoine de Bourbon et la très calviniste Jeanne d'Albret, il a déjà été amené à changer trois fois de religion. Il aura encore l'occasion de le faire deux fois, avant de monter sur le trône de France sous le nom d'Henri IV.

Le miracle de l'aubépine

À la mi-journée, le roi ordonne d'en rester là. Mais ses sonneurs de trompe ont le plus grand mal à faire respecter ses ordres.
Le lendemain, on apprend... qu'une aubépine a refleuri au cimetière des Innocents. Ce fait rarissime et quasi-miraculeux apparaît comme un signe de Dieu. Le roi lui-même va vénérer l'aubépine. À cette occasion, un gentilhomme de sa suite suspecté d'hérésie est massacré par la foule. « Ah, si c'était le dernier huguenot ! », lance le roi. La foule y voit un encouragement et la chasse aux huguenots reprend aussitôt !
La furie sanguinaire s'étend aux autres villes du royaume et ne s'interrompt qu'à la fin du mois d'août. On compte plusieurs centaines de morts à Orléans ou encore Lyon. On en compte aussi à Bourges, Meaux, Angers, Rouen... Bordeaux, Toulouse et Albi sont également touchées en octobre. Il est à noter toutefois que plusieurs gouverneurs de province s'opposent avec fermeté aux massacres.
Le 26 août, dans un lit de justice, le roi Charles IX assume la responsabilité des événements. Il explique le lendemain que Coligny avait ourdi un complot contre lui et qu'il avait dû l'exécuter. Il s'en justifiera dans une lettre du 13 septembre 1572 à son conseiller Gaspard de Schomberg en soulignant que Coligny « avoit plus de puissance et estoit mieux obey de la part de ceux de la nouvelle Religion que je n'estois (…) de sorte que s'estans arrogé une telle puissance sur mesdicts sujets, je ne me pouvois plus dire Roy absolut, mais commandant seulement à une des parts de mon Royaume. »
On évalue le nombre total de victimes dans l'ensemble du pays à 30 000 (plus que sous la Commune de 1871). Il n'empêche que le massacre de la Saint-Barthélemy n'est pas ressenti avec une horreur particulière par les contemporains. Il apparaît à ceux-ci comme relativement banal dans l'atmosphère violente de l'époque. Ainsi, le 6 septembre, ayant vent de l'événement, le pape Grégoire XIII fait chanter un Te Deum dans sa chapelle.

La reprise de la guerre

La levée du siège de La Rochelle par l'armée royale le 24 juin 1573 met un terme à cette quatrième guerre de religion qui a débuté au son du tocsin de Saint-Germain-l"Auxerrois. L'édit de Boulogne du 11 juillet 1573 octroie la liberté de conscience aux protestants mais restreint la liberté de culte à trois villes, La Rochelle, Nîmes et Montauban. Il n'en reste pas moins que les protestants méridionaux gardent l'envie irrépressible d'une revanche...
Deux ans plus tard, le 30 mai 1574, le roi Charles IX meurt à 24 ans au château de Vincennes. C'est son frère Henri, duc d'Anjou, qui doit lui succéder sous le nom de Henri III. Élu roi de Pologne quelques mois plus tôt grâce aux intrigues de sa mère Catherine de Médicis, il rentre sans regret de Cracovie, où il avait été d'emblée rebuté par le climat et les moeurs rustiques de la cour. Prenant le temps d'un détour vers Venise et les cours italiennes, autrement plus plaisantes que les polonaises, il arrive en France début 1575 et se fait sacrer à Reims le 13 février avec le titre de roi de France et de Pologne (bien que les Polonais aient pris un nouveau roi).
Le nouveau souverain reprend la guerre contre les protestants avant de se rallier au parti des Politiques, conduit par son jeune frère, le duc d'Alençon. Ce parti réunit des modérés des deux camps. Il place l'intérêt national au-dessus des querelles religieuses et veut reprendre la politique de conciliation tentée par le chancelier Michel de l'Hospital au début des guerres de religion.
Après quelques victoires sur la noblesse protestante, le roi signe donc la paix de Beaulieu-lès-Loches, le 16 mai 1576. Trop favorable aux protestants, elle va avoir pour effet de rapprocher les bourgeois et les gentilshommes du camp catholique au sein d'une Ligue conduite par le duc de Guise.

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2023.11.12 20:53 miarrial Les samouraïs Un mythe fascinant, une réalité sombre

Les samouraïs Un mythe fascinant, une réalité sombre
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À tort ou à raison, les samouraïs (dico) nous fascinent. Nous les voyons comme des hommes habiles au maniement des armes certes, mais surtout indomptables, inflexibles, voire fanatiques, d’un courage et d’une endurance extraordinaires, d’une loyauté à toute épreuve et d’un honneur rigoureux.
Samouraï portant une grande armure, XIXe siècle, bibliothèque de l'Université de Nagasaki. Agrandissement : Samouraï en armure avec son sabre, Felice Beato, XIXe siècle
Samouraï en armure avec son sabre, Felice Beato, XIXe siècle
Serait-ce que ces guerriers japonais nous rappellent nos poèmes épiques et la Chanson de Roland ? Comme nos chevaliers du Moyen Âge, ils sont apparus dans le cadre d’une société féodale fondée sur des relations d’allégeance d’homme à homme, la féodalité (dico) étant une création exclusive de l’Europe et, précisément, du Japon.
Toutefois, les comportements et les mentalités des samouraïs ont beaucoup changé, selon les époques et les systèmes où ils vivaient, mais aussi selon les rangs qu’ils occupaient. L’important pour l’historien est non seulement de démêler la part du faux et celle du vrai mais encore de comprendre quels facteurs ont conditionné la conduite très variable de ces hommes.
Samouraï et Aïnous à Hokkaido, vers 1775 (période Edo), Hokkaido, musée de la ville de Hakodate. Agrandissement : Des samouraïs en armure, Kusakabe Kimbei, vers 1860

À l’origine, des miliciens au service des puissants

D’abord le cadre historique : les samouraïs ne sont évidemment pas les premiers guerriers à fouler le sol de l’archipel nippon. Ils ont eu des prédécesseurs qui n’ont jamais été appelés « samouraïs ».
C’est seulement au cours des premiers siècles de notre ère que, lentement, et avec un retard considérable sur le continent et la Chine, un pouvoir politique s’exerçant sur un territoire plus vaste que celui d’un ou de quelques clans ou tribus, se met en place au sud de l’archipel.
Homme en armure, Haniwa (terre cuite funéraire), VIe siècle, musée national de Tokyo
Inspiré par le modèle des codes chinois de la dynastie Tang (618-907), ce pouvoir s’étend progressivement, soumettant le territoire qu’il contrôle et les humains qui y vivent à l’autorité de celui qu’on appelle l’Empereur. Dans ce processus d’expansion, la violence des armes joue évidemment un rôle essentiel – mais les soldats de l’Empereur ne sont pas appelés « samouraïs ».
Très vite les ambitions de cet État centralisé rencontrent leurs limites. Dans l’espoir d’en tirer des revenus fiscaux, il concède des terres, à titre provisoire, à des familles aristocratiques et à des temples assez puissants pour les mettre en valeur. Cependant ceux-ci n’entendent pas les restituer ou laisser l’État y prélever des impôts.
Ces propriétaires constituent alors des milices armées pour se défendre contre les prétentions de l’État comme celles des autres domaines, selon un processus analogue à celui que l’on observe en Europe à la fin de l’empire carolingien.
Ce sont les membres de ces milices qui peu à peu seront connus comme « samouraïs ». En d’autres termes les bandes de samouraïs sont des milices privées – et cette dimension restera indissociable de la notion de « samouraï » dans les époques ultérieures.
Seule la constitution d’un État moderne et centralisé, en mettant fin à la structure féodale, pyramide finalement de domaines privés, mettra également fin à l’existence des samouraïs lors de l’époque Meiji, après 1868.
Village de Sekiya au bord du fleuve Sumida, Hokusai, vers 1830. Agrandissement : Épées avec fourreaux, VIe siècle, New York, Metropolitan Museum of Art
Entre temps, ces bandes de guerriers sont organisées par leurs chefs. Comme dans tout corps d’armée on y trouve une stricte hiérarchie ; leurs chefs deviennent des seigneurs de guerres – mais notons qu’on n’appelle pas normalement ces derniers « samouraïs ».
Il faut insister sur ce point important : ce que nous appelons en français « samouraï », c’est-à-dire tout guerrier du Japon féodal (1185-1868) est appelé au Japon « bushi » - le mot que nous retrouvons dans « bushidô » – la voie du guerrier.
En japonais, « samouraï » (assez rarement utilisé dans l’acception générique que nous lui donnons) ne désigne normalement qu’un segment particulier du groupe immense des guerriers bushi (7% de la population à l’époque Tokugawa en moyenne ! – nous reviendrons sur ce point capital).
Miyamoto Musashi, figure emblématique du Japon, maître bushi, calligraphe, peintre et philosophe, brandissant deux bokken (sabre de bois)
Sont donc d’abord exclus des « samouraïs » leurs chefs – seigneurs de guerre généralement connus comme « daimyô » et bien sûr le chef de ces seigneurs, leur suzerain si l’on veut, le shôgun lui-même.
L’étymologie de « samouraï » en japonais nous le montre très clairement puisque le terme signifie « celui qui sert ». Même les plus importants vassaux des seigneurs de guerre n’étaient normalement pas désignés au Japon comme « samouraï ».
Un « samouraï » était donc au Japon typiquement un guerrier de rang moyen dans ces bandes armées. Il doit certes disposer d’une monture ou deux qu’il peut porter sur le champ de bataille, - il est donc proche de nos « chevaliers » -, mais il n’a que quelques hommes qu’il peut entraîner à sa suite dans les batailles : des fantassins, ses propres serviteurs, ou des fils, neveux, etc.
En temps de paix c’est normalement un gros paysan, ou le propriétaire d’un petit lot concédé et garanti par son maître, qu’il fait exploiter par les paysans qu’il peut emmener comme fantassins, porteurs d’armes, palefreniers, en campagne militaire.
Bien sûr quelques-uns de ces samouraïs, propriétaires des plus grosses exploitations, peuvent commander à des bandes de quelques dizaines d’hommes. Mais, au-delà, en ces années où les batailles militaires ne mobilisent que quelques centaines de combattants, un guerrier sera plutôt considéré comme petit seigneur de guerre ou daimyô.
Quant à ceux qui, à leur tour, servent les samouraïs comme fantassins ou valets divers, ils peuvent être « bushi » (il y a une importante zone grise) mais ne sont pas pour autant « samouraï ».
Célèbre duel entre le maître Miyamoto Musashi (à gauche) et Sasaki Kojiro (Ganryu) sur l'île de Ganryu-jima, Yoshifusa Utagawa, XIXe siècle

Les shoguns renforcent leur emprise sur les milices de samouraïs

Pour survivre dans une époque de conflits incessants, les bandes de bushi, dites bushidan, comprenant donc aussi bien les chefs daimyos et les samouraïs que les fantassins et la valetaille, en viennent à former des coalitions de plus en plus vastes.
Au XIIème siècle, deux grandes coalitions existent qui tentent de manipuler ce qui demeure du pouvoir impérial, de plus en plus affaibli, de plus en plus impuissant, au point de jouer une coalition contre l’autre.
Procession de Minamoto no Yoritomo visitant Kyoto vers 1190 au début du shogunat de Kamakura, Utagawa Sadahide, 1862
L’inévitable arrive en 1185, quand une coalition triomphe et décide de gérer le pays elle-même plutôt que de préserver l’illusion que l’Empereur (Tenno en japonais) gouverne encore. Apparaît un premier gouvernement des guerriers : on l’appelle bakufu (littéralement « gouvernement de la tente » – la tente des militaires en campagne) qui s’installe à Kamakura, près de Tokyo aujourd’hui, loin de la cour impériale qui survit à Kyoto, fournissant sa caution morale et son prestige en accordant au chef de la coalition finalement victorieuse – le titre de shôgun ou « généralissime ». Le Japon connaîtra trois gouvernements militaires, trois bakufu.
Portrait d'Ashikaga Yoshimitsu (1358-1408), XVe siècle. Il est le troisième des shoguns Ashikaga au Japon de 1368 à 1394. Agrandissement : Le Pavillon d'Or (Kinkaku) de Yoshimitsu, construit à la fin du XIVe siècle, restauré dans les années 1950, Kyoto
Le premier de ces gouvernements, celui, donc, dit de Kamakura (1185-1333), installe pratiquement une administration parallèle à celle du gouvernement impérial. Celle-ci est laissée en place parce qu’elle a gardé une aura de légitimité que les guerriers n’ont pas, même si son pouvoir s’affaiblit vite. Mais cette structure hybride ne résiste pas longtemps.
La rapacité des seigneurs de guerre crée des coalitions mouvantes, et, après un long épisode de guerres civiles, une coalition un peu plus stable émerge un moment – c’est le deuxième gouvernement des guerriers – le bakufu de Muromachi, près de Kyoto, des shôgun de la maison Ashikaga (1336-1573).
Les souvenirs de l’administration impériale s’estompent encore un peu plus, alors que le caractère féodal du gouvernement des guerriers se renforce alors. Entendons par « féodal » une pyramide de domaines privés. Au somment se trouve un hégémon (le shôgun) à qui se sont ralliés les différents seigneurs de guerre du pays en lui prêtant allégeance.
Bataille de la Minatogawa, entre les troupes loyales à l'empereur Go-Daigo et le clan Ashikaga en 1336. Agrandissement : Bataille de Shijōnawate, 1348, lors des guerres entre les deux cours (nord et sud), au début de l'époque de Muromachi, Utagawa Kuniyoshi, 1851
Cet hégémon garde pour sa famille le contrôle direct d’une partie du territoire du pays, mais garantit à ses feudataires, les daimyô, en échange de leur loyauté, des territoires (les fiefs ou domaines) qu’ils administrent librement. Ces derniers gardent une partie des territoires qui leur sont attribués pour eux-mêmes, et divisent le reste de leur territoire pour en garantir des parties (sous-fiefs) à leurs propres vassaux.
Représentation d'un guerrier à cheval, peut-être un shijutsi, député et général des armées du shogun, à l'époque de Muromachi. Agrandissement : Portrait d'Oda Nobunaga (1534-1582), Kano Soshu, 1583. Daimyo de la période Sengoku, il livra de nombreuses batailles
Le schéma peut se reproduire : tout en bas, des arrière-, ou arrière-arrière, vassaux (c’est typiquement à ce niveau que l’on trouve les samouraïs) ont de tout petits fiefs où ils exploitent quelques familles de paysans. Tous ces guerriers sont liés à leur maître par des liens de fidélité personnels.
Aux différents niveaux, ils sont responsables des terres qui leur sont concédées, ils les administrent, y font la justice, en vivent et ne fournissent pas d’impôts au niveau supérieur - seulement des travaux de corvées, des aides ponctuelles – tout cela en échange de la promesse d’un soutien militaire quand besoin est.
Portrait funéraire d'Ashikaga Yoshihisa à cheval, neuvième des shoguns Ashikaga, attribué à Kanō Masanobu, vers 1498. Agrandissement : Hosokawa Sumimoto en armure à cheval, commandant samouraï de l'époque de Muromachi, Kanō Motonobu, 1507, musée Eisei Bunko
Mais là encore, avidité et rapacité des seigneurs affaiblissent vite ce deuxième bakufu. Il faudra attendre le troisième bakufu, celui installé à Edo par la maison Tokugawa (1603-1868) pour voir s’établir enfin ce presque miracle : un gouvernement féodal stable qui maintiendra la paix pendant 260 ans, hors quelques épisodes guerriers dans les cinquante premières années de son existence.
Sous ces structures évoluant au fil des différents bakufu gouvernements militaires, la conduite des samouraïs va se modifier de manière extraordinaire. On doit surtout faire une distinction entre les périodes de guerres quasiment incessantes (les deux premiers gouvernements militaires incapables de maintenir paix et stabilité pendant bien longtemps) et celui, le troisième, où les guerriers n’ont plus de guerre à livrer, mais où, paradoxalement se constitue dans les discours (de traités, romans, pièces de théâtre) la légende des samouraïs qui nous est familière.
Grande bataille illustrée dans le Taiheiki (Chronique de la Grande Paix narrant l'épopée japonaise du XIVe siècle), Utagawa Yoshikazu, 1855. Agrandissement : Bataille de Tenmokuzan (1582) opposant le clan Takeda à Oda Nobunaga et Tokugawa Ieyasu : mort su samouraï Katsuyori sur le mont Tenmoku, Utagawa Kuniteru II, 1861, musée des Beaux-Arts de Boston

Les samouraïs avant les Tokugawa

Les premiers samouraïs qui, aux Xème et XIème siècles, se battent contre le pouvoir central, mais plus encore contre les bandes rivales, n’ont pas bonne presse : on ne compte plus les récits qui les décrivent comme des bêtes assoiffées de sang, tuant, pillant, détruisant, accaparant ce qui leur tombe sous la main – même un chef de guerre les décrit ainsi : « qu’on les appelle chiens et bêtes, peu importe, pour les guerriers (bushi), la victoire est la seule chose qui compte ».
Mais ces brutes sont au service de maîtres – très gros propriétaires exploitants, daimyo, seigneurs de guerre –, qui s’efforcent de les discipliner et leur imposer des codes pour, non réprimer, mais canaliser leur énergie destructrice, leur rapacité et avidité, voire leur cruauté.
Minamoto no Yorimasa (1106-1180), samouraï du clan Minamoto et chef des armées au début de la guerre de Gempei. Son suicide par seppuku est resté célèbre. Il est considéré comme celui qui a ouvert la voie à cette pratique. Agrandissement : Minamoto no Yoshinaka (1154-1184), samourai du clan Minamoto, (en rouge) et ses quatre vassaux portant tous une armure, 1848, Londres, British Museum
Apparaissent donc très vite – dans des instructions, des codes, des messages, des règlements familiaux, etc. – des injonctions qui précisent ce que doit être le comportement des samouraïs. Elles ne peuvent nous surprendre : ce que leurs maîtres leur demandent, c’est une loyauté sans faille et ce sont des prouesses martiales qui démontrent sur le champ de bataille cette loyauté.
Les deux notions centrales du code de conduite qu’on appellera plus tard bushidô, implicites, dispersées dans les différentes bandes de samouraï, sont en fait identiques à celles qu’on trouve au fondement de la chevalerie en Europe : loyauté (chû) au maître à qui l’allégeance est promise, et honneur (na) prouvé dans le courage et la prouesse guerrière sur le champ de bataille.
Si ces codes expriment avant tout l’intérêt des maîtres, ils doivent aussi, pour être respectés, offrir des satisfactions aux serviteurs. De fait, le système ne peut se maintenir que s’il satisfait les intérêts des uns et des autres : lorsque les samouraïs accumulent des prouesses sur le champ de bataille, ils sont récompensés par l’octroi de biens et de terres.
À l’issue de chaque confrontation et de chaque campagne, les samouraïs compilent ainsi une liste de leur actes – les actes de loyauté disent-ils – : le nombre de têtes prises (et coupées) à l’ennemi, le nombre de guerriers apportés sur le champ de bataille, voire le nombre de soldats perdus dans la confrontation –, ils les portent à leur seigneur et ils s’attendent à ce qu’il récompense promptement et généreusement ces exploits.
Affrontement entre deux samouraïs lors de la guerre de Genpei (1180-1185), Utagawa Yoshikazu, 1808
Certes, il y a des situations dans lesquelles la récompense est impossible : la défaite bien sûr, mais aussi les combats livrés contre des ennemis venus de l’extérieur de l’archipel. C’est ce qui passe au XIIIème siècle lors des tentatives d’invasion du Japon par les troupes mongoles venues de Chine. Elles sont repoussées aux prix de lourdes pertes et de grands sacrifices, mais puisque l’ennemi vient de l’extérieur, sa défaite n’ouvre pas la possibilité de pillage et de butin, il n’y a pas de terres à prendre, de biens à confisquer, de paysans à asservir.
L’absence de récompenses nourrit un ressentiment qui sera un facteur d’instabilité, qui mènera à la fin du régime des Ashikaga, le deuxième bakufu.
Suzuki Saburō Shigeie (1156-1189), Samouraï entre la fin de la période Heian et le début de la période Kamakura, Utagawa Yoshitora, XIXe siècle. Agrandissement : Minamoto no Yoshitsune (1159-1189), commandant du clan Minamoto, samouraï honoré, trahi par le fils d'un allié de confiance,Utagawa Yoshitora, XIXe siècle
C’est donc essentiellement lorsque l’espoir de récompenses existe que les samouraïs remplissent leur mission et que l’on voit ces actes de courage, cette ardeur guerrière, cette soif de vaincre, cette volonté d’endurer, cette brutalité aussi qui ont fait leur légende. On le constate, ce sont des hommes aussi intéressés, que nous pouvons l’être…
L’intérêt explique aussi les cas en fait très nombreux où le samouraï trahit sans état d’âme celui auquel il a prêté allégeance. Cela s’observe dans les couches supérieures du groupe où les défections de samouraïs importants et de daimyô, avec plusieurs centaines ou milliers d’hommes armés à leur service, sont monnaie courante. Elles peuvent faire basculer un conflit pendant les guerres incessantes qui ravagent le Japon. L’histoire est jalonnée de ces trahisons, voltefaces, tromperies, reniements, etc. qui relativisent l’honneur des guerriers.
Autrement, un samouraï de rang inférieur et ne disposant que de quelques fantassins à son service ne peut se permettre de faire allégeance à un seigneur autre que le sien à moins de lui apporter des renseignements stratégiques dans le cadre d’un conflit. Ce genre de trahison n’est pas sans risque car il peut donner aux samouraïs de son nouveau seigneur l’idée de faire la même chose lorsque leur intérêt le leur dictera. Les textes nous rapportent ainsi des cas où des samouraïs de bas rang sont promptement exécutés pour l’exemple par le seigneur dont ils espéraient se gagner les grâces.
Tout cela n’empêche pas que nombre de samouraïs se conduisent de manière héroïque au combat et demeurent jusqu’au bout fidèles à leur seigneur. De là le mythe qui entoure les samouraïs.
Siège de Hasedō (1600)entre Tokugawa Ieyasu et Ishida Mitsunari. Agrandissement : Tokugawa Ieyasu examinant la tête de Kimura Shigenari à la bataille dd'Osaka (1614-1615) livrée par le shogunat Tokugawa afin de détruire le clan Toyotomi, Tsukioka Yoshitoshi, 1875, musée d'Art du comté de Los Angeles

La nouvelle donne sous les Tokugawa

En 1600, Tokugawa Ieyasu, l’un des seigneurs les plus puissants du Japon d’alors, remporte une bataille décisive contre ses rivaux. Il jette les bases du troisième gouvernement militaire – le bakufu des Tokugawa – installé à Edo, aujourd’hui Tokyo.
À la différence de ces deux prédécesseurs, ce régime sera stable. Plusieurs systèmes expliquent cette performance étonnante pour un régime féodal. Il y a d’abord le choix d’isoler l’archipel. Par une surveillance rigoureuse des échanges avec l’étranger, le shôgun interdit à ses rivaux potentiels de chercher l’aide de l’étranger. Il y aussi l’obligation pour les daimyô les plus importants d’envoyer en otage des membres de leur famille à la cour du shôgun. Enfin, rappelons-le, la famille Tokugawa est de loin la plus puissante des maisons guerrières. Le shôgun et sa famille possèdent un quart des ressources et terres du pays. C’est assez pour empêcher que se forme une coalition hostile.
Kōsaka Masanobu (1527-1578), l'un des 24 généraux de Takeda Shingen, Utagawa Kuniyoshi, XIXe siècle. Agrandissement : Araki Mataemon (vers 1599-1638), samouraï japonais au début de la période Edo, fondateur de l'art martial koryū Yagyū Shingan-ryū, Utagawa Kuniyoshi, vers 1845, Londres, British Museum
Cette Pax Tokugawa va conduire à la rédaction de nombreux traités de morale ou de conduite à l’intention des samouraïs, avec une audience bien plus étendue que les règlements des maisons guerrières des époques précédentes. Tous exaltent les vertus caractéristiques des samouraïs : la loyauté chû et la fidélité na. Ils formalisent la notion de bushidô, la voie des guerriers, alors même que l’époque tend vers la paix. De façon paradoxale, parce qu’elle a ramolli les mœurs et qu’il faut rappeler les samouraïs aux vertus d’autrefois, cette paix rend nécessaire l’exaltation à un point jamais vu jusqu’alors de ces vertus martiales.
Le comportement des guerriers ne s’en modifie pas moins. Souvenons-nous d’abord qu’il s’agit d’une masse démographique considérable : après l’institution claire, mais tardive, d’une stricte séparation entre paysans et guerriers bushi à la fin du XVIème siècle, il est probable que 7% de la population pouvait encore se réclamer du statut de bushi – à comparer aux 1-2% pour la noblesse d’épée dans l’Europe féodale.
En excluant aussi bien les 150 à 200 familles de daimyô que les mille ou deux mille vassaux de très haut rang et aussi la majorité des bushi sous le statut samouraï (souvent dit kachi), nous pouvons supposer que les samouraïs (non leur famille) étaient à l’époque des Tokugawa 100 000 à 150 000 personnes.
Si le shôgun a moins de 25 000 samouraïs à son service, certains domaines croulent sous des masses pléthoriques. Mais que peuvent faire tous ces samouraïs maintenant que la guerre ne les occupe plus ? Ils deviennent quand ils le peuvent administrateurs, policiers, percepteurs d’impôts, juges, etc. Ceux qui ont la chance d’avoir une telle affectation, avec le petit revenu qui l’accompagne, doivent souvent la partager par rotation avec deux ou trois autres samouraïs.
Certains samouraïs bénéficient d’emplois militaires dans les garnisons (escortes, gardes, etc.) et s’ennuient de pied ferme. Les autres enfin, comme 40% des samouraïs vassaux directs du shôgun, n’ont aucune affectation et vivent chichement de leur solde héréditaire de vassaux et arrière-vassaux.
Le samouraï Hasekura Tsunenaga à Rome en 1615, Collection Borghese, Rome. Agrandissement : le samouraï Yamaoka Tesshū (1836-1888) joua un rôle durant la restauration de Meiji (1868)
Cette perte de prestige est encore aggravée par le fait que les samouraïs sont obligés de vivre autour de leur seigneur, dans la ville-château du domaine. Progressivement, ils perdent ainsi dans beaucoup de cas les minuscules domaines où ils vivaient parmi les paysans, en exploitant leur labeur et en jouissant du prestige des maîtres et des propriétaires, loin aussi des gaspillages de l’économie monétaire qui règne en ville.
De ce fait, faute de combats, il leur est devenu impossible de faire étalage des vertus associées à la condition guerrière : la loyauté et l’honneur. L’honneur, na, se ramène à l’invocation pointilleuse de la généalogie ; de fait, la seule justification pour un samouraï d’occuper tel ou tel rang dans la hiérarchie militaire tient à ce que ses ancêtres l’occupaient déjà.
Les familles se mettent alors à concocter des généalogies souvent fantaisistes pour asseoir leurs revendications. Quant à la loyauté, qui n’a plus l’occasion de s’exprimer sur le champ de bataille, elle se ramène dans le meilleur des cas à une obéissance bureaucratique.
Les samouraïs se retrouvent confrontés à une très sévère « dissonance cognitive ». Il y a d’un côté, dans les traités du bushidô, un récit de gloire tissé de prouesses ; de l’autre, des conditions de vie difficiles, pour ne pas dire médiocres ou misérables, sans espoir de promotion.
Il s’ensuit une crispation sociale. Chacun s’accroche au rang dans lequel il est né, et dans lequel il mourra en défendant ses prérogatives et l’apparence de la gloire. On voit alors une minutieuse codification des comportements publics, du costume, des escortes en ville, tous modulés en fonction du grade : un théâtre se met en place où l’important est de respecter les conventions, quitte à prendre des libertés par derrière.
Chacun sait, par exemple, que les généalogies sont souvent mensongères, mais on fait mine d’y croire. Chacun sait que les multiples rapports fait au maître ou au shôgun sont inexacts, mais ces derniers font mine de les croire puisqu’ils sont le signe de la relation hiérarchique.
Chacun sait aussi que les suicides rituels seppuku ou harakiri ordonnés en cas de faute sont en fait des décapitations, mais ils restent décrits comme glorieux éventrements. Chacun sait enfin que l’entraînement aux arts martiaux avec les bâtons de bambous ne prépare pas au combat de sabre, que le sabre lui-même est un symbole et non une arme (au demeurant fort peu utilisé même dans les époques plus anciennes), etc. mais peu importe, partout, tout le temps, c’est l’apparence et la mise en scène qui priment.

La parodie de la loyauté : les 47 samouraïs

Le mythe entourant les samouraïs se devait toutefois d’être entretenu car c’est lui qui légitimait le pouvoir de la classe guerrière, y compris des grands seigneurs. L’épisode célébrissime des « 47 vassaux fidèles » l’a opportunément renforcé tout en témoignant du changement des mentalités.
En 1703, 47 samouraïs attaquent la résidence d’un seigneur que leur propre seigneur avait essayé de tuer dans le palais du shôgun, tentative pour laquelle le bakufu l’avait condamné à l’exécution rituelle.
Deux des 47 rōnin : Horibe Yahei et son fils adoptif, Horibe Yasubei, Utagawa Kunisada, vers 1850
Ces samouraïs assassinent alors la cible manquée de la colère de leur seigneur, qu’ils voient comme son ennemi alors qu’il n’était que sa victime. Ils prétendent de la sorte manifester la loyauté due à leur défunt maître et espèrent la grâce du shôgun. Mais celui-ci prononce leur condamnation au suicide rituel.
L’imagination populaire s’enflamme, exalte le courage de ces samouraïs à l’ancienne, courageux et loyaux. L’incident nourrira et nourrit encore une myriade de pièces de théâtre, poèmes, plus tard de films, de feuilletons télévisés.
Les 47 ne constituaient qu’une petite minorité des vassaux du daimyô condamné à mort et ne sont en aucune façon représentatifs de l’écrasante majorité des samouraïs de l’époque. Mais leur entreprise désespérée nous dit beaucoup sur la façon dont les samouraïs souhaitaient qu’on les perçoive.
Certes, l’idéal de loyauté qu’invoquèrent les 47 portait toutes les marques de l’influence corrosive d’un siècle de paix. Les samouraïs d’avant la Pax Tokugawa ne se seraient pas comportés de cette manière. Ils auraient fait corps autour du nouveau daimyô plutôt de de s’engager dans une vengeance autodestructrice, dangereuse et qui, de surcroît, se trompait d’ennemi.
C’est donc dans une totale incompréhension de la notion traditionnelle de loyauté que meurent ces 47 samouraïs – une interprétation romantique et non pragmatique, possible seulement parce qu’à la différence de leurs ancêtres, eux n’étaient plus utiles à leurs maîtres : ils n’étaient que le signe symbolique de son statut.
Ce théâtre des apparences n’en paraissait pas moins nécessaire à l’ensemble des samouraïs pour leur faire oublier la médiocrité de leur condition. C’est ce qui explique que les thèmes du bushidô, courage, sacrifice, dévotion, aient pu être recyclés si aisément à l’époque Meiji, quand, par une cruelle et ultime ironie, ils furent mis au service d’une cause totalement étrangère aux samouraïs d’antan, celle du gouvernement impérial.
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